“Tout le monde m’a dit que tenter une bourse d’étude en troisième année c’était trop tôt, mais pour moi, qui ne tente rien, n’a rien”, affirme fièrement Léonard, jeune étudiant en médecine à la faculté de Paris Saclay. À 23 ans, le futur externe vient de conclure une bourse d’études avec la petite commune bretonne de Plévenon (Côtes-d’Armor) : dès son diplôme validé, il devra s’y installer sept ans en libéral. En échange, la mairie prévoit de lui verser 400 euros par mois jusqu’à la fin de son internat.
“Je n’avais pas le choix. J’ai vu mes économies fondre, au point que je commençais à m’inquiéter pour l’an prochain…”, confie le jeune homme. Une fois sa première année de Pass passée, les finances de Léonard sont en effet mises à mal. L’étudiant, qui réside toujours avec sa mère en banlieue parisienne, peine à assumer toutes les dépenses propres à son cursus. “Le fait de passer de la première année qui était à la faculté d’Orsay, en plein centre, à devoir aller faire mes cours au Kremlin-Bicêtre et de devoir faire les stages dans les hôpitaux autour a fait que mon budget déplacement est très… trop élevé”, complète-t-il. “Je me suis retrouvé avec une pression financière à laquelle je ne m'attendais pas. Ma mère était le seul revenu de notre foyer.”
Malgré son statut de boursier échelon 3 qui lui apporte environ 270 euros par mois, le budget transport qui s'additionne au budget scolarité le met en difficulté. “J’habite dans une commune très mal desservie par les transports en commun. Il me faudrait deux heures pour rejoindre la faculté contre un peu moins d’une heure en voiture”. Il passe donc son permis, mais doit acheter une voiture et souscrire à une assurance jeune conducteur, ainsi que payer régulièrement le carburant de son véhicule. “Tout ça, ça chiffre…”
Refusant de laisser sa mère assumer seule ces dépenses, le jeune homme décide de se tourner vers le responsable de la vie étudiante de sa faculté. “Je lui ai exposé mes problématiques et lui ai demandé si c’était possible d’avoir une aide supplémentaire.” Comme le montre une enquête de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, un carabin sur quatre a déjà pensé à arrêter ses études pour des raisons financières notamment à cause de l’impact direct sur la réussite. “Je ne voulais pas m’arrêter à cause de ça”, balaie Léonard. Son interlocuteur de la faculté l’oriente d’abord vers la plateforme “Mes aides” du Gouvernement afin qu’il vérifie s’il n’était pas éligible à d’autres aides, moins connues. “À cette occasion, il m’a aussi donné le guide des élus en santé… et finalement, ça a été ça, la solution !”, sourit-il.
“La page d’après”
“Dans ce guide, il y avait tout un descriptif du Contrat d’engagement de service public”, enchaîne Léonard. Ce dispositif, créé dans le cadre de la loi HPST de Roselyne Bachelot, en 2009, prévoit de rémunérer les allocataires à hauteur de 1 200 euros par mois en contrepartie d’années d’installation dans une zone déficitaire. “Je me suis beaucoup renseigné. J’ai adhéré à des groupes sur les réseaux sociaux pour avoir des retours d’expériences d’autres étudiants… et le bilan n’était pas si positif”, raconte-t-il. D’autant qu’il aurait dû attendre le début de son externat pour pouvoir en bénéficier, car depuis trois ans, le CESP n’est plus accessible aux étudiants de premier cycle.
“J’y voyais un autre défaut, c’est que je savais où je voulais m’installer. Or, le problème c’est que le CESP nous impose de nous installer dans une zone sous-dotée. Mais imaginons qu’entre le moment où je souscris au CESP et la fin de mes études, la commune que je souhaite sort du zonage… alors je serais obligé d’aller ailleurs”, précise Léonard. Car le jeune homme vise, depuis le début de ses études, le Cap Fréhel, en Bretagne. “J’y ai ma famille. Je connais bien la municipalité de Plévenon, j’y ai passé mon enfance. En plus, je sais que c’est une zone qui manque de médecins. Depuis 10 ans, je vois des panneaux de recherche dans les communes aux alentours”.
Ce n’est donc pas sur le CESP que Léonard a décidé de miser… “En fait, la solution était sur la page d’après !”, rigole-t-il. “Il y avait tout un descriptif des bourses des collectivités territoriales. Il s’agissait de bourses d'environ 600 euros par mois passées directement entre les collectivités et un étudiant en médecine, contre une promesse d'installation d’une même durée.”
Ni une, ni deux… il se décide à tenter sa chance. “Je me suis tout de suite dit que j’allais contacter les communes qui m’intéressaient pour leur proposer.” Léonard monte un dossier : lettre de...
recommandation de sa faculté, lettre de motivation, CV… “et la fameuse page du guide des élus en santé !” “Pour être précis, j’ai fait sept lettres de motivation pour les sept communes dans les Côtes-d’Armor que j’avais envie de contacter : Fréhel, Plévenon, Erquy, Plurien, Pléboul, Matignon et Saint-Cast-le-Guildo.”
