"Vous vous foutez de nous ?", lançait hier le Dr Jérôme Marty sous un post de la CPAM Seine-et-Marne. "Faut-il que nous tournions le dos à la science pour être respectés ?" Depuis hier, la colère gronde chez les médecins libéraux. En cause ? Une communication - retirée ce mercredi matin, puis mis à jour en milieu d'après-midi - de la caisse primaire du 77 annonçant le vote en conseil de plusieurs "aides extra-légales" destinées aux assurés pour "faire face aux dépenses imprévues liées à leur état de santé". "Un panel de plus de 50 aides financières spécifiques est proposé sur des thématiques variées", écrivait la caisse. Parmi les actes, bilans ou séances pouvant être financés grâce à ces aides : de la chirurgie reconstructrice réparatrice, des consultations diététiques, des séances de psychomotricité ponctuelles, ou encore de pédicurie.
La CPAM Seine-et-Marne indiquait également pouvoir participer aux frais dans le cadre de séances d'ostéopathie, de chiropractie, d'ergothérapie, d'hypnothérapie, d'acupuncture, de sophrologie et d'étiopathie. "Possibilité de participation à hauteur de : 50 euros par séance en fonction de la prise en charge de la complémentaire santé ; 4 séances par an pour les assurés qui n'ont pas de prise en charge par leur mutuelle ; un remboursement du reste à charge, jusqu'à 4 séances par an, pour les assurés qui bénéficient d'une prise en charge par la mutuelle", détaillait-elle dans son post.
Il n'en fallait pas plus pour faire réagir les représentants de médecins libéraux, déçus par les propositions tarifaires de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) présentées jeudi dernier dans le cadre d'une séance multilatérale de négociations conventionnelles. Pour rappel, la Cnam a proposé une hausse du G à 30 euros et des revalorisations spécifiques pour les autres spécialités cliniques, mais sans préciser l'agenda de "montée en charge". En outre, ces évolutions tarifaires sont conditionnées à des "engagements collectifs" en faveur de l'accès aux soins. Dans ce contexte, la communication de la CPAM Seine-et-Marne apparaît ainsi "malvenue", soulignent des représentants de médecins libéraux. D'autant que ces "aides extra-légales" concernent, en partie, des pratiques "non éprouvées par la science".
"J’ai prévenu sur X Marguerite Cazeneuve et Thomas Fatôme, j’ose espérer qu’ils vont agir pour stopper cette dérive grave et insultante pour la médecine, les médecins et dangereuse pour les patients. J’attends des explications alors que votre échelon national se pince le nez à l’idée d’une consultation à 50 euros pour les médecins", alerte le Dr Marty. "50 euros sans condition pour de la médecine 'douce' quand la médecine conventionnelle n’est remboursée que 26,50 euros (35 euros en moyenne d’après la Cnam), bientôt 30 euros sous conditions…. Et ensuite vous voulez nous faire croire que vous ne voulez pas faire disparaître la médecine générale et le médecin traitant ?", fustige la Dre Mélanie Rica-Henry, présidente de Médecins pour demain.
"Je croyais que les politiques n’avaient plus de marge de manœuvre et devaient faire avec une enveloppe fermée ? L’Assurance Maladie montre donc ses priorités. Il est bien plus médiatique de rembourser des soins de confort qu’une prise en charge médicale pour des malades chroniques", poursuit la représentante du collectif, qui a assisté aux négociations conventionnelles en tant qu'observatrice. Sur les réseaux sociaux, les médecins ont également vivement réagi. A l'instar de @Paracetamed, un généraliste très actif sur X : "C'est une blague ? 50 euros pour des thérapies complémentaires n’ayant pas fait preuve de leur efficacité alors qu’on peine à négocier 30 euros pour les médecins généralistes. C’est un scandale !"
