Hold-Up : les dessous d'un documentaire complotiste qui mélange Covid, 5G, Bill Gates et vaccins

Financé à l’aide d’une généreuse campagne de crowdfunding, le documentaire “Hold-Up” entend dénoncer “mensonges, corruptions et manipulations” sur le Covid-19 en France à l’aide du décryptage de plusieurs médecins, chercheurs, professionnels de santé et professeurs dont Philippe Douste-Blazy, le Pr Christian Perronne ou la députée et psychiatre Martine Wonner. Mais beaucoup lui reprochent d’évoquer une vaste conspiration mondiale autour du virus, avec un prisme complètement biaisé. A commencer par l’ex-ministre de la Santé, qui se désolidarise de la production, comme il le confie à Egora   

13/11/2020 Par Marion Jort

Mensonges. Corruption. Manipulations. Trois mots inscrits en grand sur l’affiche de promotion du documentaire “Hold-Up” (production Tprod et Tomawak) dont l’annonce de la sortie a fait “sensation”. “Covid-19, retour sur un chaos”, prévient également ce documentaire sur son affiche de promotion. A côté du texte, deux personnes masquées avec les logos de médias tels que l’AFP, CNews, BFM TV ou TF1 dans les yeux.  Le ton est donné : il s’agit de “tirer au clair les erreurs commises au plus haut niveau”. Alors que le documentaire est sorti officiellement le 11 novembre, CheckNews souligne que des milliers de publications le mentionnaient déjà sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête. Une popularité due en partie à sa diffusion gratuite sur des plateformes en ligne avant la sortie officielle, contre la volonté des producteurs, qui l’ont d’abord proposé de manière payante avant de changer d’avis. 

“Notre but : avertir, alerter, informer la population de ce qui est en train de se tramer de façon totalement pernicieuse et extrêmement bien calculée”, affirme Christophe Cossé, l’un des producteurs du film. Dans une tribune justifiant la production de son documentaire, ce dernier estime que “se profile la vaccination massive, et son corollaire, le fichage de chaque individu. En France, en Europe, mais dans le monde entier, au prétexte d’un virus pas plus offensif qu’un autre Covid saisonnier. Quelle incroyable et phénoménale entreprise de manipulation globale, au service d’une sombre idéologie, qui avant d’accomplir son dessein, distille la peur, la menace et la confusion afin que chacun perde ses repères pour mieux embrasser le pouvoir et l’autorité dans une servitude volontaire et rassurante”.

“Outre que le fait de confiner toute une population saine et non malade a été et demeure une première dans l’histoire de l’humanité, toutes les études qui ont été produites depuis le premier confinement rejoignent les conclusions des précédentes, à savoir l’inefficacité de cette mesure. Serait-elle politique ? (...) Il serait également bienséant de préciser, dans un souci de transparence et d’honnêteté, que le nombre de patients en réanimation tient aussi compte du nombre de patients en soins intensifs dans le privé. Toutefois, dans le calcul de Monsieur Véran et de son comité scientifique, on compte les malades du privé, mais pas le nombre de lits; simple tour de passe-passe pour permettre d’augmenter le taux d’occupation en réanimation et de justifier la peur, la panique ou la terreur. Étrange pour des médecins”, écrit-il encore.  

C’est pour répondre à tout cela - et bien d’autres points qui suscitent la controverse - que le producteur a réalisé un documentaire qui dure 2h45. Il faut d’ailleurs attendre plus de 2h30 pour comprendre l'angle véritable de ce documentaire, résumé ainsi par Libération : “le Forum économique mondial (Davos) se sert du Covid-19 (maladie qui serait causée par un virus fabriqué par l’homme) dans le cadre d’un 'plan global [pour] soumettre l'humanité', appelé le 'Great Reset'”.    

 

Casting XXL 

Parmi les  37 personnalités intervenant tout au long du film se trouvent notamment :  le biophysicien, chimiste et prix Nobel Michael Levitt; Michael Yeadon, ancien directeur de la recherche chez Pfizer; Astrid Stuckelberger, professeur et docteur en médecine; Miguel Barthélémy, ex-docteur en médecine moléculaire; Alexandra Henrion-Caude, généticienne et ancienne directrice de recherche de l’Inserm; Pascal Trotta, radiologue homéopathe et nutritionniste, la députée Martine Wonner ou l’ex-ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy l'épidémiologiste Laurent Toubiana ou Jean-Dominique Michel, anthropologue suisse qui évoquait en mars 2020 une “hallucination collective” à propos de la pandémie” et le chef de service des maladies infectieuses de l'hôpital de Garches, le Pr Christian Perronne. 

