David Gruson : "Cette crise nous montre que nous sommes à la fois grands et petits, forts et fragiles, courageux et lâches"

20/03/2020 Par Karen Ramsay
E-santé

Hier Ébola, aujourd’hui, le coronavirus. L’épidémie qui frappe en ce moment le pays se dévoile dans le prochain ouvrage de David Gruson, fondateur d’Ethik-IA. À l’occasion de la sortie prochaine de « SARRA, une conscience artificielle », l’ancien conseiller santé de François Fillon et ancien directeur de CHU, revient sur la possible corrélation entre la fiction et la réalité.     Egora : Vous publiez, le 23 mars prochain, le deuxième tome de « SARRA », au moment où le monde est confronté à l’épidémie de coronavirus. Ce virus, vous en parlez également dans votre livre. Une écriture prophétique, diront certains ! Dans votre cas, c’est la réalité qui inspire la fiction ou c’est la fiction finit par précéder – et dépasser – la réalité ?

David Gruson : Rien de prophétique là-dedans mais simplement une contingence vertigineuse dans laquelle je me suis retrouvé comme « coincé » à un moment de ma vie. L’idée de base de SARRA vient de la gestion d’une suspicion très complexe de cas d’Ébola que nous avions eue à affronter, fin 2014, avec les équipes du CHU de La Réunion. Ce moment avait été une épreuve mais aussi une véritable démonstration de solidarité et d’efficacité des équipes hospitalières dans un environnement de contraintes sanitaires, médiatiques et politiques. SARRA avait surtout, pour moi, un côté cathartique par rapport à cette expérience en l’extrapolant sur une échelle beaucoup plus large et en y ajoutant l’ingrédient essentiel d’une gestion de la crise par l’intelligence artificielle (IA). Et effectivement, il y a, dans les deux tomes, des résonances vraiment troublantes avec le réel très dur de 2020. Mais, franchement, j’aurais de loin préféré que la fiction reste de la fiction plutôt que d’avoir vu juste, en partie, dans l’anticipation. Dans le premier volet sorti en 2018, cette intelligence artificielle chargée de gérer l’épidémie d’Ébola, dit « le hasard n’existe pas ». Au-delà de cet imaginaire qui habille vos romans d’anticipation, est-ce que cette crise planétaire actuelle est une conséquence de systèmes sanitaires affaiblis ?
La crise actuelle conduit à remettre en cause beaucoup de certitudes que nous pensions bien établies. Des points de fragilité sont mis à jour et des clivages sont remis en cause, notamment celui d’une frontière Nord/Sud dans la gestion des risques épidémiques. Le Covid-19 montre que ces dangers sont systémiques et globaux. Nous avons besoin d’approches multilatérales fortes et d’une véritable Europe de la Santé. Ce risque du « cavalier seul » national face au risque pandémique est précisément l’un des thèmes centraux de SARRA 2. Mais il ne faut pas tomber non plus dans l’extrême d’une critique non réfléchie de notre système de santé : les professionnels font face avec un dévouement remarquable à cette crise majeure. Et le système de santé français montre aussi toutes ses qualités bien réelles face au Covid-19 : compétence et dévouement des professionnels, mobilisation rapide d’un effort de recherche structurant et très forte mobilisation de notre nation autour des valeurs fondatrices – et toujours bien vivantes – de notre système de santé.

A la lumière de ce qui se passe actuellement, que donne à voir S.A.R.R.A ? Quel visage du monde dépeint-elle ?
D’abord, je dois avouer qu’après le premier volet, je n’avais pas forcément l’intention de faire une suite. Mais j’ai réalisé, au début de l’année 2019, que SARRA avait encore des choses à nous dire sur notre réel et sur nous-mêmes. Que je n’en avais pas encore fini avec ce que ce personnage pouvait nous apporter. Pour le meilleur et pour le pire. Nous avions depuis longtemps prévu avec mon éditrice une sortie du tome 2 en mars 2020, sans bien sûr pouvoir présupposer le contexte...

