"Je suis condamné à travailler quatre fois plus que celui qui était censé être mon égal" : les rêves brisés de la réforme de la Paces
Futur incertain, inégalités persistantes, risques psycho-sociaux majorés… Quatre ans après sa mise en place, la réforme de la Pass/LAS ne semble pas avoir mis fin au "gâchis humain" de la Paces, d'après les résultats d'une enquête menée auprès de 13 000 étudiants, par la Fage et les fédérations santé*. Alors que certaines filières peinent à faire le plein, plus de 4 étudiants sur 10 confient avoir eu envie de tout arrêter en cours d'année.
En février dernier, un rapport de la Fage et des fédérations représentant les étudiants de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kiné (MMPOK) avait permis de dresser "un premier constat d'échec" de la réforme de la Paces, mise en place à la rentrée 2020. Un diagnostic désormais objectivé par les résultats d'une enquête qui a permis de recueillir le ressenti et les témoignages de plus de 13 000 étudiants ayant vécu au moins une année de Pass** ou de LAS***, les deux "voies d'entrée" des études de MMOPK.
Alors que la réforme avait notamment pour objectif de réduire les risques psycho-sociaux de la course aux études de médecine en remplaçant le numerus clausus par un numerus apertus et en ouvrant des perspectives en cas d'échec, 81% des étudiants qui se sont exprimés ont déclaré qu'ils étaient "plus stressés" depuis leur entrée en Pass/LAS ; 43% d'entre eux ressentent même "un stress intense" plusieurs fois par jour. "Je n'ai jamais été aussi mal dans ma vie, confie un étudiant qui a enchainé une première année de Pass avec une LAS 2 de droit à Bordeaux. Je suis réellement traumatisé de ces études que je trouvais passionnantes. Je cumule les crises d'angoisses (plusieurs fois par jour), je n'ai plus aucune confiance en moi, je suis très faible psychologiquement." "Enormément d'étudiants souffrent réellement jusqu'à parfois avoir des pensées suicidaires", alerte un autre étudiant de LAS. Autre chiffre qui interpelle : 42% des étudiants de Pass/LAS interrogés ont envie d'arrêter en cours d'année…
La LAS, conçue tout à la fois pour diversifier les parcours et les profils en santé, offrir une deuxième chance d'entrer en médecine et faciliter une réorientation en cas d'échec, reste "un choix par dépit", tandis que la Pass, que les fédérations étudiantes qualifient de "reliquat de la Paces", reste souvent aux yeux des lycéens et de leurs parents "la voie royale". Les étudiants admis en 2e année de santé sont 43% à pointer une "différence de niveau" entre ceux venus de Pass et ceux issus de LAS, du fait d'un volume d'enseignements en santé très inégal. Les étudiants de LAS semblent être d'ailleurs perdants sur tous les plans… "On a la même charge qu'un élève standard qui fait juste sa licence, sauf que l'on a toute la LAS à côté à travailler, en plus d'apprendre tous les cours de majeure", pointe un étudiant en LAS 1 à Montpellier.
"Faites en sorte que des élèves qui rentrent à la fac pour réaliser leur rêve n'aient pas envie de tout arrêter en décembre"
Le sentiment d'une inégalité des chances est encore majoré par le recours de certains étudiants aux prépas privées, dont le coût moyen dépasse les 5000 euros en Pass. "Je n'ai ni les moyens de me loger près de la faculté ni de me payer une prépa par rapport aux étudiants de bonne famille, déplore un étudiant de LAS 2 à Paris-Saclay. Je suis donc forcé à être enfermé chez moi du matin au soir à réviser et entendre des gens m'expliquer que celui qui sera pris sera le plus méritant. Pour réussir je suis condamné à travailler 4 fois plus que celui qui était censé être mon égal."
"Régulation" des prépas
Appelant à corriger le tir de la réforme sans plus tarder, la Fage et les fédérations d'étudiants en santé qu'elle réunit plaident pour la mise en place d'une "voie unique d'entrée" dans les études MMOP - mais aussi de kinésithérapie. Dans cette licence "harmonisée sur l'ensemble du territoire", les étudiants débuteraient avec un fort tronc commun en santé avant de se réorienter progressivement vers la spécialité choisie ; deux chances d'accès en MMOPK seraient offertes aux étudiants.
En attendant, les organisations étudiantes demandent un meilleur accompagnement sur la mineure santé de LAS, avec le développement d'enseignements dirigés. Elles réclament, enfin, des "actes forts et urgents" de "régulation" des prépas privées.
"Beaucoup de choses sont à revoir, résume un étudiant en LAS 2 langues à Poitiers. Mais s'il vous plaît, faites en sorte que des élèves de 18 ans qui rentrent à la fac pour réaliser leur rêve n'aient pas envie de tout arrêter en décembre."
*Anemf (médecine), Anepf (pharmacie), Anesf (sages-femmes), Fnek (kiné) et UNECD (dentaire).
**Parcours accès spécifique santé, où la santé représente la majorité des enseignements.
***Licence accès santé, qui se compose d'une licence majeure disciplinaire accompagnée d'une minorité d'enseignements santé.
Repères
A la rentrée 2022, derniers chiffres disponibles, la voie LAS représentait un quart des effectifs des 20.200 étudiants en deuxième année de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie, kinésithérapie, contre 50% pour la voie Pass.
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus