Médecin généraliste, elle risque des sanctions pour ses dépassements d'honoraires : "Je dois aller au bout de mes convictions"
Installée à Eyzin-Pinet, en Isère, la Dre Camille Boëdec est mise en cause par l'Assurance maladie pour ses "dépassements exceptionnels" (DE) jugés trop fréquents. Trois autres généralistes du département se sont retrouvés en commission de conciliation : s'ils ne modifient pas leur pratique tarifaire, ils risquent des sanctions pouvant aller jusqu'au déconventionnement. Mais à 35 ans, Camille Boëdec n'a pas l'intention de "rentrer dans le rang". "Si je ne vais pas au bout, il faudra que je change de profession", témoigne-t-elle sur Egora.
"Je me suis installée en septembre 2018, après un an et demi de remplacements. J'exerce dans un pôle de santé situé dans une zone semi-rurale, dans lequel il y a actuellement trois médecins généralistes et des paramédicaux. Je travaille trois jours par semaine et je suis remplacée les deux autres jours.
J'ai commencé à facturer des compléments d'honoraires en juin 2023, au moment où le mouvement de soulèvement des généralistes a commencé, avec la création des Comeli. J'ai commencé à m'activer sur les réseaux, pour créer un mouvement avec d'autres médecins, qu'on commence ensemble à faire des DE systématiques. A ce moment-là, je demandais 30 euros pour une consultation adulte, et 35 euros pour une consultation enfant.
"Au 1er janvier 2024, je suis passée à 35 euros pour les adultes et 40 euros pour les
enfants"
Et quand beaucoup ont arrêté les DE, moi j'ai continué et j'ai même augmenté : au 1er janvier 2024, je suis passée à 35 euros pour les adultes et 40 euros pour les enfants. C'est peut-être ça qui a joué en ma défaveur…
Je demandais des compléments sur la quasi-totalité de mes consultations, mais pas mon remplaçant, qui ne souhaitait pas le faire. En revanche, je ne l'appliquais pas aux patients CMU, à certaines ALD, à certains patients en accident du travail et à ceux qui étaient en difficulté financière.
Ça a été très bien accueilli par les patients. J'ai eu quelques réticences mais qui se comptent sur les doigts de la main. A ma connaissance, aucun patient n'a changé de médecin pour ce motif.
Puis j'ai reçu un premier courrier de l'Assurance maladie en décembre 2023. C'était une mise en garde. Ce courrier disait que je ne respectais pas la convention, qu'ils comptaient sur moi pour arrêter dans l'intérêt des patients. J'ai hésité à répondre… puis je me suis dit que je ne leur devais rien, que je n'avais pas d'explications à leur donner.
J'ai donc continué et très peu de temps après, j'ai augmenté mes tarifs comme je l'avais prévu. Car pour moi, les 30 euros étaient une sorte de rattrapage. Avec l'inflation et l'explosion des charges, il fallait que j'augmente encore.
"J'ai eu un gros coup de stress, comme un gamin pris en faute"
Je pense que le fait que la convention acte le passage aux 30 euros a calmé certains d'entre nous. Les médecins sont quand même bons petits soldats, ils ont du mal à sortir des clous. Alors quand la menace d'une sanction plane, les trois quarts lâchent l'affaire…
Le 11 octobre dernier, j'ai reçu un autre courrier recommandé de la caisse. Elle constatait que j'avais continué à pratiquer des DE et m'invitait à une commission de conciliation pour m'expliquer.
J'ai eu un gros coup de stress, comme un gamin pris en faute… mais ensuite j'ai reçu le soutien de beaucoup de collègues des Comeli. Cette lettre me rappelle que les DE ne sont possibles qu'en cas de circonstances exceptionnelles de temps ou de lieu dues à une exigence particulière du patient non liée à un motif médical et que tout dépassement d'honoraires en dehors de ce cadre est une infraction aux règles conventionnelles et "justifie l'application des sanctions prévues par la convention". Et ajoute que : ‘conscient des défis que peuvent rencontrer les médecins dans l'exercice quotidien de leur profession, dans un souci de dialogue, je souhaite vous donner l'opportunité d'échanger sur votre situation’.
Cette réunion, je l'ai préparée avec le soutien des Comeli. J'ai fait aussi appel au maire de la commune dans laquelle j'exerce, qui a écrit un courrier expliquant qu'il me soutenait. J'ai également contacté l'UFML, qui m'a expliqué le fonctionnement conventionnel. Je me suis rapprochée d'un confrère de mon département également convoqué et on a décidé de passer en commission ensemble.
Le jour J, je l'ai rejoint dans son cabinet. La réunion était en visio. Je suis restée droit dans mes bottes.
Je savais que je n'avais pas le droit de faire des DE mais j'avais mes raisons. J'y suis allée pour m'expliquer, sans attente particulière.
