C'est en voulant protéger les mains de sa douce que William Halsted a révolutionné la pratique de la chirurgie outre-Atlantique, et permis de faire chuter le nombre d'infections au bloc opératoire. Mais pour comprendre comment il a contribué à ce progrès, il faut revenir sur le parcours de celui qui est aujourd'hui considéré comme l'un des chirurgiens les plus innovants et brillants qu'aient connu les Etats-Unis. William Halsted naît à New York en 1852 au sein d'une famille aisée. Il est l'aîné d'une fratrie de quatre enfants. Plus jeune, il reçoit les enseignements de tuteurs qui se succèdent au domicile familial, situé sur la célèbre 5e avenue, avant d'être envoyé dans une école privée du Massachusetts à l'âge de 10 ans. Une expérience désagréable pour le petit-garçon, qui fuguera temporairement de l'établissement. Il entre l'année d'après à l'académie Phillips, à Andover, de laquelle il sort diplômé en 1869, à l'âge de 17 ans. Mais l'adolescent ne se sent pas prêt pour entrer à l'université et décide donc de s'accorder une année pour étudier chez lui. Il fait son entrée à l'université de Yale en 1870. William Halsted est un élève peu assidu. Il fréquente peu la bibliothèque, s'intéressant davantage aux activités sportives et aux différents clubs qui se trouvent sur le campus. L'étudiant est plutôt populaire et noue de nombreuses amitiés. Au fil des mois, il commence néanmoins à s'intéresser de plus près à l'anatomie, à la physiologie, et assiste à des lectures à l'école de médecine de Yale. Diplômé en 1874, il entre au College of Physicians and Surgeons de l'université de New York. Très rapidement, le jeune homme se révèle particulièrement doué, et s'investit corps et âme dans ses études. Epuisé par des heures et des heures d'apprentissage, il s'accorde un été de repos sur la sauvage Block Island. A son retour, il s'inscrit à un examen pour obtenir un stage à l'hôpital Bellevue. Seuls les candidats déjà diplômés sont théoriquement éligibles, mais Halsted – à qui il reste pourtant un an d'études – parvient à décrocher ce stage. Durant un an, il assiste de nombreux médecins lors d'opérations dans divers domaines. Influence européenne C'est à cette période que le Dr Joseph Lister, célèbre chirurgien britannique, se rend aux Etats-Unis pour décrire le principe d'antisepsie, visant, entre autres, à limiter les germes infectieux, découlant des recherches de Pasteur. Certains chirurgiens de Bellevue adhérent à ce principe, d'autres pas. Halsted, lui, est impressionné par les résultats de ceux qui pratiquent l'antisepsie au bloc. Cela marquera le reste de sa carrière. Diplômé officiellement de l'école de médecine en 1877, il prend un poste au New York Hospital. Il y rencontre le Dr Welch, avec qui il se lie d'amitié. Après un an de pratique, William Halsted a acquis de l'expérience. Mais ce n'est pas suffisant à ses yeux. Comme bon nombre de jeunes diplômés, il décide de partir en Europe – notamment en Autriche, en Allemagne et en Suisse, car il n'existe pas aux Etats-Unis de programme dans les hôpitaux pour préparer les jeunes médecins à une carrière en médecine ou en chirurgie. Halsted revient de son voyage à l'automne 1880 avec dans ses bagages, les principes de la chirurgie moderne. A cette époque aux Etats-Unis, on accorde peu d'importance à la douleur des patients. Il reste à développer l'anesthésie pour contrôler la douleur, à mettre au point des instruments pour stopper les saignements, et à établir le principe d'antisepsie – prôné par Lister – pour prévenir les infections. William Halsted importe la philosophie de "safe surgery", avec, comme règles, se laver les mains avant les opérations, aseptiser la peau des patients, utiliser des pinces hémostatiques pour limiter les saignements, etc. Avec, toujours, une grande méticulosité et une rigueur implacable. En bourreau du travail, il exerce dans plusieurs établissements new yorkais de 1880 à 1886 : Roosevelt Hospital, Charity Hospital – où il opère la nuit, Bellevue Hospital…C'est dans cet hôpital qu'il créa – avec l'aide financière de sa famille – sa propre salle d'opération pour y appliquer la technique d'antisepsie.
Inspiré par l'Europe, il décide également d'enseigner, et devient rapidement un très grand professeur. Ses étudiants sont parmi les mieux classés dans les différents concours. Sa réputation. de chirurgien grandit ainsi rapidement. En 1882, il réussit ce qu'il décrit comme étant l'une des premières opérations de retrait de calculs biliaires aux Etats-Unis sur sa propre mère par cholécystectomie, en pleine nuit, au domicile de cette dernière. Désintoxication Sa carrière brillante prend un tournant dramatique fin octobre 1884 lorsque qu'il s'intéresse à des travaux présentés lors d'un congrès d'ophtalmologie à Heidelberg, en Allemagne, et publiés dans le Medical Record, sur les propriétés anesthésiantes de la cocaïne appliquées en chirurgie oculaire. William Halsted se procure de la cocaïne et commence à l'expérimenter sur lui-même mais aussi sur des collègues et étudiants. Tous deviendront accros. Halsted ne peut se passer de sa dose – puis de ses doses – quotidienne. Il publie d'ailleurs un article sur l'anesthésie locale et régionale en 1885 qui, d'après un article paru dans les Annales de la chirurgie, est incohérent, décousu, et témoigne de l'état de dépendance dans lequel se trouve le chirurgien.
