
"On joue avec nos vies" : étudiants en médecine et en couple, ils redoutent d'être séparés pour l'internat
Comme l'an dernier, les étudiants en sixième année de médecine en couple craignent d'être séparés à l'issue de la prochaine procédure d'appariement. Le nouveau processus, mis en place par la réforme du deuxième cycle des études médicales, ne leur permet plus de se déclasser pour être affectés dans la même subdivision que leur moitié. Si des solutions sont à l'étude, les carabins restent dans le flou.

En novembre prochain, Charlotte*, 26 ans, rêve de devenir interne en médecine générale. L'étudiante en sixième année de médecine espère surtout être affectée dans la même subdivision que sa compagne, qui a également passé les épreuves dématérialisées nationales (EDN) en octobre dernier et souhaite devenir psychiatre. "On se laissera porter par les villes disponibles. Notre priorité, c'est plutôt de faire notre internat [au même endroit, NDLR]. Mais dans le nouveau système de choix, on a beau faire des vœux et des simulations, les résultats tombent un peu comme un couperet. Du jour au lendemain, on sera affectées et on n'aura peut-être pas la même ville", redoute Charlotte.
Cette crainte n'est pas nouvelle. L'an dernier, plusieurs dizaines d'étudiants en couple craignaient déjà d'être séparés à l'issue de la nouvelle procédure d'appariement. Depuis le lancement de la réforme du deuxième cycle des études médicales (R2C) en septembre 2023, le processus d'attribution des postes d'internat est basé sur un algorithme spécifique et doit offrir à chaque carabin le meilleur vœu en fonction de ses résultats ; les étudiants sont désormais affectés un même jour et ne peuvent plus se déclasser pour rejoindre la même subdivision que leur moitié.
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Michel Rivoal
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1) Une statistique. Environs 60 000 généralistes libéraux en France pour 101 départements donc 600 par département. Une dizaine de... Lire plus
La disparition de cette option a été vécue comme une injustice par de nombreux couples. "Je trouve ça dingue que le nouvel algorithme" ne permette pas de se déclasser, alors que les autres années on pouvait le faire "sans justification", s'emporte Charlotte, en couple depuis deux ans. "On pouvait même se déclasser pour un ami, il n'y avait pas [la nécessité] d'une relation amoureuse."
J'en ai marre de devoir à chaque dois subir ma vie personnelle
"Je suis tellement énervée", les études de médecine impliquent déjà "beaucoup de sacrifices", insiste-elle. S'il y a"un moment dans notre vie où l'on peut faire un choix", c'est celui de l'internat. "Et, si je trouve ça très bien qu'il y ait un ordre de choix par 'mérite', j'ai 26 ans […] et j'en ai marre de me faire marcher dessus […] J'en ai marre de devoir à chaque fois subir ma vie personnelle", lance Charlotte. "J'ai envie de [pouvoir] choisir une fois dans ma vie. Je donne déjà beaucoup à l'hôpital, à la médecine… et je veux au moins rester avec ma compagne", confie l'apprentie médecin, installée dans le nord-est de la France.
Pour le Centre national de gestion (CNG) – en charge de la procédure d'appariement -, tout déclassement ou prise en compte d'un critère "couple" n'était pas envisageable l'an dernier. L'institution craignait que l'algorithme, utilisé pour la première fois, soit fragilisé et que cela impacte tous les étudiants en sixième année. Une solution avait cependant été trouvée pour les couples avec la mise en place de nombreux tours de simulation - facultatifs, puis obligatoires - avant la phase finale d'affectation.
Ces étapes "à blanc" devaient permettre aux conjoints de s'adapter et de "modifier l'ordre de leurs vœux" ou en ajouter. "Cela leur donne la possibilité de voir ce qu'ils doivent faire comme vœux pour [espérer] être affectés dans la même subdivision", détaillait il y a un an à Egora le Pr Benoît Veber, président de la Conférence des doyens de médecine.
Cette solution a permis "à une grande partie" des couples d'être affectés dans les mêmes subdivisions, note aujourd'hui Lucas Poittevin, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf). Le représentant syndical pointe toutefois quelques limites ; le nombre important de tours – plus d'une dizaine au total – et l'absence de visibilité sur le classement ont entraîné "une certaine labilité et une certaine instabilité". "Un étudiant pouvait se retrouver dans une spécialité [et une ville] différentes à l'issue de chaque tour à blanc", avance-t-il.
Une nouvelle option en 2025 ?
