Régulation à l'installation, 8 minutes la consult', capitation... La médecine de ville allemande a-t-elle tout compris ?
Un rapport paru ce jeudi 28 mars passe au peigne fin les systèmes de santé français et allemand, deux pays dont les dépenses dans ce domaine sont comparables. Elle s'intéresse entre autres à l'organisation de la médecine de ville, "décentralisée" et "régulée" outre-Rhin. Un modèle dont pourrait s’inspirer l'hexagone ?
Huit minutes. C'est la durée moyenne d'une consultation en médecine générale en Allemagne : moitié moins qu'en France. Les volumes de consultations en ville y sont toutefois "nettement plus élevés"*, indique un rapport de l'Institut de recherches et de documentation en économie de la santé (Irdes), rédigé avec le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCfips), qui vient de paraître. Outre-Rhin, l'organisation des cabinets libéraux apparaît différente de celle des cabinets français. Le recours à des assistants médicaux ou non médicaux y est bien plus démocratisé. En témoignent les chiffres exposés dans ledit rapport : en 2019, un cabinet médical allemand employait en moyenne 4,6 assistants techniques, assistants médicaux et infirmières. Les centres de soins ambulatoires pluridisciplinaires – où les médecins sont majoritairement salariés – en embauchaient jusqu'à 19 en moyenne.
En Allemagne, 341 000 assistants médicaux travaillaient dans un cabinet médical en ville en 2021, selon l’Association des professions médicales. En France, début 2022, seuls 5% des médecins généralistes disposaient d’un assistant médical, et 5% travaillaient avec un professionnel de santé, le plus souvent une infirmière. Outre-Rhin, les assistants médicaux peuvent également effectuer des tâches médicales (pose d'un pansement, préparation d'une seringue, prise de tension, mais aussi prise en charge des plaies chroniques dans le cadre de protocoles), en plus des tâches administratives. Un gain de temps significatif, note le rapport, puisque que les médecins de famille allemands déclaraient un temps de travail hebdomadaire moyen inférieur à leurs confrères français (49,3 heures contre 54 heures, d'après des données datant de 2019).
La densité globale de médecins de ville apparaît "proche" entre les deux pays voisins (190 pour 100 000 habitants en France contre 183 pour 100 000 en Allemagne). Mais l'hexagone compte davantage de médecins généralistes (107 médecins pour 100 000 habitants en France, contre 66 en Allemagne). L'Allemagne est, elle, plus dotée en autres spécialistes (117 pour 100 000 habitants en Allemagne contre 83 en France), notamment en gynécologues ou en pédiatres qui peuvent décharger les généralistes sur certaines prises en charge. La répartition des médecins sur le territoire allemand est toutefois "bien meilleure qu'en France", a indiqué Denis Raynaud, directeur de l'Irdes, lors d'une conférence de presse à laquelle a assisté l’AFP. Ceci s'explique notamment par le fait que contrairement à la France, leur installation est régulée.
Des installations bloquées
En effet, l'installation des médecins libéraux allemands est régulée par un mécanisme de "planification des besoins". "Cet instrument permet de déterminer le nombre de médecins nécessaires dans une zone géographique afin de garantir aux assurés un accès égal aux soins de médecine générale et spécialisée, et conforme aux besoins. Si une zone de planification est surdotée, l’installation de nouveaux médecins dans cette zone est bloquée", précise le rapport. Les associations des médecins conventionnés au niveau de chaque Land délivrent les autorisations d’installation aux médecins, "en fonction des ratios définis par la planification des besoins".
Si l'objectif initial de la planification "n’était pas de lutter contre le manque de médecins dans certaines régions mais de réguler la densité de médecins pour garantir les revenus des médecins", le dispositif a par la suite était amélioré afin de prendre en compte d'autres critères, notamment démographiques et populationnels. En outre, les associations de médecins conventionnés de chaque Land peuvent, "en accord avec les caisses d'assurance maladie", s'écarter des directives de planification "afin de tenir compte des particularités régionales et locales en matière de soins".
"S’il existe toujours des différences dans la répartition des médecins d’une région à l’autre en Allemagne, notamment dans les territoires ruraux de l’Allemagne de l’Est, les problèmes d’accès aux soins semblent être moins flagrants, stipule le document d'une centaine de pages. Les écarts régionaux en densité de médecins généralistes sont moins importants en Allemagne qu’en France." Selon une expertise scientifique datée de 2018, "99,8% de la population [allemande] [pouvait] atteindre un médecin généraliste en moins de dix minutes en voiture" ; et 99% de la population [pouvait] atteindre la plupart des médecins spécialistes en moins de 30 minutes. En outre, la majorité des personnes interrogées déclaraient obtenir un rendez-vous en quelques jours."
Une formule de capitation en guise de rémunération
Si en France, les médecins libéraux sont principalement rémunérés à l’acte – avec des forfaits en complément, leurs confrères allemands sont rémunérés par "la rémunération à l’acte en combinaison avec des budgets basés sur une formule de capitation (paiement par patient)". Il n’y a pas un tarif fixe de consultation en Allemagne. "Les médecins sont rémunérés en fonction des prestations fournies", précise le rapport. En revanche, les prix des soins et services ambulatoires sont calculés et renégociés régulièrement "sur la base de données relatives aux coûts des médecins conventionnés, ce qui permet de garantir une certaine relation entre les prix définis et les charges réelles des médecins libéraux", peut-on lire.
Les budgets ambulatoires par spécialité sont utilisés pour "contrôler les dépenses en ville" outre-Rhin. "Ils constituent implicitement des revenus cibles pour les médecins conventionnés." Ces budgets sont distribués par les associations régionales de médecins conventionnés - la gouvernance du système de santé allemand est "décentralisée", elle laisse plus de pouvoir aux "organismes corporatistes". "Du fait qu’il s’agit d’une enveloppe fermée, les médecins ne sont remboursés que partiellement au-delà d’un certain volume d’activité par trimestre", indique-t-on. Lorsqu'un médecin dépasse le volume d'actes initialement prévu pour chaque trimestre, chaque acte supplémentaire est rémunéré de manière dégressive par l'assurance maladie obligatoire en fonction de la consommation de l'enveloppe globale, voire non pris en charge.
Il existe en parallèle "des soins payés en dehors des budgets pour lesquels il n’y a pas de limite de volume". "Cette rémunération extrabudgétaire, visant à inciter certains actes – tels que les actes de prévention et de chirurgie ambulatoire – et à assurer l’accès à l’innovation, augmente régulièrement."
Si le rapport loue la pertinence du système de répartition des budgets allemand, cela n’a pas empêché les médecins du pays de faire grève en début d’année pour réclamer une meilleure rémunération (et moins de bureaucratie). Preuve que tout n’est pas si rose outre-Rhin. En réponse, le ministre de la Santé fédéral allemand, Karl Lauterbach, a annoncé mettre fin au plafonnement de la rémunération des médecins généralistes. Afin de désengorger les cabinets de ville, le ministre a également fait part, en janvier, de son souhait d’annualiser le forfait rémunérant le suivi des patients chroniques, jusqu'ici trimestriel. Mais aussi de permettre aux médecins libéraux de délivrer des ordonnances ou des arrêts maladie par téléphone par exemple. Il annonçait par ailleurs la mise en place d’un forfait pour valoriser les médecins qui effectuent des visites à domicile et prennent en charge de nombreux patients.
Des revenus "un peu plus élevés " outre-Rhin
D’après le rapport qui vient de paraître, il demeure des niveaux de revenus "un peu plus élevés" outre-Rhin qu'en France (les données s’arrêtent toutefois à 2019). En outre, les écarts entre spécialités médicales y sont moins importants que dans l'hexagone. En Allemagne – où les dépassements d'honoraires n'existent pas, le niveau de revenu des généralistes est "comparable à celui de la plupart des autres spécialités", alors qu'en France, ils gagnent "deux fois moins que les chirurgiens et 50%". Chez nous, les pédiatres, généralistes et dermatologues gagnent avec environ 3 fois le salaire annuel moyen brut (39 152 euros, en 2019), "alors que les autres spécialistes gagnent entre 4 et 7 fois le salaire moyen environ (à l’exception des radiothérapeutes)", relève le rapport.
"Le manque des données actualisées sur les coûts des prestations en ville peut expliquer une partie des inégalités de revenu entre les médecins libéraux français", avancent l'Irdes et le HCfips.
"Le fait que les associations de médecins conventionnés représentent les intérêts des médecins, mais gèrent en même temps les budgets ambulatoires en régulant de près les volumes et la qualité des soins de ville, semble contribuer à la qualité et à l’efficience des prescriptions en ville", estiment également les auteurs du rapport, jugeant que le processus de suivi de la qualité des soins ambulatoires est "plus avancé qu’en France". Contrôlés par leurs pairs, les médecins allemands sont par exemple fortement incités à prescrire des génériques.
Ces éléments "intéressants" mis en lumière dans ce rapport pourraient permettre "d'améliorer la gestion des dépenses de santé" en France, soulèvent les auteurs, dans le contexte de déficit que l'on connaît. Bien qu'à un niveau comparable, les dépenses de santé en Allemagne et en France (respectivement, 12,7% et 12,1% du PIB en 2022), qui sont parmi "les plus élevées au monde", diffèrent dans leur structure. Pour Denis Raynaud, le modèle allemand d’organisation de la médecine de ville peut être "porteur d'enseignements". Toutefois, les récentes grèves de médecins libéraux allemands invitent à la nuance. D’autant que le phénomène de déserts médicaux ne semble désormais plus épargner nos voisins : il manquerait 5 000 généralistes en Allemagne, et 40 % des omnipraticiens en exercice ont plus de 60 ans...
*En 2019, le nombre moyen de consultations de médecins par habitant était de 5,9 en France contre 9,8 en Allemagne. Un chiffre probablement sous-estimé pour l'Allemagne, ajoute le rapport.
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