Certificats abusifs voire "illégaux" : un jeune médecin dévoile l'envers de la "papier-cratie" dans sa thèse
Avec un nombre de généralistes qui devrait stagner jusqu’en 2030 d’après la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et une population vieillissante dont les besoins en santé augmentent, le temps médical devient de plus en plus rare et de plus en plus précieux. Dans un discours, prononcé le 18 décembre 2018, le Président de la République rappelait déjà que la “priorité absolue est de regagner du temps médical et soignant, disponible pour nos concitoyens”. Conscient que le temps administratif est un des leviers pour redonner du temps de soin aux médecins, l’ancien ministre de la Santé, François Braun, avait notamment publié le 8 février 2023 15 mesures pour permettre aux médecins de réduire ce temps administratif, qui représente “entre 1h30 et 2 heures par semaine” selon les médecins généralistes et le ministère de la Santé. Dans le cadre de sa thèse, le Dr Modson Idriss Tazave a choisi de travailler sur les demandes de certificats médicaux. “Je participe à cette marche longue et difficile contre les absurdités de la papier-cratie !”, écrit-il, dès le début de sa thèse. Car, si les médecins ont l’obligation d’établir certains certificats… des demandes pourraient à l’inverse être qualifiées d’“absurdes”, reconnaît-il. Soit parce qu’elles ont “une faible valeur médicale” (arrêt de travail court, aptitude à la vie en collectivité pour une entrée en crèche…), soit parce qu’elles sont illégales en raison d’une “rupture du secret médical, [d’un] rapport tendancieux ou de complaisance, [d’une] production non prescrite par les textes réglementaires…”.
Le Collège national de médecine générale (CMG) avait également alerté sur cette situation et lancé une campagne de communication, en mars dernier, sous le nom “cocori-crocodile”, reprenant le dispositif lancé en Belgique et aux Pays-Bas. Le CMG demande aux médecins d’apposer sur chaque certificat qu'ils jugeraient “inutiles”, le tampon "certificat absurde" orné d'un crocodile, à retrouver sur le site certificats-absurdes.fr. Un partenariat avec neuf Cdom Neuf conseils départementaux de l’Ordre des médecins (Cdom) (du Nord, des Ardennes, de l’Ariège, du Bas-Rhin, du Calvados, de l’Eure, du Gard, du Morbihan et du Territoire de Belfort), ont choisi de travailler avec le Dr Modson Idriss Tazave dans le cadre de sa thèse. Son travail a consisté dans un premier temps à “décrire le motif des certificats médicaux sur une période de 100 jours et [à] identifier les principaux demandeurs de certificats abusifs” afin d’aider les décideurs politiques à identifier les principales actions à mener pour redonner du temps médical aux médecins”. Les médecins qui participaient au projet devaient envoyer par mail les demandes de certificats qu’ils estimaient “injustifiés” à leur Cdom respectif. Dans le message, les médecins devaient également remplir leur identité et leur lieu d’exercice, l’identité et la localisation de l’organisme demandeur, le motif de la demande, la raison pour laquelle le médecin juge cette demande absurde voire illégale, et indiquer son souhait ou non d’être anonyme, détaille le thésard. L’instance ordinale avait ensuite pour mission d’analyser ces demandes et de confirmer ou non leur licéité. Si ces dernières étaient jugées “illégales”, le Cdom devait informer l’organisme (assureur, employeur, centre aéré, centre de sport…) via une lettre recommandée avec accusé de réception. Toutes les demandes envoyées aux Cdom sus-citées “étaient redirigées ensuite vers une adresse mail commune entre le jeune médecin et le Dr Michaël Rochoy”, son directeur de thèse. 203 demandes de certificats analysées Le Dr Modson Idriss Tazave a effectué une “étude descriptive multicentrique sur tous les courriers de réclamation concernant les certificats médicaux” pendant 100 jours, à savoir du 8 juillet au 15 octobre 2023, comprenant une rentrée scolaire, période propice à ce type de demandes. Au total, il a analysé 203 documents. La majorité (76,4%) provient du département du Nord avec 155 demandes, suivi de 14 (6,9%) dans le Morbihan, 11 (5,4%) dans le Calvados, 9 (4,4%) en Ariège, 6 (3,0%) dans l’Eure, 6 (3,0%) sur le Territoire de Belfort, 2 (1,0%) dans les Ardennes et aucun dans le Gard et le Bas-Rhin.
