Composer le 15 et montrer la victime au médecin régulateur : la promesse d’Urgentime
Il y a une dizaine d’années, Anthony Tabuyo a été victime d’un grave accident de moto. Au bout du fil, les secours sous-estiment le degré de gravité et le jeune homme frôle "la paralysie à vie". Pour les médecins, un simple outil aurait pu améliorer la prise en charge : un appel vidéo. Anthony Tabuyo et Jovien Chappex ont donc développé leur propre plateforme d’appels vidéo, Urgentime, qui vient de récolter 750 000 euros grâce à l'émission "Qui veut être mon associé" et qui s'impose peu à peu dans les Samu français.
S’il ne s’était pas fait "rouler dessus", la vie d’Anthony Tabuyo aurait pris un tout autre tournant. Il y a une dizaine années, le jeune homme, âgé de 23 ans à l’époque, a été victime d’un grave accident de moto. Une personne sur place appelle le 15, mais les secours au bout du fil "évaluent mal le niveau de gravité" de son état, en le sous-estimant : un véhicule de pompiers est mobilisé, sans aucun médecin à son bord. Une erreur qui aurait pu entraîner de lourds handicaps. "J’ai frôlé la paralysie à vie", confie Anthony Tabuyo. "A l’hôpital, j’ai demandé : s’il y avait eu une vidéo de moi, est-ce que ça aurait permis de faire le bon diagnostic [et d’envoyer un médecin sur place] ? Le médecin m’a dit bien sûr !", se souvient-il. Quelques années après son accident, le jeune homme délaisse ses études de mathématiques pour mettre au point son propre dispositif d’appel vidéo à destination des secours. Avec son ami, Jovien Chappex, ils fondent Urgentime. Lorsqu’une personne compose le numéro des secours, le médecin qui lui répond peut, s’il juge nécessaire, voir la victime à travers un écran. Cela peut lui permettre d’orienter sa réponse mais aussi d’aider la personne à prodiguer les premiers secours.
Pour ce faire, le médecin doit alors "se connecter sur une page web à l’aide d’un mail et d’un mot de passe", détaille Anthony Tabuyo. Il lui suffit ensuite d’insérer le numéro de téléphone du patient. Ce dernier reçoit un sms avec un lien qui donne accès à l’appel vidéo. Le médecin, lui, n’est pas filmé pour des raisons de sécurité, précise-t-il. Au moment où le jeune entrepreneur présente son dispositif aux médecins, les premières réactions ne sont pas enthousiastes. "Je n’avais pas de crédibilité auprès d’eux, reconnaît-il, je n’étais pas compris." Jusqu’au jour où plusieurs médecins se laissent tenter par le projet. Pour le Dr Christian Di Filippo, responsable médical du Centre de réception et de régulation des appels (CRRA) à l’hôpital Edouard-Herriot (Hospices civils de Lyon), cet outil est aujourd’hui devenu "incontournable".
La régulation par vidéo déployée aux Hospices civils de Lyon
En décembre, son service l’a utilisé en moyenne 39 fois par jour. Urgentime est particulièrement utile, selon lui, en pédiatrie. "Cela permet de raccourcir l'interrogatoire audio et de se rendre compte facilement de la situation, surtout lorsque les parents perdent leurs capacités de formulation en situation d'urgence", explique-t-il. Grâce à la vidéo, il peut "évaluer rapidement la tonicité des enfants, leur teint, leur conscience…". La plateforme peut aussi être utile dans d’autres cas, comme en traumatologie. Elle permet par exemple de "voir les plaies, les fractures, ou les circonstances [d’un accident]". Ces informations permettent ainsi au médecin d’améliorer la réponse et de "limiter l’envoi de secours" lorsqu’il juge que cela n’est pas nécessaire.
Tony Parker en business angel
En janvier dernier, le duo se lance un nouveau défi : participer à l’émission "Qui veut être mon associé ?", diffusée sur M6. Le programme permet à des entrepreneurs de présenter leur projet devant un jury de sept investisseurs, prêts à financer les entreprises qu’ils jugent les plus prometteuses. Avec 750 000 euros récoltés, Urgentime a reçu la plus grosse somme de toute la saison. "C’est une aide pour aller plus vite, mais ce n’était pas le but premier", reconnaît Anthony Tabuyo. La principale raison de la participation du duo était d’acquérir de la "visilibité car plein de Samu ne savent pas que notre projet existe". Les deux co-fondateurs venaient aussi chercher des mentors. "Des personnes qui peuvent nous accompagner pour faire grandir notre entreprise", explique-t-il. Parmi eux, l’ancien basketteur Tony Parker et le chef d’entreprise Marc Simoncini.
"Dans trois cas sur quatre, l'appel vidéo permet d'affiner le diagnostic"
Si Urgentime est déjà utilisée par "un quart" des Samu en France, la plateforme d’appel vidéo "marche mieux à l’étranger". "Le Samu de Genève, en Suisse, utilise les appels vidéo une fois sur cinq", détaille le cofondateur. Aux Etats-Unis, un tiers des centres d’urgence utilisent Urgentime. Pour expliquer cet engouement américain, l’entrepreneur indique avoir réussi à intégrer sa plateforme "dans le logiciel d’appel que les médecins utilisent, ce qu’on n’a pas réussi à faire en France", déplore-t-il.
Première en France : des interventions d'urgence en Tesla
Si la France semble plus réticente, le dispositif a pourtant déjà fait ses preuves. "Dans trois cas sur quatre, l’appel vidéo permet de changer le diagnostic médical et de l’affiner, explique-t-il. Et, dans un cas sur dix, la vidéo permet de sauver une vie qui ne pouvait pas l’être sans". Les Samu qui veulent utiliser Urgentime doivent débourser entre "2 000 et 3 000 euros par an". "Je ne veux pas que le prix soit une barrière bloquante", explique Anthony Tabuyo, qui précise qu’il ne pourrait pas faire vivre son entreprise uniquement avec ce service. L’entrepreneur propose également sa plateforme à des entreprises privées, de services après-vente [SAV], de maintenance, de service client, de dépannage… qui ont "une activité qui se rapproche beaucoup de celle du Samu", estime-t-il. En effet, le client a aussi un problème urgent et peut le montrer à l’aide de la vidéo à un professionnel.
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