Une étude française pointe l'influence des labos sur les prescriptions des généralistes
De précédentes études, menées notamment aux Etats-Unis, ont établi l'existence d'un lien entre les avantages en nature ("gift") offerts aux médecins par les laboratoires et fabricants de dispositifs et leurs prescriptions. Une étude parue en 2016 dans JAMA* montrait ainsi que les praticiens invités à déjeuner par un laboratoire prescrivaient par la suite davantage le médicament de la firme. Pour de ce constat, également dressé par l'OMS, les auteurs de cette étude rennaise (Université, CHU, Inserm), parue ce mercredi 6 novembre dans le BMJ, ont voulu vérifier si les généralistes français étaient également concernés. Pour ce faire, ils ont croisé les données de deux bases : Transparence santé, base ministérielle sur laquelle les industriels déclarent les avantages offerts aux professionnels de santé (90% des généralistes y sont mentionnés au moins une fois depuis sa création en 2013), et le Système national des données de santé, base gérée par la Cnamts qui renseigne notamment les données de remboursement de 99% des Français.
Les prescriptions de 41 257 généralistes libéraux français pour l'année 2016 ont été passées au crible, afin de rechercher une association entre les avantages reçus (exprimés en valeur totale) et le coût et la qualité des prescriptions. A noter que cette dernière est évaluée au regard des objectifs fixés par l'Assurance maladie dans le cadre de la Rosp "De par sa méthodologie, l'étude ne peut pas montrer de lien de cause à effet", précise d'emblée le communiqué. "Elle permet seulement d'affirmer qu'en moyenne", par rapport aux groupes de médecins ayant reçu des avantages, le groupe de médecins n'ayant reçu aucun avantage en 2016 ni depuis la création de la base Transparence Santé en 2013 est associé à des "prescriptions moins coûteuses", "plus de prescriptions de médicaments génériques", moins de vasodilatateurs et de benzodiazépine pour des durées longues (uniquement par rapport à ceux qui ont reçu "le plus d'avantages") et "moins de prescriptions de sartans comparativement aux inhibiteurs de l'enzyme de conversion".
En revanche, aucune différence significative n'est relevée pour la prescription d'aspirine, de génériques d'antidépresseurs ou de génériques d'inhibiteurs de la pompe à protons. Pour le Dr Bruno Goupil, généraliste et premier auteur de l'étude, ces résultats "concordent avec les études existantes qui concluent en faveur d'une influence sur les prescriptions". "Il semble peu probable que l'argent dépensé par l'industrie pharmaceutique pour la promotion des médicaments le soit à perte", relève-t-il. C'est d'ailleurs l'un des messages clés que tente de faire passer le syndicat d'internes Isnar-IMG au travers de sa campagne "No free lunch". *DeJong C., Aguilar T., Tseng C-W., Lin GA., Boscardin WJ., Dudley RA. Pharmaceutical Industry–Sponsored Meals and Physician Prescribing Patterns for Medicare Beneficiaries. JAMA Intern Med 2016;176(8):1114. Doi: 10.1001/jamainternmed.2016.2765.
Dans un communiqué, le syndicat des entreprises du médicament (Leem) a exprimé "les plus vives réserves sur les conclusions tirées de cette étude". Il rappelle notamment que sur les 219 382 avantages accordés par les industriels aux généralistes en 2016, "seuls 306 dépassent 1 000 euros, ce qui relativise fortement la portée des conclusions de l’étude". Par ailleurs, "ses commentateurs entretiennent volontairement une confusion entre la notion de cadeaux, qui sont interdits par la loi depuis 1993, et celle d’avantages, qui sont autorisés, mais strictement encadrés". Le Leem se montre très critique envers la méthodologie, soulignant qu'un "médecin généraliste invité à un congrès orthopédique par une entreprise de dispositif médical et qui n’atteint pas les objectifs de prescription de génériques de l’Assurance maladie va être considéré exposé à l’influence des laboratoires pharmaceutiques". Pour les industriels, comme pour les auteurs d'ailleurs, "corrélation" ne veut pas dire "causalité" : "les données disponibles ne permettent en aucun cas d’établir une relation directe entre la perception d’avantages de la part d’un industriel et la prescription de médicaments proposés par cette même entreprise". Dénonçant ce "nouveau dénigrement" de l'industrie, le Leem "regrette la vision simpliste et infantilisante des médecins généralistes projetée par certains commentateurs de l’étude" et invite à "abandonner les caricatures" pour "restaurer la confiance".
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