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"On n'organise pas de la sous-médecine" : Frédéric Valletoux défend sa proposition de loi infirmière
Plébiscitée par la profession, la proposition de loi infirmière doit être examinée à partir de ce mercredi 5 mars en commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, et à partir du 10 mars en séance publique. Elle prévoit de créer une consultation infirmière, en lien direct avec le diagnostic posé par l'infirmière. Alors que l'Ordre des médecins a fait part de ses craintes, Frédéric Valletoux, coauteur de cette PPL avec Nicole Dubré-Chirat, assure que l'objectif "n'est pas d'organiser un sous-service médical", mais bien de reconnaître "le rôle et la place" des infirmières dans le système.

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Egora : Votre proposition de loi a pour objectif de "reconnaître les missions des infirmières et infirmiers et l'évolution de leurs compétences". Vous aviez déjà engagé des travaux en ce sens lorsque vous étiez ministre de la Santé. En quoi est-ce indispensable ?
Frédéric Valletoux : J'avais effectivement pris cet engagement en avril 2024 lorsque j'étais ministre de la Santé. Malheureusement, le calendrier initial, qui prévoyait une discussion parlementaire sur ce texte début juillet, est devenu caduc à partir de la dissolution de l'Assemblée nationale [décidée par Emmanuel Macron le 9 juin, NDLR]. Puis, il y a eu de nouvelles élections qui ont mené à la démission de l'exécutif. Le Gouvernement Barnier a ensuite tardé à être nommé, à la fin du mois de septembre seulement. Nous avons donc perdu beaucoup de temps. Une fois revenu à l'Assemblée nationale, j'ai souhaité ne pas laisser trainer ce chantier sur lequel je m'étais engagé et qui est le fruit d'un travail initié par mes prédécesseurs, notamment par François Braun. Nous avons donc déposé une proposition de loi [avec Nicole Dubré-Chirat].
Etes-vous favorable à la création d'une consultation de soins infirmiers?

Dominique Le Meitour
Non
Revaloriser les actes infirmiers seraient déjà la première reconnaissance pour la profession. Le glissement de tâches médicale à m... Lire plus
Nous sommes dans une période où il nous faut reconnaître le rôle et la place de chacun des professionnels de santé. Des réajustements se font, l'offre de soins se réorganise autour du médecin avec la notion d'équipe. La profession infirmière a un vrai rôle à jouer pour faciliter l'accès aux soins et assurer un meilleur suivi des patients. Mais son statut est juridiquement en décalage avec la place qu'elle occupe et qu'elle pourrait prendre demain dans le système de santé.
C'est aussi une réponse au malaise de la profession ?
La profession porte un malaise parce qu'elle constate, à juste titre, que depuis des années son statut n'a pas été réévalué et qu'il est même aujourd'hui en décalage avec la réalité de l'exercice professionnel. Cette proposition de loi, ce n'est pas une réponse à ce malaise, mais c'est la prise en compte des questions soulevées par le milieu infirmier au travers des organisations syndicales ou professionnelles, et qui sont totalement légitimes.
Il n'y a pas la volonté de tordre le bras au système ou de le contourner
Vous proposez d'abord de redéfinir la profession d'IDE, en précisant dans le code de la santé publique quatre missions socles (la réalisation de soins et leur évaluation, le suivi du parcours de santé, la prévention et la participation à la formation). En quoi cette redéfinition est nécessaire ?
La profession infirmière est paradoxalement devenue indispensable dans la prise en charge des Français, structurante pour l'exercice médical, mais n'est définie que par un décret d'actes. On est infirmier parce qu'on a le droit de faire tel ou tel acte. Ce n'est pas à la hauteur des enjeux. Il faut leur reconnaître un vrai statut, et ouvrir la possibilité d'une consultation infirmière.
Le texte que vous portez ouvre en effet la voie à la création d'une consultation infirmière, en lien direct avec le diagnostic posé par l'infirmière, et étend le droit à la prescription. Quels produits pourraient prescrire les IDE ?
Je ne rentre pas là-dedans. Ce n'est pas du domaine de la loi. Cela devra se décider avec les autorités médicales ; nous le précisons d'ailleurs dans notre texte. Il n'y a pas la volonté de tordre le bras au système ou de le contourner. Reconnaître le rôle et la place des infirmiers, ce n'est pas organiser un sous-service médical. C'est reconnaître que dans la prise en charge des Français, pour des suivis de pathologies, dans le cadre de la prescription médicale et en coordination avec le médecin traitant, ces professionnels ont un rôle structurant à jouer. On n'organise pas de la sous-médecine, on conforte la notion d'équipe médicale autour du médecin.