Plus étonnant, les réalisateurs ont fait le choix de faire intervenir des inconnus, anonymes. Comme au tout début, avec l’intervention d’un chauffeur de taxi, Mamadou, donnant allégrement son avis au même titre que les médecins précédemment cités. Plus loin, un homme présenté comme un “ancien opérateur du renseignement” affirme par exemple que “le virus avait été fabriqué” et que cette information lui avait été fournie par une “source de l’Agence de sûreté nucléaire”.   

 

Ce que le documentaire dit... 

Présenté comme une enquête journalistique, le documentaire fait pourtant l’impasse sur la contextualisation et les sources de ses nombreuses données chiffrées assénées pendant tout le film. Les propos des intervenants, parfois à peine présentés, filmés dans le noir sur fond de musique anxiogène, ne sont jamais questionnés ni remis en cause. Le parti-pris est de s’intéresser dans un premier temps à des sujets “vastes” comme la peur entretenue par les politiques et les grandes instances telles que l’OMS. Ensuite, le Covid ne serait guère plus qu’une “grippette”, les morts du virus trop semblables aux “morts naturelles” et les mesures sanitaires prises depuis le printemps seraient "liberticides", incompréhensibles, preuve que le monde entier se serait fait berner par des élites calculatrices et corrompues. D’autres controverses ayant émergé pendant la pandémie sont également largement reprises, retrait de l’hydroxychloroquine en ville et LancetGate en tête. 

Le documentaire fait également la part belle au Pr Raoult et à son protocole. Il évoque aussi, par exemple, une intox du Rivotril : d’après le pharmacien Serge Rader, antivax notoire, l’autorisation par le Gouvernement de la vente en pharmacie du sédatif est la porte ouverte à une législation de l’euthanasie des personnes âgées. “Non seulement on ne les a pas amenées en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement alors qu’ils étaient déjà en détresse respiratoire”, assène-t-il. 

Et puis, Hold-Up affirme que les médecins seraient payés pour déclarer des cas de Covid, ou tout du moins incités financièrement à le faire.    

 

… Et ce que le documentaire ne précise pas 

Comme le dévoile l’enquête de CheckNews, une bonne partie des intervenants sont membres de l’association BonSens, qui se décrit comme “lobby citoyen” de personnalités critiques vis-à-vis de la gestion de la crise. Globalement, tous ont été choisis pour leurs propos critiques envers l’épidémie. Si on ne présente plus le Pr Perronne, il convient en revanche de souligner que le “lanceur d’alerte” Silvano Trotta est un youtubeur pro-Trump, qui évoque sans hésiter la “Plandémie”. Il est également connu pour relayer des fake news à propos des élections américaines. 

Font également partie du casting des personnalités qualifiées de “rassuristes” comme Laurent Toubiana, qui considérait auprès d’Envoyé Spécial début octobre que la deuxième vague n’en était pas une. Plus étonnant : Monique Pinçon-Charlot, sociologue traditionnellement classée à gauche et qui a beaucoup travaillé avec son mari sur le thème de la haute bourgeoisie, critique le discours de “peur” véhiculé par les médias et va même jusqu’à parler d’une “Troisième Guerre mondiale” et d’un “Holocauste” visant à “éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité, parce que les riches n’en ont plus besoin”, précise Libération. Enfin, l'Inserm s'est désolidarisé de la chercheuse Alexandra Henrion-Claude suite à ses propos affirmant que le virus avait été manipulé par l'Homme, tenus le mois dernier.   

 

Intox et fake news 

Après l'avoir analysé à la loupe, de nombreux décrypteurs ont pu relever bon nombre de contre-vérités affirmées tout au long du documentaire. En voici une sélection : 

-"Le virus a particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe", affirme la voix off du documentaire affirme, chiffres de l’Insee à l’appui. A cette époque, il y avait un décalage de 28 jours entre le moment de l’infection et celui de décès causé par le Covid. 

-"On a interdit les autopsies à cause d'une instruction de l'OMS" affirme l’endocrinologue Violaine Guérin. L’Organisation mondiale de la Santé n’a jamais interdit les autopsies. En revanche, au début de la crise, elle appelait les légistes à la prudence dans la mesure où les corps pouvaient continuer à être contagieux. 

 - “On a vu un pic de mortalité pendant deux-trois semaines qui était l’effet Lancet, puisque les gens avaient arrêté de prescrire”, assure le Pr Perronne. Aucun pic de mortalité n’a pu être observé entre fin mai et mi-juin, ni en France, ni dans d’autres pays européens tels que l’Espagne ou la Suisse, rappelle Sciences et Avenir.  

