France

"97% du territoire est couvert, je ne vois pas l'intérêt d'instaurer l'obligation de garde pour les médecins libéraux"

[Exclu] Alors que l'obligation de permanence des soins ambulatoires est discutée à l'Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi contre les déserts médicaux du député Guillaume Garot, le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) publie son enquête annuelle sur l'état des lieux de la PDSA au 31 décembre 2024. Egora a pu la consulter en exclusivité. Le Dr Jean-Luc Fontenoy, conseiller ordinal, revient sur les principaux enseignements. 

29/03/2025 Par Sandy Bonin
Interview Permanence des soins
France

Egora : Ce rapport sur la permanence des soins ambulatoires (PDSA) tombe à pic, alors que le député Garot souhaite la rendre obligatoire dans sa proposition de loi sur les déserts médicaux. Il cite l'Ordre en évoquant "un désengagement des médecins libéraux". Est-ce que vous le constatez dans ce rapport ? 

Dr Jean-Luc Fontenoy : Non, et c'est justement le problème. Le souci est qu'il a pris un rapport qui date de 2019. Depuis, la population des médecins a changé et les chiffres ont changé. Ce qui nous intéresse, ce qui intéresse la population, et ce qui devrait intéresser les députés, c'est quelle est la couverture du territoire ? Quelle est l'offre de soins que l'on apporte aux patients ? Est ce qu'il y a un médecin qui répond à leur demande ? 97% du territoire est couvert. C'est ça le chiffre qui compte. S'accrocher au nombre de médecins n'a pas de signification. 

Redoutez-vous le rétablissement de l'obligation de participation à la permanence des soins ambulatoires?

Nathalie Hanseler Corréard

Nathalie Hanseler Corréard

Oui

Retraitée depuis la Covid. Mon vécu : ayant fait des semaines de 70H (5,5 J/sem) près de BX avec 4 gardes par an, puis déménagé à ... Lire plus

Prenons l'exemple d'une ville comme Paris. SOS Médecins assure la PDSA des 100% du territoire parisien. La capitale est couverte toutes les heures, tout le temps, partout. Et pourtant, il n'y a que 9% de médecins qui prennent des gardes en PDSA. Pourquoi ?  Parce qu'il y a SOS. 

Dans mon département du 93, on a 20% médecins qui prennent les gardes et 100% du territoire est constamment couvert. Ces 20% n'ont rien à voir avec la qualité des soins donnés. 

Donc le député se base sur des chiffres de 2019, alors que les nouveaux chiffres sont plus favorables. Et il se base sur le nombre de médecins, alors que ce qu'il veut, c'est que le territoire soit couvert. S'il y avait des études sur des gens qui auraient téléphoné pour un acte de consultation en PDSA et qui n'auraient pas eu de réponse, on pourrait dire il y a un problème. Mais il n'y en a pas ! Moi j'aimerais bien qu'un jour, la DGOS fasse une étude. Est-ce que des patients ont téléphoné au 15 pour avoir un médecin de garde et n'ont pas eu de réponse ? Non.

Le problème, c'est qu'il n'y a pas eu d'informations au niveau national pour expliquer aux gens qu'en journée par exemple, quand on cherche un médecin, on compose le 15 et on a accès au Service d'accès aux soins (SAS) ou au médecin de garde. Souvent les gens vont directement aux urgences, sans être passés par le 15, parce qu'ils ne savent pas que ça n'est pas que pour les urgences vitales mais aussi pour la permanence des soins.

J'ai demandé aux ARS ou à la Caisse nationale d'Assurance maladie d'informer les gens sur le fonctionnement du système d'accès aux soins, car personne n'est au courant !

 

Combien de médecins ont participé à la permanence des soins ambulatoires en 2024 ?