Léonard profite de l’été 2022 pour aller déposer lui-même ses candidatures dans les différentes mairies. “Il y a des communes qui m’ont dit non sans même me rencontrer. D’autres l’ont fait, mais n’étaient pas intéressées. Je n’ai eu que deux retours positifs, mais l’une des mairies a subitement arrêté de me répondre”, rapporte-t-il. Qu’importe : Plévenon, commune de 800 habitants, y est favorable.
“J’étais aux anges !”, se remémore-t-il. “Le maire me connaissait car j’ai travaillé en tant que saisonnier dans le camping de la commune pour payer ma P1 et ma P2*. Je l’avais déjà rencontré. Il m’a félicité pour ma démarche et m’a dit qu’il trouvait ça bien que je me batte sans attendre que les aides viennent à moi”. À cette époque, l’élu lui promet de présenter son projet en Conseil municipal. S’ensuivent de nombreux allers-retours avec ce dernier.
“Il y a un challenge”
“Ils étaient tous inquiets et curieux”, résume Léonard. “Au début, ils étaient globalement assez réticents. Ils m’ont posé des questions sur mon projet professionnel, si je voulais bien devenir généraliste notamment. Il y avait aussi une grosse inquiétude sur le fait de savoir si je faisais cette démarche avec une seule mairie ou plusieurs, avec le risque que j’accepte plusieurs contrats de ce type et que je finisse par ne pas honorer mon engagement.”
Les membres du Conseil municipal s’inquiètent aussi de savoir si le jeune homme, qui n’est qu’en premier cycle, et à qui il reste encore sept ans d’études, ira bien au bout de son cursus. “Mais il ont pu voir à quel point j’étais déterminé”, sourit-il. Car il y a un enjeu de taille dans ce contrat : le choix de la spécialité. En ne passant pas par un CESP, l’étudiant ne bénéficiera pas de places réservées dans les spécialités lors du concours de l’internat. “Il y a un challenge,” reconnaît-il. “Il faut que je travaille assez bien pour obtenir la médecine générale lors du concours, idéalement dans des subdivisions bretonnes. Ça ne m’inquiète pas. C’est peut-être trop optimiste de ma part mais je sais que la MG n’est pas la plus prisée.”
Enfin, tous les élus ont souhaité convenir d’une installation du jeune homme en libéral et non en salariat, après avoir bénéficié de la bourse. “Je leur ai répondu que s’ils m’offraient une partie de mes études, alors c’était normal de ne pas négocier le salariat.” Pour Léonard, le plus difficile fut de construire son projet professionnel aussi jeune. “Je ne connaissais pas trop le système de santé, les différences de statuts. J’ai dû apprendre et tout comprendre très vite.”
Risque limité
Après tous ces échanges, le maire de Plévenon a donc proposé à l’étudiant 400 euros par mois pendant sept ans, contre autant d’années d’installation dans sa commune à l’issue de son cursus de médecine générale. “Quelque part, le risque est limité pour tous. On est tous gagnants. Si je n’honore pas mon contrat, je dois leur rembourser la somme perçue sans pénalités mais nos intérêts sont communs : je veux m’installer dans ce territoire et eux ont besoin d’un médecin.” Le jeune homme tient également à insister sur un point : une fois les sept ans écoulés, il n’envisage pas de quitter la commune. “Je ne fais pas ça juste pour trouver un moyen de payer mes études. Je le fais aussi parce que c’est mon but, mon objectif depuis ma première année. Je suis quelqu’un de sédentaire, j’aimerais m’installer et faire ma vie au Cap Fréhel.”
Depuis début mars et la validation de la bourse en Conseil municipal, sa motivation est décuplée. “Je sais pourquoi je travaille, ça m’aide énormément”, se réjouit Léonard. La commune de Plévenon, de son côté, a récemment investi dans une maison qu’elle transformera en cabinet médical, qui devrait accueillir le jeune homme, avec un futur IPA. “Il est actuellement étudiant et devrait s’y installer aussi !” Car même si Léonard se projette dans le libéral, il ne veut pas exercer de manière isolée. “Le rural seul ne me fait pas peur. Je sais que la moyenne d'âge côté Plévenon est un peu âgée mais la gériatrie est aussi quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Et puis, je ne serai pas seul. Il y a une CPTS sur le territoire, j’aimerais la rejoindre et pouvoir les aider à ma manière”, espère-t-il. “Au cours de mes démarches, beaucoup m’ont dit que je m’engageais dans quelque chose de difficile, mais ça ne me fait vraiment pas peur. Je suis prêt à relever le défi. Et cela me plaît, car je sais qu’il y a besoin de médecins dans ces territoires”, conclut-il.
*première et deuxième année de médecine.
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