- “Ce virus va jusqu’à faire construire des futurs camps d’internement au Canada”, affirme la voix off avant de diffuser un extrait du député canadien Randy Hillier à ce propos. Il s’agit en réalité de chambres d’hôtels mises à disposition des personnes qui entrent sur le territoire canadien, rappelle les Décodeurs du Monde, et qui n’ont pas d’autre endroit pour respecter l’isolement obligatoire de 14 jours.   

-L’autorisation du Rivotril est la porte ouverte à une légalisation de l’euthanasie des personnes âgées. Olivier Véran lui-même avait répondu à ces accusations début novembre : “On ne pouvait plus utiliser les médicaments de confort de fin de vie pour des gens qui allaient mourir. Il y avait deux options : ou on laissait les gens mourir d’agonie dans les Ehpad (…), ou on les accompagnait pour les soulager avec un autre médicament qu’est le Rivotril, conforme aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs”, expliquait alors le ministre de la Santé.    

 

Mais qui sont donc les coupables ? 

Pour Hold-Up, les coupables sont Bill Gates, Jacques Attali et David Rockefeller. Pourquoi ? Parce que ces élites auraient anticipé l’épidémie de Covid-19 et en auraient profité financièrement pour conquérir leur pouvoir. Bill Gates est par exemple présenté comme un “spécialiste des virus après avoir échoué à les maîtriser chez Microsoft”. Il lui est notamment reproché d’avoir émis l’hypothèse que l’humanité serait un jour confrontée au danger d’une épidémie. “Un virus plus puissant qu’une bombe atomique ? J’ai peine à le croire. À moins que celui-ci ne soit utilisé comme arme de guerre. Tout doit être envisagé”, ironise la voix off. Est également cité le Dr Anthony Fauci, chef de la cellule de crise de l’administration Trump, qualifié de “suiveur” 

Selon le documentaire, le Covid aurait été orchestré par le forum économique de Davos [qui accueille chaque année les chefs d’Etats et les dirigeants de grands groupes, NDLR]. Il cible le projet “Great Reseat”, porté par ce forum, visant à réfléchir aux moyens d’assurer une “croissance économique plus durable” à l’occasion de la crise économique causée par la crise sanitaire. De manière très confuse, le documentaire fait aussi le lien entre les nanoparticules, la 5G et la crypto-monnaie.    

 

Philippe Douste-Blazy se désolidarise  

Contacté par Egora, l’ex-ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy n’a pas caché sa colère lorsqu’il a découvert le montage :  “Je ne suis pas du tout pour les thèses conspirationnistes et complotistes. Quand j’ai vu ce documentaire, il m’a semblé essentiel de le rappeler. Je n’approuve pas du tout ces théories”, s’agace-t-il. 

 Le co-fondateur de la plateforme participative Ulule s’est aussi désolidarisé de ce documentaire, dans un long message posté sur Twitter :   

  De nombreux élus politiques ont tenu à dénoncer le message véhiculé tout au long du film, comme la députée LREM Laetitia Avia. 

 

Enfin, certains spectateurs attentifs auront relevé un détail qui n’en est pas un… Si initialement le logo CNews apparaissait en gros sur l’affiche, il semblerait que ce dernier ait été retiré après l’invitation de ses réalisateurs sur la chaîne d’information en continue. 

 

Un documentaire financé grâce aux financements participatifs  

C’est grâce à une généreuse campagne de crowdfunding que les réalisateurs ont pu tourner leur film. Depuis le 18 août, 182.970 euros ont été récoltés via Ulule. L'objectif initial de 20.000 euros a été atteint en quatre jours. “La très bonne surprise a été l’engouement de tout le monde sur cette campagne qui finalement nous a permis de tourner directement et de faire face à nos premières dépenses”, se satisfait l’équipe de T-Prod sur son site Internet. D'après elle, l’argent a été réparti de la manière suivante : 50.000 euros pour les archives, 45.000 euros pour le tournage plateau, 55.000 euros pour la post-production et le graphisme, 5.000 euros pour la musique, 45.000 euros pour les salaires, charges sociales et production, 16.650 euros pour les salaires et les charges sociales de la réalisation, 15.000 euros de frais de déplacement et de repas, 2.000 euros pour des cadeaux aux contributeurs, 10.000 pour la version anglaise et 13.600 euros pour les frais de production comprenant par exemple l’assurance et la comptabilité. 

Après vérification sur les deux plateformes de financement participatif, la somme de 182.970 euros a effectivement été récoltée via Ulule. En revanche, une autre cagnotte en ligne ouverte sur Tipee garantit aux producteurs la somme de 122.377 euros par mois. Un engagement sans limite de temps, que les 6.247 donateurs peuvent poursuivre tant qu’ils le souhaitent. 

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