3081 médecins libéraux installés en activité régulière ont participé à la régulation médicale des appels en horaires de PDSA, ce qui correspond à une hausse de 11,5% par rapport à l’année précédente. Parmi les 45 468 médecins généralistes libéraux exclusifs ayant une activité régulière, 6,8% ont participé à la régulation médicale des appels de PDSA, soit 0,8 points de plus qu’en 2023. À ce chiffre, s’ajoutent 891 médecins retraités, salariés ou remplaçants, ayant participé à la régulation médicale des appels de PDSA. Au total, 3972 médecins généralistes ont assuré le rôle de médecin régulateur en 2024, soit une hausse totale de 5,9% en comparaison des chiffres constatés en 2023. 26 000 médecins ont été effecteurs de PDSA en 2024 contre 26 065 en 2023.

Guillaume Garot a dit dans la presse que "pour que la permanence des soins soit bien acceptée, il faut qu'elle concerne l'ensemble des praticiens, qu'elle soit le mieux répartie possible. C'est l'idée de mieux répartir la charge sur l'ensemble des praticiens. Si chacun prend sa part, alors le dispositif perdurera". Que pensez-vous de cette phrase ? Cela pourrait-il soulager les médecins volontaires ?

Mais il veut que la PDSA soit acceptée par qui ? Je ne comprends pas, alors que ni les patients ni les médecins ne se plaignent. Être mieux répartie pour faire quoi ? Alors que toute façon, tous les territoires sont couverts. Pourquoi faudrait-il qu'à Paris, par exemple, on force le médecin à prendre des gardes alors c'est déjà couvert, et qu'il y a 100% de réponse ? Que faire des médecins de garde en plus ? On les paye à rester chez eux ? 

Guillaume Garot souhaite que "chacun prenne sa part ". Mais les médecins en ont bien conscience. L'article 77 du code de déontologie, dit que les médecins ont une mission et une responsabilité de permanence des soins. Nous le savons. Mais ce n'est pas la même chose que le volontariat qui est mis en place pour ceux qui la choisissent. On assure la permanence des soins à 97% sur le territoire. Dans certains départements, où il y a peu de médecins, où SOS médecins n'est pas présent, une organisation se met en place. Dans ces territoires, on a 80% de médecins qui prennent des gardes, voire 85%. Si on rend la PDSA obligatoire, que faire des 15% qui restent, les femmes enceintes, les médecins fatigués ou très vieux, on les oblige à aller faire des gardes ? 

Puis il dit "alors, le dispositif perdurera" mais le dispositif a toujours fonctionné, il fonctionne de mieux en mieux et personne n'a dit qu'il allait s'arrêter. Avec cette phrase en quatre lignes, il a dit quatre choses qui ne vont pas.

Combien de patients n'ont pas eu de réponse à un appel en PDSA ? Qu'il nous fasse une statistique. Ça n'est pas parce que les gens vont aux urgences que c'est un défaut de PDSA.  Les patients vont directement aux urgences parce que l'information au niveau de l'État n'est pas faite. Il faut informer, et ça ils ne le veulent pas trop, parce qu'ils ont peut-être peur de surcharger le 15. Il y a une injonction de nos autorités à dire il faut appeler le 15 pour qu'il y ait une régulation et d'un autre côté on ne donne pas l'information pour que les gens le fassent... 

Justement, les conseils départementaux sont partagés sur la mise en place d'un nouveau numéro, éventuellement le 116-117 pour la permanence des soins ambulatoires qui permettrait de désengorger le 15 ?

Il faudrait que les gens choisissent eux-mêmes s'ils sont gravement malades ou pas et dans ce cas-là ils composeraient le 116-117. Certains pensent cela, mais effectivement les avis sont partagés. [45% des Cdom interrogés se sont déclarés favorables à cette mesure, soit 6% de plus qu’en 2023.]

Avec ce numéro, c'est au patient de faire sa régulation et de savoir si sa douleur à la poitrine est une bronchite ou un infarctus. Alors qu'avec le 15, un médecin régulateur est habitué à cela et sait poser les bonnes questions pour avoir les bonnes réponses et donc les meilleurs soins. 