"Effectivement, la simulation permet peut-être d'orienter [nos vœux], mais plein de personnes peuvent changer [les leurs] jusqu'au dernier moment et, en plus, c'est très compliqué sans la visualisation où on voyait progressivement les gens choisir", confirme Charlotte, qui espère qu'une solution plus stable sera mise en place dès cette année.
L'an dernier, le CNG avait indiqué travailler sur ce sujet. "Les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur se sont engagés à ce que soient étudiées de très près les conditions dans lesquelles la demande relative à une affectation tenant compte du statut 'en couple' [lié par un mariage ou un Pacs, NDLR] pourrait se faire en 2025 sans dénaturer l’algorithme", avait assuré l'organisme à Egora en février 2024. Contacté en ce début d'année pour savoir si les étudiants en couple pourront bénéficier d'une option spécifique dès l'été prochain, le CNG n'a pas répondu à nos sollicitations.
"Aujourd'hui, rien n'est organisé pour les couples", affirme, de son côté, Benoît Veber. "Malheureusement, le CNG ne veut pas modifier l'algorithme actuellement", ajoute-t-il, précisant que la Conférence des doyens étudie plusieurs solutions. Parmi elles, la possibilité d'ajouter un ou deux tours à blanc supplémentaires pour les couples mariés ou pacsés. Cette hypothèse prévoit, comme l'an dernier, que "tous les étudiants choisiront [et modifieront] leurs vœux lors des différents tours à blanc et ensuite, il y aura un ou deux tours spécifiques pour les couples mariés ou pacsés qui leur permettra de se réaligner pour pouvoir être dans la même subdivision. A l'issue de ce ou ces tours-là, tous les étudiants auront leur affectation définitive", explique Lucas Poittevin de l'Anemf, qui a planché sur cette proposition.
Plusieurs solutions sur la table
Mais cette option ne serait pas sans conséquences sur les autres carabins ne participant pas à ces tours supplémentaires. Certains pourraient voir le poste leur étant attribué lors du dernier tour à blanc "général" affecté à un carabin en couple. Et ce, sans qu'ils ne puissent modifier leurs vœux, car n'étant pas en couple. Ces étudiants se verraient alors affectés le vœu suivant dans leur liste, résume Lucas Poittevin.
Pour le représentant syndical, ces conséquences doivent être nuancées ; si une "personne mariée ou pacsée prend une place" lors de ces tours supplémentaires, "c'est qu'elle était mieux classée", soutient-il. "Cela obéit à la logique de 'celui qui est le mieux placé choisi en premier' […] Le principe resterait [donc] juste et non attaquable", estime le président de l'Anemf, reconnaissant que cette solution doit encore être approfondie.
Sera-t-elle mise en place dès 2025 ? Lucas Poittevin a "bon espoir". Pour l'heure, le CNG semble, en effet, avoir pris en compte cette option dans ses hypothèses de calendrier pour la procédure d'appariement, selon le représentant syndical, qui reste prudent. Un arrêté doit être publié pour fixer les différentes dates du processus d'affectation, et devrait acter ou non la mise en place de tours supplémentaires pour les couples.
Je suis complètement démunie
Une autre solution avancée par l'Anemf - plus "instable" - serait de gérer les demandes des couples "au cas par cas". "Pour les couples qui n'auraient pas réussi à être affectés dans la même subdivision à l'issue de la procédure d'appariement, il pourrait y avoir des arrangements à l'échelle des facultés pour permettre un rapprochement", développe Lucas Poittevin. "Mais le problème, pointe-t-il, c'est que ça dépend du nombre : s'il y a cinq couples concernés, c'est possible de faire quelque chose sur certaines spécialités. Mais s'ils sont 250 [par exemple], ça devient beaucoup plus compliqué."
Quelle que soit la solution privilégiée, "on espère encore" qu'elle sera mise en place dès la prochaine procédure d'appariement, confirme Benoît Veber, "mais le décideur est le CNG".
Charlotte, elle, s'accroche à cet espoir. "Je suis complètement démunie", lâche-t-elle. Classée parmi les 1000 derniers de sa promotion et sa compagne parmi les 500 derniers, la jeune femme sait que leurs chances d'être ensemble sont réduites. Les dernières places disponibles en médecine générale devraient définir leur avenir, car il est plus facile d'atteindre certaines subdivisions en psychiatrie, précise Charlotte, qui doit encore passer les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos) au printemps**. En attendant, l'étudiante persiste : "Je ne comprends pas que l'on puisse jouer avec la vie des gens comme ça […] J'ai vraiment envie de fonder un projet avec ma compagne."
*Le prénom a été modifié.
**Les Ecos comptent pour 30% de la note finale classant les étudiants, les EDN pour 60%.
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