"J'ai perdu 1 500 places" : des étudiants en médecine lancent un recours contre les résultats des Ecos
Le 17 juin, près de 7 900 étudiants en sixième année de médecine découvraient leurs notes obtenues aux Ecos. Une déception pour certains de ces futurs internes, qui ont largement chuté dans les classements. Dépités, une quinzaine d'entre eux ont décidé d'engager des recours gracieux contre ces résultats. Ils souhaitent dénoncer les dysfonctionnements observés durant ces épreuves.
"Ça a été une grosse déception." Antonin*, 25 ans, est dépité. Le 17 juin, lors de la publication des résultats des Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos), l'étudiant en sixième année de médecine ne s'attendait pas à voir son rêve de devenir cardiologue s'envoler. Classé entre 2 000 et 2 500 selon les spécialités à l'issue des Epreuves dématérialisées nationales (EDN) d'octobre, le carabin a "perdu 1 500 places". "Je savais que les Ecos étaient durs et j'avais un peu l'impression qu'ils l'avaient été pour tout le monde. Je savais que j'avais eu quelques blancs et trous de mémoire, mais je pensais avoir pas mal réussi", raconte Antonin, dans un souffle.
Impuissant face à ces résultats, le jeune homme a souhaité réagir. Comme une poignée d'autres étudiants, il a décidé d'engager un recours gracieux individuel. "Nous sommes une quinzaine à avoir contacté une avocate pour qu'elle rédige ces recours", souligne-t-il. Leur but ? Dénoncer les dysfonctionnements observés lors des Ecos. Ces épreuves orales, auxquelles ont participé près de 7 900 étudiants, se sont tenues pour la première fois les 28 et 29 mai. Mais elles ont été marquées par de nombreux couacs, assure Antonin.
Parmi eux, des erreurs fréquentes des patients standardisés. Ces derniers, formés pour l'occasion, étaient présents dans trois des dix mises en situation – appelés stations – passées par les carabins. "Je suis tombé sur une patiente qui ne me laissait pas parler, soutient Antonin. J'étais devant un dilemme : est-ce que je devais lui couper la parole au risque de perdre des points ? Mais si je ne le faisais pas, je ne pouvais pas gagner de points." Il ne pouvait, en effet, poser des questions adaptées et trouver le bon diagnostic. Une situation qui l'a "chamboulé", estime l'étudiant bordelais : "Ça m'a mis dans une 'mauvaise spirale' pour les autres stations."
"C'était très déstabilisant"
"Les patients standardisés n'étaient en réalité pas du tout standardisés. Ils ne donnaient pas les mêmes réponses aux questions des étudiants", acquiesce Camille*, externe ayant également décidé d'engager un recours. Suite aux Ecos, la jeune femme a aussi perdu 1 500 places dans les différents classements. Celle qui aimerait devenir généraliste risque de ne pas pouvoir rester dans sa ville d'origine pour son internat. "Après les EDN, mon classement était largement suffisant pour cette spécialité, mais ce n'est plus le cas." "Perdre 1 500 places sur une année où l'on est [moins de] 8 000 candidats, c'est énorme", soupire-t-elle.
Au-delà des erreurs de patients standardisés, l'étudiante en sixième année dénonce des défaillances sur certains matériels utilisés lors des Ecos. Lors de l'une des mises en situation – à laquelle ont été soumis tous les carabins -, "il y avait un toucher rectal à faire sur un [mannequin] masculin", avance Camille. "Mais pour certains étudiants, ce matériel n'avait pas de prostate", assure-t-elle : "C'était très déstabilisant !"
"Des étudiants ont témoigné que les examinateurs riaient [à leurs] questions" pendant leur passage, ajoute la jeune femme. D'autres carabins ont dû réaliser ces épreuves dans des salles mal isolées. "On entendait les personnes qui passaient à côté de nous. C'était lunaire", se souvient Antonin. "Il y a aussi un nombre incalculable de personnes qui ont dit avoir trouvé [en entrant dans la salle lors d'une mise en situation, NDLR] le brouillon du candidat précédent, avec son diagnostic écrit. C'est aussi déstabilisant", complète Camille, citant des témoignages publiés sur les réseaux sociaux.
Des dysfonctionnements déjà connus
Pour l'étudiante, ces dysfonctionnements sont d'autant plus anormaux qu'ils ont – pour la plupart – déjà été observés lors des Ecos blancs en mars. Erreurs des patients standardisés, brouillons oubliés et couacs organisationnels : des dizaines d'externes avaient témoigné de problèmes similaires. Une pétition lancée par un groupe d'étudiants appelant à stopper le "carnage" des Ecos avait notamment réunie 8 961 signatures. Des députés avaient également interpellé le Gouvernement sur ces épreuves. Tandis qu'une avocate, représentant un collectif de carabins, avait écrit au ministre délégué à la Santé et à la Prévention l'invitant à prendre des mesures pour éviter de tels dysfonctionnements. "Les organisateurs étaient au courant de ces problèmes, mais ils étaient allés trop loin pour revenir en arrière", croit aujourd'hui Camille.