Il y avait la directrice de la CPAM, des représentants des syndicats, du conseil de l'Ordre. Ils ont expliqué que la commission avait pour but de comprendre pourquoi on faisait des DE aussi fréquents et aussi importants et d'essayer de trouver des solutions ensemble. Ils nous ont sorti nos chiffres, en expliquant simplement que c'était trop par rapport aux autres mais en disant qu'il n'y avait pas de seuil. Finalement, je ne fais pas tant de DE que ça, étant donné que mon remplaçant n'en fait pas : je suis à 40% de mes consultations.
Des consultations "longues et de qualité", "multi-motifs"
Après nous avoir présenté leurs superbes graphiques et diagrammes, ils nous ont demandé de nous expliquer. J’ai commencé. Je suis restée sur ma ligne, en faisant valoir que mes consultations de 20 à 30 minutes étaient longues et de qualité, que pour les trois quarts elles étaient multi-motifs et qu’il s’agissait aussi de consultations urgentes, dont le rendez-vous avait été pris le jour même donc j’estimais que ça méritait un complément d’honoraires. J’ai également souligné que les patients l’avaient très bien pris.
Ils m’ont répondu que ce n’étaient pas des raisons valables d’après la convention, que ça doit rester dans le cadre d’une exigence du patient en termes de temps ou de lieu.
Je leur ai demandé ce qu’ils me proposaient, du coup, pour assurer la pérennité de mon entreprise et la survie de mon cabinet. Ils n’ont pas su quoi me répondre, simplement qu’il fallait que je respecte la convention…
Je leur ai donc dit que soit je continuais les dépassements, soit je changeais d’activité, soit je me déconventionnais. On doit refaire un point dans un ou deux mois pour voir où j’en suis dans ma pratique, et décider s’il doit y avoir ou non des sanctions. Je risque des sanctions financières, avec la non prise en charge de mes cotisations, et un déconventionnement.
Après réflexion, j’ai décidé de continuer les compléments, en réexpliquant bien aux patients par le biais d’un courrier que toute consultation de plus de 10 minutes, de plus d’un motif ou obtenue pour le jour même sera facturée avec un dépassement ; les autres resteront au tarif conventionnel. Ça va sans doute réduire les DE en termes de proportions, mais pas beaucoup.
C’est quand même difficile, c’est une période d’incertitude, où l’on doit gérer ce problème en plus de la charge médicale et administrative. Alors que ça ne coûte rien à l’Assurance maladie… C’est source de stress.
"Je suis déjà dégoûtée d’être généraliste"
Mais il faut que j’aille au bout de mes convictions. Si on ne bouge pas, qu’on reste dans une attitude passive, on voit ce que ça donne : c’est de pire en pire ! Moi qui suis installée depuis 2018 je suis déjà dégoûtée d’être généraliste. Si je ne vais pas au bout, il faudra que je change de profession. C’est ma manière de lutter. Si ça se termine mal pour moi, finalement j’aurais fait ce que j’ai pu, j’aurais tout tenté à mon niveau. Tant pis pour eux, tant pis pour moi aussi, mais surtout dommage pour les patients. Je vais au bout de mon combat et advienne que pourra !
Même si le déconventionnement est quelque chose que je peux envisager, au fond de moi, je n’en ai pas envie. Ce n’est pas ce que je souhaite, ni pour moi ni pour mes patients. Car mes patients comme moi, on est contents comme ça. Depuis que je demandais mes compléments, ça allait bien, mon entreprise pouvait survivre et moi j'avais retrouvé un peu d'entrain en allant au travail, en étant valorisée. Je ne vois pas pourquoi je devrais repartir dans des démarches compliquées de déconventionnement et que les patients soient lésés… A côté, il y a déjà un cabinet de quatre médecins qui a fermé et au moins deux médecins aux alentours qui partent à la retraite.
Et puis j’estime que ça doit venir de l'Assurance maladie. Je ne veux pas leur faire ce ‘cadeau’.
A la CPAM de l'Isère, nous sommes au moins quatre dans cette situation. Il doit y en avoir d'autres ailleurs en France car ils nous ont dit que c'était une consigne nationale*. On sert un peu d'exemples, et quelque part ça marche. Car quand j'ai dit sur les réseaux que j'étais convoquée, il y a plein de gens à qui ça a fait peur…
J'espère que les médecins ne vont pas rentrer dans le rang. Ça fait des années qu'on nous mène en bateau et ça passe… Il y a des médecins à qui ça convient bien de travailler en semi-salariat avec la Sécu, mais moi ça ne me convient pas, j'ai trop l'âme d'une libérale pour ça. Je me suis installée rapidement après mon internat, mais clairement, si c'était à refaire aujourd'hui je ne m'installerais pas."
*La Caisse nationale d'Assurance maladie (Cnam) n'a pas donné suite à nos sollicitations.
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