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Régulation de l’installation des médecins : "10 raisons pour lesquelles c'est une mauvaise idée"

En marge d'un déplacement à Lille, fin juillet, Lucie Castets, candidate pour le Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon, déclarait vouloir "en finir avec les déserts médicaux". L'alliance de la gauche défend une proposition parmi d'autres pour venir à bout de ce fléau : réguler l'installation des médecins libéraux. Dans une tribune envoyée à Egora, le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau (Pas-de-Calais), a tenu à répondre à cette proposition, qu'il juge "contre-productive".

09/08/2024 Par Dr Michaël Rochoy
Déserts médicaux
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"Lors de son déplacement à Lille samedi dernier, Lucie Castets (seule candidate de gauche pour Matignon) a appelé à en finir avec les déserts médicaux. Pour cela, le programme du Nouveau Front Populaire propose notamment de « réguler l’installation des médecins libéraux ».

Cette proposition comporte de nombreux inconvénients. Voici dix raisons pour lesquelles réguler l'installation des médecins libéraux est une mauvaise idée.

1/ Il n’existe pas de zone sur-dotée

Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, il manque de médecins partout. D’autre part, un médecin aime tristement avoir des revenus : pour cela, il va préférer s’installer là où il est susceptible d’avoir du travail plutôt que créer un super-pôle de 30 médecins dans un village de 8 habitants (qu’on appellera ici Trifouillis-les-Oies).

2/ Il est impossible d’obliger une profession libérale à s’installer quelque part

Les seules possibilités seraient de salarier ou de fonctionnariser les médecins généralistes. Dans les deux cas, cela réduirait drastiquement le nombre de créneaux disponibles et donc l’accès aux soins.

3/ Réguler, c’est "empêcher" des médecins de s’installer dans un lieu… tant qu’il n’est pas devenu suffisamment désertique 

Est-ce que cela a bien été présenté comme tel à la population ?

4/ Si on ajoute une contrainte à une profession sous pression, on en dissuade l’exercice… au lieu de persuader 

Le nombre de médecins diminue et la demande de soins augmente (augmentation et vieillissement de la population, etc.). Ainsi, les médecins généralistes sont soumis à une pression croissante de la part des patients et des politiques (qui ont échoué dans la gestion de la démographie médicale pendant près d’un demi-siècle).

Dans ce contexte, imposer une nouvelle contrainte aux médecins est contre-productif : ce sera plus probablement vécu comme dissuasif (« bon, bah, je vais faire autre chose ») que persuasif (« chouette, je vais être obligé de m’installer où je n’ai pas envie ! »)

5/ Un diplôme de médecin généraliste permet de faire autre chose que s’installer à Trifouillis-les-Oies

En effet, les médecins généralistes disposent de nombreuses autres offres pour optimiser leur qualité de vie personnelle, par exemple : plateformes de télémédecine, centres de soins non programmés, médecin hospitalier, médecin de PMI, médecin scolaire, coordonnateur d’Ehpad, d’IME, médecin conseil à l’Assurance maladie, etc.

En 2022, le service médical de l’Assurance maladie des Hauts-de-France en faisait un argument : être médecin conseil permet de « concilier vie professionnelle et personnelle ».

6/ Les médecins généralistes sont déjà mieux répartis dans les départements que des professions réglementées que sont les infirmiers libéraux, kinésithérapeutes ou pharmaciens

D’après le rapport "Charges et produits 2025" de l’Assurance Maladie, les médecins généralistes sont mieux répartis que les kinésithérapeutes et infirmiers à l’échelle départementale.

En effet, en 2022, 10% des départements comptaient moins de 60 médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants et 10% en comptaient plus de 104 (un rapport interdécile de 1,7). Cette même année, 10% des départements comptaient moins de 59 kinésithérapeutes et 83 infirmiers pour 100 000 habitants, et 10% en comptaient respectivement plus de 168 et plus de 247 (soit un rapport interdécile de 2,8 pour les kinésithérapeutes et 3,0 pour les infirmiers).

 

7/ C’est aussi vrai à une échelle infra-départementale

Au niveau des EPCI (proches des anciens cantons), les médecins généralistes libéraux sont également mieux répartis que les infirmiers ou les pharmaciens.

Cela peut s’expliquer par une mauvaise capacité des politiciens à apprécier les flux, surtout pour des professionnels de santé s’installant pour plusieurs décennies…

8/ L’incitation a déjà échoué : si 50 000 euros n'ont pas incité à s’installer à Trifouillis-les-Oies, comment prétendre que c’est l’interdiction de s’installer à côté qui sera persuasive ?

Les médecins généralistes se sont vu proposer depuis 10 ans des incitations financières à l'installation en zone sous-dotée, avec des montants astronomiques (50 000 euros pour le contrat d'aide à l'installation par exemple, entre autres aides).