Pris un à un, ces "petits détails" ne sont "au demeurant pas dramatiques", tempère, de son côté, Christian Raymond. Mais "comme 500 ou 1 000 places peuvent se jouer au demi-point près", ces couacs peuvent avoir "des conséquences dramatiques pour certains candidats", pense ce père de famille, très investi dans la procédure en cours. Avec son fils, étudiant en sixième année de médecine à la faculté de Montpellier, il a décidé d'engager un recours gracieux. Pour cause : le carabin a perdu jusqu'à 2 000 places suite aux Ecos selon les classements. "Il voulait faire anesthésiste, mais il ne devrait pas [réussir à] avoir cette spécialité" avec ces nouveaux résultats, précise Christian Raymond.
Pour valider les Ecos et devenir internes, les apprentis médecins devaient obtenir 10/20**. Ces épreuves comptent également pour 30% dans la note globale classant les carabins pour leur choix de spécialité et de subdivision***. Une pondération bien trop forte pour ceux interrogés. "Les Ecos sont [en eux-mêmes] un exercice très formateur, mais ils sont une catastrophe sur le modèle actuel. Ils ne peuvent pas peser 30% et être classants", soutient Camille. "Le problème, c'est qu'ils sont joués et évalués par des humains", complète Antonin : "Classer [près de] 8 000 personnes sur cette base, et avec autant de poids sur la note finale, je trouve ça illusoire, impossible…"
Le 17 juin, les étudiants ont reçu des notes globales et leurs positionnements dans les différents classements de spécialité ; ils n'ont toutefois pas accès à des résultats détaillés. Impossible donc, pour eux, de savoir dans quelle station ils ont perdu des points. "Pour ces étudiants qui ont travaillé comme des fous 60 heures par semaine pendant six ans, on leur donne seulement un numéro et on leur dit de choisir une spécialité pour la vie, sans leur rendre de compte", s'indigne Christian Raymond, dénonçant cette "opacité". "Je ne vois pas en quoi ça pose problème" de donner aux étudiants des précisions sur leurs résultats, prolonge le père de famille : "Il faut être transparent !"
"Je ne veux pas que les organisateurs se félicitent"
C'est dans ce contexte que les étudiants ont décidé d'engager des recours gracieux contre leurs résultats aux Ecos. Avec cette procédure, ils n'espèrent pas nécessairement obtenir l'annulation pure et simple des notes issues de ces épreuves. "Ce n'est pas ce que je veux", glisse Antonin, conscient que certains de ces camarades sont très satisfaits de leurs résultats et ne souhaitent pas une telle décision. "Je ne veux [juste] pas que les organisateurs des Ecos se félicitent. Je veux que ces examens s'arrêtent ou qu'ils soient différents [les prochaines années], notamment que leurs résultats soient moins pondérés dans la note finale", détaille-t-il.
Grâce à ce recours, l'apprenti médecin souhaite surtout alerter : "C'est la seule chose que je peux faire à mon échelle." Entre le passage des EDN en octobre et ces épreuves en mai, "j'ai eu l'impression de me faire avoir et je n'ai pas envie que ça arrive à d'autres personnes en dehors de ma promo. Si j'avais été dans les promos en-dessous de la mienne, j'en aurais voulu à celles du dessus de n'avoir rien fait pour changer les choses", lâche-t-il.
Christian Raymond espère, lui, que ces recours permettront, pour cette première année, "de rendre ces Ecos validants et non plus classants" comme c'est le cas dans d'autres pays : "La répartition des notes a été trop discriminante." Pour le père de famille, la note seuil – actuellement fixée à 10/20 – pourrait être maintenue, mais sans que ces épreuves pèsent dans les classements des futures blouses blanches. La pétition lancée fin mars par un collectif d'étudiants portait cette même demande. Mais elle avait été rapidement balayée par le ministre délégué à la Santé et à la Prévention. "Il n'est pas question, en cours de route, de changer la nature [de cet] examen", avait affirmé début avril Frédéric Valletoux, précisant qu'une telle évolution pourrait toutefois être envisagée les prochaines années.
D'ici là, Camille comme Antonin devront choisir une spécialité. La plateforme de la nouvelle procédure d'appariement doit, en effet, s'ouvrir en août prochain. "Je pense que je vais quand même essayer de faire de la cardiologie sans être cardiologue, avance l'étudiant bordelais. Pour ça, je peux passer par la médecine d'urgence, la médecine générale ou, dans une certaine mesure, par la médecine vasculaire." Le fils de Christian Raymond envisage, lui, une autre option. "Si le recours engagé ne fonctionne pas, la question se pose pour lui de refaire son année, de ne pas prendre son poste…", indique son père : "Et à mon avis, il ne sera pas le seul à faire ce choix."
*Le prénom a été modifié.
** Cette année, 62 étudiants n'ont pas obtenu cette note et sont contraints de redoubler.
*** Les EDN, passées en octobre, comptent pour 60% de cette note globale ; le parcours de formation (mobilités internationales et nationales, diplômes de langues étrangères…) pour 10%.
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