dans lequel nous serions plongés. Pour vous répondre plus directement, je dirais que nous apparaissons dans SARRA tels qu’en nous-mêmes et tels aussi que les circonstances actuelles nous donnent à voir. Nous sommes en même temps grands et petits, forts et fragiles, courageux et lâches. Et nous essayons de nous débattre avec la crise avec nos moyens et notre force d’âme. En résumé, nous sommes humains. Et c’est l’essentiel. Un polar bioéthique qui interroge : l’intelligence artificielle, amie ou ennemie ?
Je pense que ce qui fait la puissance du personnage de SARRA, ce qui fait qu’elle suscite autant de réactions – aussi de bien de rejet que d’adhésion, d’ailleurs – c’est de nous montrer une machine qui n’est ni bonne, ni mauvaise en soi. C’est une IA qui applique sa programmation, sans affect et en recherchant ce qui est le mieux pour le plus grand nombre d’entre nous. Mais en pouvant pousser cette logique jusqu’à des extrêmes qui peuvent être sources d’actions péjoratives ou de sacrifices. Le monde de SARRA, c’est celui d’une tension permanente entre la personne et le collectif.

L’intervention de l’IA dans le domaine de la santé interroge sur la façon de soigner et d’envisager la relation patient-soignant. Que gagnerait-on au final ?
Dans ma vie professionnelle, avant comme directeur d’hôpital et aujourd’hui comme directeur du programme Santé de Jouve et comme fondateur d’Ethik-IA, je défends résolument l’ouverture de nos systèmes de santé aux opportunités ouvertes par le numérique et l’intelligence artificielle. Le premier risque éthique serait de se fermer à tout ce potentiel d’innovations. Et nous avons pu d’ailleurs déjà observer de multiples formes de recours à l’IA dans la gestion de crise Covid-19 : IA de repérage des foyers épidémiques, apprentissage-machine par reconnaissance d’image sur des clichés pulmonaires ou encore recours à des drones pour faire respecter les mesures de confinement… Tout ceci est évidemment positif dans son principe mais comporte intrinsèquement aussi des risques pour notre avenir comme humanité. Le message principal de SARRA, c’est que nous risquons, si nous n’y prenons pas garde, de nous retrouver coincés entre le virus et la machine. Par souci d’efficacité...

dans la gestion de crise, nous pouvons perdre de vue ce qui fonde la médecine en France et en Europe : la personnalisation, le colloque singulier entre le soignant et son patient. Pour préserver ces valeurs, nous avons à tout prix besoin d’une garantie humaine de l’IA par les professionnels et les patients. Et il faut se féliciter d’ailleurs que cette notion, inventée dans le tome 1 de SARRA, soit aujourd’hui reprise à l’article 11 du projet de loi bioéthique et dans le Livre blanc de la Commission européenne sur l’IA. D’une « intelligence artificielle » décrite au tome 1, SARRA devient une « conscience artificielle ». Que démontre cette évolution ?
Dans le tome 2, SARRA a fait un très important chemin d’apprentissage en métabolisant l’ensemble de nos données. Elle est même devenue capable de se faire une représentation de nos consciences via les puces neuronales qu’un grand nombre d’entre nous se sont fait implantées, à partir de 2024 et contre rémunération, par les deux géants du numérique que sont PanGoLink et FU-TECH. Pour autant, comme elle le dit elle-même dans le livre, même si elle acquiert une certaine forme de conscience « elle restera à jamais notre Créature ». Quel regard la machine peut-elle porter sur son créateur, ses grandeurs et ses faiblesses ? C’est un angle que je voulais explorer. Les deux volets de S.A.R.R.A seront adaptés sous forme de série télévisée. Un pronostic sur le casting ? Quelle sera la « touche Gruson » dans cette réadaptation ?
Ce projet d’adaptation est le fruit d’une très belle rencontre avec Déborah Helpert et Romain Malbosc, fondateurs d’Alandra Productions. Ils ont une vraie expérience de la fiction d’anticipation faite pour divertir mais aussi faire réfléchir. Et ils ont souhaité, via un fonds de dotation accolé au projet de série, mettre en place un système innovant de collecte de financements qui seront reversés à la Fondation MSF qui développe une initiative essentielle sur le développement d’outils numériques et d’IA responsables pour notre santé. Ma touche ? L’équipe m’a demandé de les conseiller pour que la série soit la plus respectueuse possible de l’esprit des livres. Mais vous savez, chacun son travail et je leur fais confiance pour arriver à un beau résultat.     « SARRA, une conscience artificielle »,
éditions Beta Publisher, 14 €. 

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