"Le mépris continue" : le règlement arbitral plombe les médecins libéraux
Certes, les syndicats n'attendaient pas grand-chose du règlement arbitral, qui doit pallier l'absence d'accord conventionnel et garantir le remboursement des patients et des médecins. "Le point positif, c'est qu'il est construit de façon à reprendre rapidement les négociations, souligne le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S. Mais le corollaire, nuance-t-il, c'est qu'il ne contient que des mesures éminemment parcellaires." Comme en 2010, ce règlement arbitral reprend pour l'essentiel la convention de 2016, dans sa version actuelle, en y ajoutant quelques mesures d'exception répondant à une double préoccupation : dégager du temps médical et répondre aux attentes de la population, notamment des "plus fragiles".
Nouveaux tarifs des consultations : préparez la monnaie
Entrée en vigueur dans un délai de 6 mois Le règlement arbitral reprend la revalorisation socle de 1,50 euro qui avait été proposée par la Cnam aux médecins libéraux, en laissant de côté l'idée d'une revalorisation supplémentaire conditionnée par "l'engagement territorial" rejetée par l'ensemble de la profession. "C'est déjà ça de gagné", lâche la Dre Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Pour les généralistes, la consultation de base (G) passera à 26,50 euros, soit une hausse de 6% relève le ministère. La visite passe logiquement à 36,50 euros. Les consultations complexes bénéficient également de cette hausse et seront donc rémunérées 47,50 euros. En revanche, le tarif des consultations très complexes reste inchangé, à 60 euros. Pour les autres spécialistes, la même revalorisation de 1,50 euro est appliquée : la consultation de référence sera rémunérée 31,50 euros. Pour les pédiatres, les consultations des enfants de moins de deux ans seront valorisées 38,5 euros et celles des 2 à 16 ans, 33,50 euros. Les psychiatres, neuropsychiatres et neurologues passent de 50,20 euros à 51,70 euros. Quant aux consultations spécifiques réalisées au cabinet des cardiologues, elles seront facturées 54 euros. A noter également que l'avis ponctuel de consultant (APC) est lui aussi revalorisé de 1,50 euro, à 56,50 euros (64 euros pour les psychiatres, neuropsychiatres et neurologues). Pour l'ensemble des syndicats, qui n'attendaient pas mieux, cette revalorisation minimale officialise la "baisse des revenus" de la profession. "Le Gouvernement acte une dévalorisation de la consultation du médecin généraliste, qui devrait être à 30 euros avec l'inflation", insiste le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. "Le mépris continue", lâche Jérôme Marty, qui relance son appel au déconventionnement. "1,50 euro, c'est... largement insuffisant compte tenu des enjeux de la profession, déplore la Dre Sophie Bauer, présidente du SML. En plus, c'est l'augmentation d'une majoration, la consultation de base reste à 23 euros", souligne-t-elle. Notamment pour les généralistes en secteur 2. "Ce n'est pas avec 1,50 euro qu'on va favoriser l'attractivité, embaucher du personnel et agrandir nos locaux", résume son homologue de la FMF, Corinne Le Sauder. De son côté, la Dre Agnès Giannotti, présidente de MG France, regrette la persistance d'un "différentiel de 5 euros" entre la consultation du spécialiste en médecine générale et celle des autres spécialistes. Pour le Dr Patrick Gasser, chef de file d'AvenirSpé, c'est pourtant la douche froide. "La seule chose que j'avais demandé, c'était l'accompagnement des spécialistes dans le cadre de la hausse de l'inflation", réagit-il. Or non seulement le compte n'y est pas (pour les spécialistes, la hausse est de 5%), mais les mesures tarifaires ciblant les spécialités cliniques notoirement sous-rémunérées que sont la pédiatrie, la psychiatrie ou encore l'endocrinologie n'ont pour l'essentiel pas été reprises. "On met le feu à la maison spécialiste, je crains l'ouverture d'un nouveau secteur pour la médecine spécialisée", avertit Patrick Gasser, qui déplore un règlement arbitral "centré sur le médecin traitant".
Timide hausse du forfait patientèle médecin traitant
Entrée en vigueur le 1er janvier 2024 Pour les patients de 80 ans et plus (hors ALD) et pour les patients de moins de 80 ans en ALD, le forfait patientèle médecin traitant est revalorisé à hauteur de 4 euros, à 46 euros. C'est toutefois 4 euros de moins que la dernière offre de la Cnam... "Et pour les patients de plus de 80 ans en ALD, les plus lourds, le forfait reste à 70 euros", déplore Agnès Giannotti. Exit les majorations de 30% qui avaient été proposées pour les médecins installés en ZIP et pour les jeunes médecins primo-installés.
Une consultation d'inscription pour les patients en ALD
Entrée en vigueur dès validation du règlement arbitral D'ici la fin de l'année 2023, les plus de 700 000 patients en ALD qui n'ont pas de médecin traitant devront s'en voir proposer un. Ainsi en a décidé Emmanuel Macron. Logiquement, le règlement arbitral reprend une mesure emblématique de la proposition conventionnelle : il créé une "consultation d'inscription" médecin traitant pour les nouveaux patients en ALD, cotée 60 euros. Un "one shot qui permet juste de cocher une case, de diminuer le nombre de patients en ALD sans médecin traitant", déplore Corinne Le Sauder. "Les consultations de suivi, tout au long de l'année, restent à 26,50 euros", souligne en effet Agnès Giannotti.
L'aide à l'emploi d'un assistant médical généralisée
Entrée en vigueur dès validation du règlement arbitral Autre mesure phare de la Cnam reprise par Annick Morel : l'assouplissement de l'aide à l'emploi d'un assistant médical. Elle ne sera plus conditionnée à l'obligation d'exercice coordonné, d'exercice regroupé ou d'exercice dans une zone sous-dense. L'ensemble des spécialités y seront éligibles -et pas uniquement dans les départements où elles sont en tension, à l'exception des radiologues, radiothérapeutes, stomatologues, anesthésistes, anapath et médecins nucléaires. Objectif : atteindre 10 000 embauches d'ici la fin de l'année 2024. Au mois d'avril 2023, on comptait 4 304 contrats signés, dont 77% par des généralistes. L'aide, qui s'élèvera au maximum à 36 000 euros pour un assistant médical à temps plein (qui peut être embauché par un groupement de médecins employeurs), sera dégressive jusqu'à la troisième année mais maintenue au-delà. Son montant sera toutefois modulé en fonction de l'atteinte par le médecin d'objectifs d'augmentation de sa patientèle ou de sa file active. "On reste sur une logique 5 minutes, douche comprise", ironise Jérôme Marty.
Déplafonnement de la visite longue… pour les patients en soins palliatifs
Entrée en vigueur dans un délai de 6 mois Tarifée à 60 euros, la visite longue pourra désormais être cotée plus de 4 fois dans l'année, mais uniquement pour les patients en soins palliatifs. Là encore, la présidente de MG France déplore que les autres patients concernés (en particulier les plus de 80 ans en ALD) soient laissés de côté.
Assouplissement du forfait structure
Certaines cibles du volet 2 du forfait structure 2023 sont revues à la baisse pour... tenir compte d'une montée en charge plus progressive qu'initialement prévue de certains outils numériques. C'est le cas des protocoles de soins numériques pour les patients en ALD (80% en 2023, contre 90% initialement prévu), des prescriptions électroniques de transports (20%, contre 30%), des déclarations de grossesse simplifiées en ligne (10% contre 30%). Par ailleurs, la période d'observation pour le paiement du forfait "volet de synthèse médicale" est allongée au 31 décembre 2023.
Pérennisation de la majoration soins non programmés
Entrée en vigueur dès validation du règlement arbitral Décidée en juillet 2022 et prolongée depuis, la majoration de 15 euros pour les actes de soins non programmés réalisés dans les 48 heures suite à une régulation du 15 ou du SAS est pérennisée (dans la limite de 20 par semaine). Les régulateurs seront quant à eux rémunérés au minimum 100 euros de l'heure.
Secteur 2 pour les Docteurs juniors
C'est une clarification règlementaire qui était attendue : pour les spécialistes, le statut de Docteur junior est comptabilisé à raison d'une année pour acquérir le titre d'ancien assistant spécialiste des hôpitaux et accéder au secteur 2. En revanche, pour les généralistes, dont le DES contiendra également une phase de consolidation avec l'ajout d'une 4e année d'internat, l'arbitre a renvoyé la balle dans le champ conventionnel, précise la présidente du SML. "ça aurait été une vraie mesure d'équité entre les spécialités." Dans l'ensemble, même s'ils partagent la volonté de reprendre rapidement les négociations, les syndicats regrettent un "saupoudrage" de mesures qui ne répondront pas à la "crise d'attractivité" de la médecine libérale. Le temps presse "si l'on veut attirer les jeunes et garder les anciens", alerte pourtant Corinne Le Sauder. Ces mesures, "ce sont des bons à tirer chez Monsieur Bricolage", ironise Jérôme Marty. "On n'en est plus là. On attend une convention digne de ce nom, qui respecte l'exercice libéral." "Au moins, Annick Morel nous a écoutés, ce qui était une nouveauté après la négociation calamiteuse qu'on a vécue", relève Sophie Bauer. "Mais elle était coincée par l'Ondam, inférieure à l'inflation, et le contexte politique… au moins, elle ne nous a pas remis cette saleté d'engagement territorial, ça aurait été insupportable." "Pour reprendre les négociations, il nous faut des garanties, insiste Luc Duquesnel, des Généralistes-CSMF : un C à 30 euros, pas de contrat individuel et plus de moyens pour la médecine libérale." De son côté, Agnès Giannotti appelle à un "changement de paradigme, sinon on va continuer à enchainer les échecs de négociations et les règlements arbitraux".
Outre l'engagement territorial, plusieurs mesures qui avaient été proposées par la Cnam n'ont pas été retenues par Annick Morel, l'exécutif ayant manifesté sa volonté de ne pas se montrer trop généreux afin de pousser les syndicats à revenir rapidement à la table des négociations. C'est le cas des aides à l'installation en ZIP et ZAC ou encore de la majoration du forfait patientèle médecin traitant pour les primo-installés. De manière générale, le règlement arbitral "ne comporte aucune mesure en faveur de l'installation des jeunes médecins", regrette le syndicat de jeunes et de remplaçants Reagjir, dans un communiqué.
Exit également les possibilités de cumul acte technique/acte clinique qui auraient été accordées à certaines spécialités, le financement des équipes de soins spécialisées, le forfait de santé publique qui devait remplacer la Rosp et le forfait numérique qui devait succéder au forfait structure.
Le rehaussement à 50% du plafonnement de l'activité de télémédecine n'a pas non plus été conservé, au grand soulagement de la CSMF, qui jugeait cette mesure délétère pour l'accès aux soins.
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