Les zones blanches sont des territoires non couverts par la PDSA dans lesquels les patients doivent se rendre aux urgences en cas de soucis de santé ? Comment évoluent ces zones blanches ?  

Sur les périodes de week-ends, jours fériés et nuits profondes, ça n'a pas bougé. Elles ont un tout petit peu baissé en soirée. 

[En 2024, la couverture des territoires de PDSA s'élevait à 97 % durant les week-ends et jours fériés, à 93 % en soirées, et à 27 % en nuits profondes. Ces chiffres révèlent une stabilité de la couverture durant les week-ends, et les nuits profondes, mais une diminution de 3% du nombre de secteurs couverts en soirées. C’est en nuits profondes que la proportion des « zones blanches » est la plus importante. En 2024, 42 départements ne bénéficient plus de couverture sur cette plage horaire, soit 3 de plus qu’en 2023. Les raisons évoquées concernant l’arrêt de la couverture de ces territoires en nuit profonde sont principalement la faible activité constatée dans ces secteurs, et également la difficulté à mobiliser des volontaires sur ce créneau.]

Quels sont les freins à la PDSA ?

Il y a l'insécurité, déjà. Il faut penser aussi au surmenage des médecins qui travaillent beaucoup la journée, déjà. Ils font 55 h par semaine en moyenne. Le soir, ils sont quand même fatigués et s'ils prennent une garde, elle est irrécupérable au lendemain. 

Ne faudrait-il pas supprimer la PDSA en nuit profonde ?

Je dirais que ça dépend des zones. À Paris, par exemple, il y a une activité qui est importante, avec SOS qui tourne en nuit profonde, et c'est très bien. Dans d'autres départements, il n'y a aucune activité, alors pourquoi laisser un médecin d'astreinte debout toute la nuit, tout cela pour répondre à un seul appel à 3h du matin. Un appel à 3 ou 4 h du matin, souvent c'est grave. On n'appelle pas dans la nuit pour une grippe qui commence ou une angine, mais plutôt pour une douleur dans la poitrine ou un accident qui relèvent de l'aide médicale d'urgence.

Est-ce que le visage de la PDSA n'est pas en train de changer, avec le développement des rendez-vous en point fixe aussi et une baisse des visites à domicile ?

Les points de garde se sont multipliés après le pacte de refondation des urgences en 2019. On était à 464 maisons médicales de garde en 2019 et on est passé à 556, soit 20% de plus en 2024.

Quel est votre avis sur l'ouverture de la PDSA le samedi matin ?

C'est un sujet de discussion. Si on fait la PDSA samedi matin, il est certain que les cabinets qui sont encore ouverts vont fermer. On n'imagine pas un cabinet qui ferait une consultation à 30 euros, l'autre à côté à 60, 65, ça serait un peu bizarre. En plus, le samedi matin, il existe le SAS. Il est vrai que dans les territoires où les cabinets sont fermés, où on pourrait demander qu'il y ait le plus facilement de la PDSA. On en revient un peu à ce qu'on dit quand on présente cette enquête. Tout cela est très département dépendant et au-delà même des départements, c'est très secteur dépendant. C'est vraiment un sujet de discussion qui dépend beaucoup de l'offre de soins qu'il y a dans un territoire et notamment dans un secteur. 

La permanence des soins tourne bien et fonctionne d'autant mieux car on l'adapte non pas au niveau national ni au niveau départemental mais au niveau sectoriel. 

Des carences ont été observées dans 75 départements selon le rapport, 38 ont dû réquisitionner. Combien de médecins ont dû être réquisitionnés ? 

