
Accès direct aux infirmières : ce qu'en pensent les médecins
Adoptée à l'Assemblée nationale dans la nuit du lundi 10 mars, la proposition de loi sur "la profession d'infirmier" ouvre l'expérimentation de l'accès direct pour trois ans dans cinq départements, dans le cadre d'un établissement ou d'une structure d'exercice coordonné. Une décision applaudie par les syndicats de médecins qui resteront toutefois vigilants à ce que le diagnostic médical reste une prérogative des praticiens. Le texte doit encore être voté au Sénat.

"Cela peut paraître surprenant mais cette loi ne me gène pas. Ce texte permet aux infirmières d'établir un diagnostic environnemental et non médical. Ce sont elles qui voient les patients au quotidien, c'est normal. Si elles constatent par exemple qu'un patient décline, elles pourront prescrire un lit médicalisé ou des compléments alimentaires", recadre pour Egora le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML.
D'ordinaire vindicatif, le syndicaliste estime que la proposition de loi sur la "profession d'infirmier", votée en début de semaine à l'Assemblée nationale, définit des missions effectuées jusqu'alors par les infirmières mais non rémunérées. "Elles pourront faire un diagnostic d'urgence, ce qu'elles faisaient déjà mais sans être payées", cite notamment le Dr Marty prenant l'exemple d'une IDE qui entre chez un patient, le retrouve au sol et fait "un premier check up".
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François Pl
Non
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Un avis partagé par le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. "Au risque de surprendre, notre syndicat ne s'oppose pas à cette loi 'infirmière'. Il faut regarder les choses en face, nos concitoyens ont des difficultés d'accès aux soins, et le périmètre de tous les métiers ne cesse d'évoluer", constate-t-il. Au sein des Libéraux de santé, la CSMF travaille d'ailleurs avec la Fédération nationale des infirmiers qui demande depuis plusieurs années la mise en place d'une consultation infirmière et le pouvoir d'assurer un certain nombre de prescriptions. "Cela va dans le bon sens, mais évidemment dans la limite de l'encadrement des prises en charge", souligne le Dr Devulder.
Dans les faits, ce texte de loi, s'il était voté en l'état au Sénat, permet de définir les missions socles de la profession infirmière : les soins, la prévention et le dépistage, l'orientation du patient et la coordination du parcours de santé, la formation et la recherche. Il acte la consultation infirmière et consacre leur droit de prescription. "Elle l'exerceront dans le cadre de leur rôle propre, a pointé la rapporteuse de cette proposition de loi, Nicole Dubré-Chirat. Il ne s'agit en aucun cas de concurrencer le droit de prescription des médecins, notre PPL n'a pas du tout pour objectif d'empiéter sur [leur] champ de compétences."
Tout cela est très flou
Par amendement, le Gouvernement a également étendu, au-delà du rôle propre, l'expérimentation d'un accès direct aux infirmières pour trois ans dans cinq départements, dans le cadre d'un établissement ou d'une structure d'exercice coordonné.
"Tout cela est trop flou, il n'y a pas de vision. Il manque l'essentiel qui sera dans les décrets, à savoir le descriptif des modalités de coopération entre le médecin traitant et l'infirmière", pointe la Dre Agnès Gianotti, présidente de MG France. "Si on travaille ensemble cela sera ok, dans le cas contraire, ça sera catastrophique pour le patient", met en garde la généraliste.
La Dre Moktaria Alikada, nouvelle présidente du collectif Médecin pour demain, partage l'inquiétude d'Agnès Gianotti. "Tout cela est très flou. On nous parle d'une expérimentation dont on n'a aucun contour. Il n'y a pas non plus la liste des produits de santé ouverts à la prescription. S'il s'agit de pansements, de seringues ou de sérum physiologique, cela nous semble logique, mais s'il s'agit de médicaments, cela nécessite une expertise médicale et cela ne s'improvise pas"', explique-t-elle.
Les médecins s'opposent également à la possibilité pour les infirmières de formuler un "primo diagnostic". "Une infirmière ne pourrait pas, par exemple, faire un diagnostic de diabète et initier une prise en charge. Nous n'y sommes pas opposés par corporatisme, mais parce que cela aboutira à une médecine à deux vitesses", souligne le Dr Franck Devulder qui rappelle "l'échec des officiers de santé". "Il y avait les Français des villes qui voyaient un médecin et ceux des champs qui n'en voyaient plus, j'espère que personne n'a cela en tête", s'inquiète le syndicaliste. "Si jamais il y avait une dérive vers le diagnostic médical, nous saurons le dire", prévient également le Dr Jérôme Marty.
S'il n'y a aucune modalité de travail en commun, cela n'ira pas
Les médecins sont en revanche unanimes sur la complémentarité de leur métier avec celui des infirmières. "Sur le principe c'est bien de reconnaître les compétences de chacune des professions", relève Agnès Gianotti, qui insiste sur l'importance de définir les notions et différences entre consultation et diagnostic infirmier ou médical. "S'il n'y a aucune modalité de travail en commun, cela n'ira pas", prévient-elle, appelant les politiques à les définir.
Un avis soutenu par le Conseil national de l'Ordre des médecins. L'instance ordinale avait fait part de ses craintes à Frédéric Valletoux, président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale et coauteur de la proposition de loi, dans une lettre consultée par Egora. "La valorisation de l’activité infirmière ne pourra se déployer que dans le cadre d'un parcours de soins coordonné par le médecin", écrivait le Dr François Arnault, président du Cnom dans la missive. "L’absence de coordination augmenterait le cloisonnement que tout le monde déplore dans le système de santé et constitue un danger pour la sécurité du patient, la protection de la santé publique mais aussi pour des raisons économiques", alertait-il.
Les médecins seront donc vigilants lors de l'adoption du texte, qui devrait être examiné avant l'été au Sénat. "Je pense qu'ils sont en train de préparer le terrain pour la loi Garot dans laquelle ils risquent de glisser le transfert de compétences en plus de la régulation à l'installation et de l'obligation de permanence des soins", suppose Moktaria Alikada. "Nous ne sommes pas contre la délégation de tâches, en revanche les compétences, ça ne se transfère pas", conclut-elle.
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