Ne craignez-vous pas une levée de boucliers de la part des médecins libéraux ?
Tempérons les excès des syndicats médicaux. Chaque fois qu'on veut bouger un curseur, ce sont les premiers à être contre. Ça fait bien longtemps qu'on n'a pas vu une réforme qui était accompagnée positivement par les syndicats de médecins libéraux. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas les écouter, mais si on les écoutait on ne ferait rien...
Pour les plus excessifs de ces syndicats, je rappelle qu'il y a deux ans ils ont lancé de grandes campagnes à l'issue desquelles on devait constater que les médecins se déconventionnaient par milliers ; on attend toujours. Les syndicats de médecins ont tous des choses intéressantes à dire, mais je ne m'effraie pas de la virulence de certains mots d'ordre ou de leur opposition assez récurrente à toute évolution du système.
La profession infirmière demande aussi l'accès direct, notamment pour les plaies simples. Pensez-vous que cela pourrait être intégré au texte ? Soutiendrez-vous cette évolution ?
Si c'est proposé, oui. Je n'y vois pas d'inconvénient.
Si on crée cette consultation infirmière, il faut lui donner une valeur économique, sinon ça n'a pas de sens
Votre proposition de loi prévoit également de sécuriser ces nouvelles compétences attribuées aux IDE, afin qu'elles ne soient pas accusées d'exercice illégal de la médecine. Comment ?
Par des textes clairs, négociés avec tous et qui permettront de sanctionner ceux qui méritent d'être sanctionnés. Quand j'étais ministre, j'avais proposé aux organisations professionnelles et syndicales infirmières qu'on procède à la réévaluation juridique de leur statut et qu'on ouvre des discussions avec l'Assurance maladie. Si le calendrier initial d'un examen pendant l'été avait pu se dérouler, on aurait pu avoir l'ouverture de négociations en octobre-novembre avec la Cnam. Le retard a fait que les choses ne se sont pas passées comme cela, mais il faudra que ce nouveau statut soit suivi de discussions avec l'Assurance maladie pour calibrer économiquement ces nouvelles compétences reconnues aux infirmiers. Une fois que le cadre sera clairement posé, l'Assurance maladie et tout ceux qui ont à combattre l'exercice illégal de la médecine pourront le faire de manière efficace.
Ces mesures doivent-elles nécessairement s'accompagner d'une reconnaissance financière ?
Oui. D'abord parce qu'on sait que des actes n'ont pas été revalorisés depuis une quinzaine d'années, parfois plus, et qu'il y a une obsolescence de la grille des actes. Mais surtout, si on crée cette consultation infirmière, il faut lui donner une valeur économique, sinon ça n'a pas de sens.
Vous entendez par ailleurs renforcer la pratique avancée : en autorisant les IPA à exercer dans de nouveaux lieux (les PMI par exemple), et en permettant à certaines infirmières spécialisées (Ibode, puéricultrices…) d'exercer en pratique avancée, "sans modifier leurs conditions de diplomation". Pourquoi cette extension ?
C'était une demande de la profession. Je suis moi-même un partisan du décloisonnement. Le grand enjeu de notre système de santé de demain, c'est d'attirer les jeunes dans les métiers du soin. Je suis favorable à tout ce qui donne de l'attractivité, de la reconnaissance, tout ce qui permet aux professionnels de ne pas être enfermés dans un sillon toute leur vie. C'est comme cela qu'on redonnera de l'intérêt et du sens à nos professions de santé, notamment aux yeux des jeunes. Je pense qu'il faut faciliter le passage d'un statut à un autre. Bien sûr, tout cela doit être encadré.
Rien n'est toutefois prévu dans le texte pour améliorer les conditions d'exercice des IPA libérales, qui font face à d'importantes difficultés (difficultés à vivre de leur activité, faible nombre de patients suivis…) ?
Quand on dépose une proposition de loi, on est juridiquement tenu à un objet unique ; qui est ici le statut des infirmiers et infirmières. On ne peut pas ouvrir trop largement le champ. Maintenant, si le Gouvernement veut compléter des choses par le biais d'amendements, tant mieux ! Un texte d'initiative gouvernementale, un projet de loi, aurait permis d'accrocher d'autres sujets, même indirectement liés.
Des syndicats infirmiers ont également demandé à passer à quatre années d'études "pour renforcer la professionnalisation". Allez vous soutenir cette mesure ?
Sur ce point, je n'ai pas encore d'idée arrêtée pour être franc avec vous. Je vais voir comment se déroule la discussion. Mais si c'est une demande unanime de la profession, pourquoi pas.
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