Ceux qui voulaient s'y installer ont été aidés, mais ça n’a pas résolu le problème : les déserts continuent d’augmenter malgré ces aides. Interdire d’exercer à Trifouillis-la-Belle-sur-Mer ne va pas inciter à s’installer spontanément à Trifouillis-les-Oies quand 50 000 euros n’ont pas réussi…

9/ Les médecins s’installent où ils ont fait leur vie, pendant leurs études

Les études de médecine sont un peu longues, entre 18 et 28 ans classiquement ; les jeunes médecins ont donc souvent commencé à « faire leur vie » près de leurs lieux de stage, qui sont majoritairement des hôpitaux dans notre système « hospitalo-centré ». Ils ont le job de leur conjoint, leur logement (avec leur crédit), leurs amis, leurs loisirs…

Ils sont aussi incités à se regrouper en maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), au détriment de l’installation en solo souvent dévalorisée.

La comparaison est parfois faite avec un fonctionnaire ou un enseignant, qui doit prendre un poste à plusieurs heures de chez lui, avant de revenir quelques années plus tard ; mais en médecine libérale, avoir une patientèle, la suivre avec une relation médecin-patient correcte, c’est sur un temps long… qu’il est raisonnable de commencer à l’aube de la trentaine !

10/ Certains déserts médicaux sont des déserts tout court

Lorsqu’il est question d’installation autour de 30 ans (ou plus), plusieurs questions se posent à la fois pour le travail d’un conjoint (qui peut déterminer le lieu d’installation), pour l’école et les activités périscolaires des enfants, pour des loisirs sportifs, artistiques ou culturels, les services publics…

Voilà une dizaine de raisons pour lesquelles la coercition en 2024 serait contre-productive en désertifiant des zones qui ne l’étaient pas encore totalement, tout en détournant les jeunes médecins de la médecine générale… Bien sûr, ces arguments ne seront plus valables dans 10 ans, avec une autre démographie et une autre dynamique." 

Et maintenant, quel "traitement" ?

Maintenant que nous avons vu pourquoi la régulation de l’installation serait une mauvaise idée, notre rôle en tant que médecin est de proposer un meilleur traitement à la situation. Parce que oui, tout le monde veut en finir avec les déserts médicaux — aucun parti n’a le monopole de cet objectif.
Pour répondre à la demande de soins croissante malgré une offre de soins décroissante, nous n’avons que quelques leviers à disposition :

  • augmenter les capacités (le nombre de médecins, le nombre d’actes par médecin généraliste, le nombre d’heures travaillées, le rythme de travail…) ;
  • diminuer les besoins en médecine générale pour redonner du temps médical aux médecins.

C’est ce dernier point qui devrait être activé autant que possible par tout candidat à Matignon.

La première solution pour diminuer les besoins en médecine générale est de diminuer les raisons de recourir aux soins en améliorant la qualité de l’air — dans les écoles en priorité — afin de limiter les épidémies de Covid, grippe, VRS, coqueluche, etc.  dans toute la société (tout en améliorant la présence et la concentration des élèves et enseignants dans des classes mieux ventilées !) C’est un axe de réflexion indiscutable : personne en France ne soutient la « mauvaise qualité de l’air », comme personne ne soutient la mauvaise qualité de la Seine. Il faut améliorer l’eau que nous buvons et dans laquelle se baignent des gens, ainsi que l’air que nous respirons.

La deuxième solution pour diminuer les besoins en médecine générale est de diminuer les certificats absurdes listés sur certificats-absurdes.fr (site porté par le Collège de médecine générale) avec notamment : les arrêts de travail courts, les certificats d’absence pour enfant malade, les demandes abusives et illégales des assureurs (invalidité, décès, annulation voyage) et les innombrables demandes auxquelles sont confrontés les médecins généralistes.

Une troisième solution pour diminuer les besoins en médecine générale est d’améliorer la pertinence des consultations en médecine générale par un vaste programme d’éducation à la santé, l’amélioration de la santé au travail, la délégation de tâches, la préparation de consultations avec l’aide de l’intelligence artificielle par exemple, etc.

Bien sûr, ces trois premières pistes ne permettront pas d’en finir avec les déserts médicaux. Toutefois, c’est la base commune sur laquelle s’appuyer pour redonner du temps médical aux médecins, en améliorant la santé globale, pour un coût nul ou dérisoire. Bien d’autres réflexions pourraient être menées pour améliorer la santé en diminuant les besoins en médecine générale, à travers la prévention, la lutte contre les addictions, la santé au travail, etc.
Les politiques peuvent RÉELLEMENT agir sur ces problèmes. Pour certains, c’est simple et rapide : il ne s’agit que de la volonté d’un Gouvernement ou d’un groupe parlementaire.
Face au problème démographique actuel, il est temps d’arrêter d’être obnubilé par l’idée de coercition. Pour gouverner différemment, nous pouvons préconiser d'essayer cette idée disruptive : prêter une oreille aux professionnels de santé concernés ! Vous verrez, on ne dit pas que des bêtises.

 
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