164 demandes “injustifiées, voire illégales” Sur les 203 demandes de certificats, 164 (soit 80,8%) sont “injustifiées, voire illégales”, en raison notamment d’une “rupture du secret médical”. En revanche, seules 38 (18,72%) étaient jugées “légales”, mais certaines ont une “faible valeur médicale ou une application erronée” qui dénotent une “absence de cohérence dans les différents messages gouvernementaux concernant la diminution de la charge administrative des médecins, et/ou la mauvaise interprétation des textes par les organismes”. Parmi les certificats demandés, la majorité provient du domaine des contrats (71) et du milieu scolaire et périscolaire (61).
Sur les 71 demandes de la catégorie contrat, 62 (87,3%) sont jugées “sans fondement légal”. Après analyse du motif, le Dr Modson Idriss Tazave constate que 47 certificats concernent un “motif d’arrêt de travail, d’une incapacité ou d’une invalidité”. Neuf réclament “le motif précis d’un décès, une description des antécédents, des traitements”, quatre concernent une annulation de voyage pour raison de santé… Enfin, neuf autres demandes sont considérées comme étant “légales”, la majorité relevant d’une souscription à un contrat d’assurance.
Le thésard reconnaît également que dans les formulaires demandés par les assurances, il est souvent demandé aux médecins “un tracé détaillé du passé pathologique du patient, avec ou sans lien avec la pathologie ayant entraîné l’arrêt de travail, l’annulation du voyage, ou le décès”. Pourtant, ces informations “mettent le médecin traitant dans un rôle de contrôleur de probité pour l’assurance, ou de médecin expert, ce qui s’avère être illégal : “nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade”, d’après le Code de santé publique. 90% des demandes de la catégorie “scolaire et périscolaire” sont “sans fondement légal” Concernant la catégorie “scolaire et périscolaire”, seules six (9,8%) réclamations sont jugées “légales”. A l’inverse, 54 demandes (90,2%) sont “sans fondement légal”. Parmi elles, 20 concernent une admission en milieu scolaire ou en enseignement supérieur, 11 demandent d’attester d’une absence de contre-indication à la pratique du sport en milieu scolaire, périscolaire ou dans la filière des Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), 10 concernent une autorisation pour une dispensation médicamenteuse dans un contexte d’accueil du jeune enfant (crèche, assistante maternelle...) et 8 demandent d’attester de l’absence de contre-indication à l’exercice de la profession future… Malgré plusieurs rappels du ministère de la Santé, le milieu scolaire “reste sujet à des demandes de certificats médicaux hors cadre réglementaire”. Le thésard admet que “certaines structures interprètent la loi, et concluent, lorsqu’elle prévoit un suivi médical des étudiants, que ces derniers doivent présenter un certificat médical d’aptitude chaque année”. Ce procédé est particulièrement récurrent dans la filière Staps, écrit le Dr Modson Idriss Tazave. Même constat au niveau de l’activité physique pratiquée à l’école. Plusieurs établissements demandent un certificat émanant du médecin pourtant dans la loi, “tout élève est reconnu apte” à la pratique du sport en lien avec l’éducation nationale. Pour rappel, seul un certificat d’inaptitude partielle ou totale peut être demandé. Le thésard déplore également une législation autour des certificats qui évolue très fréquemment. Depuis le 30 août 2021 un décret oblige désormais tout enfant qui entre dans une structure d’accueil de jeunes enfants à être en possession d’un certificat de non contre-indication. Cependant, dans les courriers qu’il a reçus, de nombreux médecins ne semblaient pas...
avoir eu connaissance de cette nouvelle modalité. Du côté de l’Assurance maladie, ce n’est qu’en septembre 2023, que ce changement a été mentionné sur le site internet. Si les médecins peuvent avoir “des difficultés à suivre les modifications législatives sur cette question”, cela montre que les instances publiques aussi, déduit-il. Dans la catégorie “autres”, sur les 58 réclamations reçues, moins d’un tiers (29,3%) est justifié. Parmi les 70,7% de demandes jugées “sans fondement légal”, 20 concernent un certificat d’absence de contre-indication à la pratique d’un sport (clubs affiliés à une Fédération). Pour rappel, depuis le 2 mars 2022, le certificat médical n'est plus obligatoire pour les personnes majeures, sauf si la fédération l’exige. Certaines ont d’ailleurs indiqué ne plus en demander comme celles de cyclisme, de ski, de tennis, de golf, de pétanque, de squash… Concernant les personnes mineures, le certificat médical de non contre-indication à la pratique sportive n’est plus obligatoire non plus, il a été remplacé par un questionnaire de santé, en mai 2021. Pour le thésard cette différence entre certains sports révèle une “perte de sens et d’absurdité pour les médecins”. Une campagne pour sensibiliser le grand public et les organismes Pour les demandes de certificats liés au sport, l’ancien étudiant appelle à un système plus simple pour aider les médecins. Selon lui, “il serait pertinent que les certificats d’absence de contre-indications soient limités à certains sports à contraintes particulières, et que leur exigence ne dépende plus de l’affiliation ou non à une fédération sportive”. Il demande également une campagne pour sensibiliser le grand public et les organismes du même type que celle de 2002 qui avait pour slogan “les antibiotiques, c’est pas automatique” ainsi qu’une note écrite de la part des organismes exigeant un certificat, justifiant leur demande par des textes de loi. Autre particularité mentionnée par le Dr Modson Idriss Tazave, les médecins ne sont pas toujours en mesure de certifier les demandes de leurs patients. Par exemple, pour les certificats relevant de la formation à la sécurité incendie, il explique le médecin doit demander au candidat de suivre ou réaliser “des cours théoriques de plusieurs heures, des exercices pratiques d’extinction par extincteurs portatifs, sur un feu réel, évacuer d’urgence une victime potentielle…”. Ces éléments sont, selon lui, “impossibles à vérifier lors d’une consultation en cabinet de médecine générale”. Il faudrait plutôt “créer une cellule médicale dans les centres de formation agréés”.
Si le thésard a pu effectuer cette analyse sur plusieurs départements, il souhaite maintenant que son travail soit poursuivi à l’échelle nationale “afin de rappeler la réglementation en vigueur aux organismes ne la respectant pas”. Il appelle aussi à des “actions concrètes et urgentes” notamment de la part du ministère. Car, selon lui, redonner du temps médical aux médecins revient in fine à redonner du temps de soin aux patients. Après sa soutenance, qui a eu lieu le 15 novembre dernier, le Dr Modson Idriss Tazave continue encore de recevoir les courriers des médecins généralistes, même si ces derniers ne sont plus analysés dans le cadre de sa thèse. Suite à cette étude, il relève également que six assurances, une faculté et une mairie ont indiqué avoir “entamé une démarche pour modifier les formulaires adressés aux patients en tenant compte de la réglementation en vigueur”.
En analysant le motif de chaque courrier reçu, Modson Idriss Tazave a noté ceux étant “sans fondement légal”. Parmi eux, Egora a sélectionné les dix motifs de demandes de certificat médicaux les plus “absurdes” :
1.Certifier le non-décès d’un patient (Modson Idriss Tazave précise qu’il a reçu cette demande après le 15 octobre 2023, date de fin de l’étude)
2. Attester de l’aptitude à prendre les transports en commun et à se rendre dans un parc d’attractions
3. Attester d’une souffrance psychologique due à la séparation de classe d’une amie
4. Autoriser un enfant à aller aux toilettes fréquemment
5. Justifier de la nécessité à un enfant d’accéder à un casier à l’école
6. Attester de l’aptitude à la réalisation d’un stage
7. Attester de l’aptitude à voyager et à travailler à l’étranger
8. Attester de l’impossibilité à se déplacer pour un évènement
9. Justifier de la nécessité de travaux dans un logement
10. Attester d’une absence de contre-indication au métier de pâtissier
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