Alors que la plupart de ceux avec qui il avait expérimenté la cocaïne comme anesthésiant décèdent, William Halsted se rend au Butler Hospital en désintoxication. Là-bas, on pense le guérir en remplaçant la cocaïne par la morphine… Il restera dépendant à cette substance toute sa vie. Il reste de longs mois au Butler Hospital de Providence jusqu'à ce que les médecins estiment qu'il est en état de sortir. Mais à New York, "on ne voulait plus de lui, sa réputation de chirurgien était grillée, entachée de toute cette histoire et amoindrie par sa longue absence", rapporte le Pr Jean-Noël Fabiani-Salmon, dans Les Sœurs d'Hippocrate, ces femmes qui ont fait l'histoire de la médecine (éd. Les Arènes). Son ami, le Dr Welch l'invite à rejoindre l'équipe du nouvel hôpital John Hopkins de Baltimore, qui s'apprête à ouvrir ses portes. En attendant l'ouverture, il s'adonne à la recherche dans le labo du Dr Welch, et participe à faire progresser la chirurgie digestive, en montrant l'importance de la sous-muqueuse dans les sutures intestinales. On parle encore aujourd'hui de suture de Halsted. Il s'intéresse également à la glande thyroïde. Lorsqu'ouvre le John Hopkins Hospital, il crée un programme pour former les futurs chirurgiens, constituant un héritage précieux. En parallèle, il continue de perfectionner ses travaux sur les hernies, les anévrismes ou encore la mastectomie radicale dans le cancer du sein. Les mains de Caroline C'est à l'hôpital John Hopkins que William Halsted va faire la rencontre de Caroline Hampton. Originaire de Caroline du sud, la jeune femme a désobéi à sa famille pour entreprendre des études d'infirmière à New York. Appliquée et dévouée à son travail, elle devient infirmière-chef et assiste William Halsted, devenu chirurgien en chef de l'hôpital – il obtiendra le titre de professeur en 1892, lors de ses opérations. Ce dernier en tombe éperdument amoureux. Dans Les Sœurs d'Hippocrate, le Pr Jean-Noël Fabiani-Salmon raconte qu'à cette période, William Halsted propose des cours facultatifs pour former les infirmières, "en dehors des horaires de service", parfois même le dimanche matin. "Après l’engouement des premières séances, la fréquentation de bien des infirmières se fit plus espacée. Une seule restait constamment présente : Caroline."
Un jour, la jeune infirmière annonce au chirurgien en chef qu'elle est contrainte de quitter ses fonctions. Ses mains lui font terriblement mal. En cause : elle souffre d'une dermatite causée par le chlorure de mercure et l’acide phénique utilisés pour désinfecter les mains du personnel soignant et stériliser les outils chirurgicaux. La dermite sur les mains et les bras de Caroline ne cesse de s’aggraver, ce qui l'empêche de travailler. Ne voulant pas se résoudre à la laisser partir, William Halsted va voir des représentants de l'entreprise spécialisée dans le caoutchouc Goodyear afin de les persuader de lui confectionner deux paires de gants pour protéger les mains de Caroline Hampton. C'est un succès ! L'infirmière les porta immédiatement au bloc et sa dermatite s'en alla. Les tourtereaux se marient en 1890 en Caroline du sud. Une union dont le Dr Welch sera le témoin. N'ayant d'yeux que pour son infirmière préférée, William Halsted n'avait pas imaginé que l'ensemble des soignants pouvaient bénéficier de ces gants de protection. Bien qu'il ait toujours prôné des principes rigoureux d'antisepsie. A cette époque, la plupart des chirurgiens américains exercent encore mains nues. Beaucoup utilisent également la technique du "no touch", consistant à ne pas toucher les plaies en n’opérant que du bout des instruments chirurgicaux, eux-mêmes trempés dans l'acide. C'est son interne John Bloodgood qui commence à mettre des gants systématiquement à John Hopkins. Et ce dernier en constate rapidement les bienfaits : sur 100 patients opérés d’une hernie inguinale, un seul a souffert de complications par suppuration. En remuant ciel et terre pour sa bien-aimée, William Halsted a donc d'une certaine façon contribué à protéger les soignants et les patients. En réalité, le chirurgien de Baltimore n’est pas le premier à avoir eu l’idée d’utiliser des gants en médecine, mais on peut penser qu'il a permis de développer leur usage. Des documentations montrent qu'en 1847 et 1848, les Drs Catell et Acton utilisaient déjà des gants lors des examens gynécologiques et des autopsies. Dix années après Halsted, le chirurgien français Henri Chaput a fait évoluer les gants chirurgicaux en les faisant imperméabiliser et stériliser à la vapeur. Car à cette époque, les gants sont réutilisables. En 1899, il écrit : "Mes gants, sont assez résistants pour bouillir tous les jours sans s’altérer. A la longue, ils se distendent exagérément et ne sont plus bons qu’à faire des pansements." Il faudra attendre des années pour que les gants chirurgicaux soient utilisés dans tous les blocs opératoires. Les gants à usage unique ne seront d'ailleurs généralisés qu’en 1975. Sources : William Stewart Halsted. Our surgical heritage. J L Cameron Ann Surg. 1997 May; 225(5): 445–458. Les Sœurs d'Hippocrate, ces femmes qui ont fait l'histoire de la médecine (éd. Les Arènes), de Jean-Noël Fabiani-Salmon, illustré par Laetitia Coryn. The advent of surgical gloves, M.A Germain Biographical memoir of William Stewart Halsted 1852-1922 par W. G. Maccallu. La suture intestinale, histoire des différents procédés d'entérorraphie par Félix Terrier et Marcel Baudouin. William Stewart Halsted: Father of the model for our current surgical training programs, Eliza M. Slama, MD Allen Silbergleit, MD, PhD, FACS Department of Surgery, St. Joseph Mercy Oakland, Pontiac, MI
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