Impossible d’augmenter les médecins alors que 9 -10 ans d’études, une responsabilité importante mais payer des etiopathes et chiropracteurs …
— Dr Yann SCHMITT (@DrSchmittYann1) February 13, 2024
Je ne parle pas de l’insulte faite au kiné
: la honte ! @ordre_medecins @FMFofficiel @Drmartyufml @UFMLSYNDICAT ça me fait vomir pic.twitter.com/gTqZm8FZ44
J’ai une question bête @ThomasFatome
— Dr Jérôme BARRIERE, MD. (@barriere_dr) February 13, 2024
Comment est-ce possible de s’apercevoir en pleine négociation conventionnelle et à l’heure où @brigitte_liso soutenue par @fredvalletoux défend une loi contre les dérives sectaires que des caisses départementales comme @CPAM77 remboursent… pic.twitter.com/aO7JSVHweK
Une "trahison" pour les kinés
Du côté des kinésithérapeutes, qui voient leur champ d'actions grignoté par d'autres professions dont les ostéopathes ou chiropracteurs, cette communication de la CPAM de Seine-et-Marne choque également. Sur X, la présidente de l'Ordre, Pascale Mathieu, n'hésite pas à parler de "trahison". "On nous crache au visage. Je n'ai rien de plus à ajouter. J'attends une réaction de la Cnam", écrit-elle.
oui. On nous crache au visage. Je n'ai rien de plus à ajouter. J'attends une réaction de la CNAM https://t.co/77MqQpUnhP
— Pascale Mathieu (@PMathieuMK) February 13, 2024
"Le message envoyé en direction des professionnels de santé libéraux est désastreux", abonde le syndicat Alizé dans un communiqué. Ce dernier souligne le contexte particulier de tensions dans lequel cette communication paraît : "La plupart des professions de santé libérales accusent un retard de revalorisation conséquent par rapport à l’inflation" et "chaque dixième de point de revalorisation fait l’objet de semaines de discussions et est assorti de contraintes toujours plus importantes". Il ajoute, amer, que le "montant pris en charge [par la CPAM de Seine-et-Marne] peut s’élever jusqu’à 50 euros pour une séance [d'ostéopathie, de chiropractie, etc], soit 2,86 fois la valeur de l’acte de kinésithérapie moyen ou encore 1,89 fois la valeur d’une consultation médicale."
"À L’heure où un texte de loi est débattu à l’Assemblée nationale pour protéger les patients des pratiques non fondées qui peuvent être à l’origine d’une perte de chance, il n’est pas acceptable que les fonds provenant des cotisations de nos concitoyens soient utilisés pour prendre en charge des pratiques non éprouvées", dénonce le syndicat. Face aux vives réactions, la CPAM a publié un nouveau post, dans lequel elle a tenu à rappeler que "l’Assurance Maladie rembourse uniquement les soins qui s’appuient sur des traitements ayant obtenu une validation scientifique et dont l’efficacité est prouvée". De fait, elle précise que ces "aides extra-légales" qui "ont été expérimentées pendant 1 an" "sont désormais suspendues à la demande de la Cnam, pour celles dont l’efficacité n’est pas officiellement reconnue par les autorités sanitaires", sans toutefois préciser lesquelles.
Contactée, la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) indique que ces aides interviennent dans le cadre du fonds de l'action sanitaire et sociale, qui est dédié aux assurés "en situation précaire exclusivement" et permet de "faciliter leur accès aux soins". Ce fonds autorise "la prise en charge dans des conditions dites extra-légales". Ces aides viennent donc "en complément des prestations (remboursement des soins, indemnités journalières...) habituellement versées", peut-on lire sur le site Ameli.fr.
"La quasi-intégralité des fonds sont dédiés à la prise en charge de prothèses dentaires ou d'implants, d'aide à la complémentaire santé" ou encore à "la prise en charge du handicap", explique la Cnam. Un "cadrage national" établit certaines orientations pour ces aides. Cependant, "ce sont les conseils des CPAM qui se chargent d'attribuer les aides". Ces conseils sont composés entre autres de représentants des employeurs et de représentants des employés.
"La Caisse a un représentant, mais le conseil a une autonomie dans le vote des orientations". Les enveloppes sont donc "à la main des conseillers". "Ce n'est pas le directeur de la CPAM qui attribue" ces aides, insiste-t-on.
La Cnam confirme néanmoins l'ouverture d'aides individuelles "sur des nouvelles prestations qui sont non prises en charge", comme la diététique ou l'ergothérapie. Elle indique que la CPAM de Seine-et-Marne "a versé zéro euro pour l'étiopathie, et 200 euros pour la chiropractie". De son côté, la CPAM 77 a supprimé son premier post, et publié une mise à jour dans l'après-midi pour répondre aux commentaires postés sur les réseaux sociaux.
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