Il y a 820 médecins qui ont été réquisitionnés, c'est 199 de moins que 2023. Il y a eu des réquisitions ponctuelles dans 29 départements et récurrentes dans 9. Ceux qui ne participent pas à la PDSA, c'est souvent qu'ils ont des raisons personnelles pour ne pas le faire, comme le cas de cette praticienne, mère de quatre enfants et qui allaite encore. C'est compliqué de réquisitionner et pourtant on le fait. On n'imaginerait pas cela dans le milieu salarié. Il y aurait un inspecteur du travail qui dirait que ça n'est pas possible.

Plutôt que la réquisition, on pourrait peut-être passer par une stimulation de certains médecins, en disant "Bon allez, il faut se mobiliser". 

Dans la commune de Bully, une praticienne réquisitionnée s'est mise en arrêt de travail. Comment concilier épuisement des médecins et permanence des soins ? Les réquisitions ne sont-elles pas d'un autre temps ? 

L'article 77 dit que la permanence des soins est une mission déontologique pour le corps médical. Il ne faut pas mélanger cela, qu'on assume, et le volontariat, qui est autre chose, d'accord. Avant il y avait une obligation de faire les gardes, ça a été retiré il y a 20 ans. Les réquisitions restent quand même marginales. 

Comment gérer ces cas particuliers de praticiens ?

Ils nous le disent, et c'est le Conseil de l'ordre qui décide s'ils sont exemptés ou non. Après quand ils sont épuisés, on peut leur dire de fermer leur cabinet avant et après la garde pour pouvoir se reposer. C'est vrai qu'on en arrive à des aberrations où on va pousser un médecin à fermer son cabinet à sa propre patientèle, qui n'aura pas d'autres médecins à voir parce que les autres seront débordés. Tout cela pour éventuellement qu'il voit deux patients dans la nuit parce qu'il est réquisitionné pour une garde…

C'est pour cela que décider de tout ça sur un niveau national, avec un côté un peu dogmatique, j'aimerais vraiment comprendre pourquoi et qu'on nous en donne la justification. 

Quelles sont les solutions proposées par l'Ordre justement pour améliorer la couverture de la PDSA ? 

Déjà, il est important de revaloriser les actes alors que certains sont défiscalisés et pas d'autres. Il est également important d'améliorer les transports dédiés. C'est à dire que, quand quelqu'un a besoin d'aller en maison médicale de garde, on favorise un transport par un VSL.

Il y a eu une baisse de la PDSA chez les remplaçants et salariés. Il faudrait pouvoir les stimuler un peu. Il n'y a que 2% des médecins salariés des centres de santé qui prennent des gardes.

Et surtout, il faut mettre en place des actions de communication, pour que les gens sachent vers qui se tourner. C'est capital. 

Il est aussi très important de renforcer la sécurité des médecins de garde, en mettant un vigile par exemple dans les MMG. 

D'après vous, pourquoi Guillaume Garot revient depuis des années avec cette obligation de permanence des soins des médecins ? 

Il faudrait qu'il nous dise pourquoi il veut absolument que les médecins aient une obligation de garde. Rajouter de la complexité dans quelque chose qui fonctionne, je ne vois pas où est l'intérêt.  

1 débatteur en ligne1 en ligne
Photo de profil de Romain L
15,4 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 4 jours
La question de la PDSA touche à la plupart des problématiques qui sous-tendent la crise actuelle de la médecine générale : - Sous-effectif et surmenage certes, - Mais surtout le refus d'une vision s
Photo de profil de Hubert Englebert
19 points
Gériatrie
il y a 3 jours
Idiote comme réponse ! 97% du territoire couvert cela reflète la vérité de doctolib et ses fourches caudines qui font que beaucoup trop de patients attendent des jours voire semaines pour avoir un rdv
Photo de profil de Hubert Englebert
19 points
Gériatrie
il y a 3 jours
Il n'y a pas de médecine libérale ! On ne choisit pas le montant des honoraires, la chère CARMF est imposée, les charges sont effrayantes. Reste de pouvoir choisir ses vacances et de les financer !
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