La publication sur les réseaux sociaux de chansons paillardes entonnées en Paces à Clermont-Ferrand a précipité une nouvelle polémique sur l’aspect discriminatoire des traditions, suscitant un concert de protesations offensées de la part de l’administration et des syndicats étudiants. Mais derrière cette unanimité de façade, beaucoup n’en pensent pas moins. C'est une histoire "so 2019". Le 27 août dernier, une étudiante en Paces de Clermont-Ferrand écrit à la section locale de l'Unef (syndicat étudiant, classé à gauche) pour se plaindre de harcèlement. "Le bizutage est une tradition qui continue d’humilier et marginaliser les minorités sous l’œil complaisant des professeurs qui souvent y participent, par leur inaction ou leur rires. L’administration ne réagit pas non plus. De plus ces violences ont lieu sur les réseaux sociaux et dans les amphis", écrit l'étudiante, qui saisit également la cellule de l'université chargée de lutter contre le harcèlement sexuel. À son témoignage, la carabine joint un ensemble de captures d'écran issues d'un groupe Facebook privé destiné aux doublants et triplants de la Paces 2018-2019 de Clermont. Y figurent plusieurs hymnes carabins, qui vont du chant de guerre spartiate ("Doublant, quel est ta profession ?") à l'hommage au professeur local, en passant par une chanson paillarde destinée à brocarder les "bizuths" dans un style pour le moins fleuri.
Cette dernière, en particulier, a retenu l'attention du syndicat, qui la qualifie d'homophobe ("les bizuths sont des pd (…), des enculés"), sexiste ("une bonne bizuth est une bizuth qui suce"), y décèle un appel au viol ("une seule solution : la sodomisation"), et même de l’antisémitisme ("un bon bizuth est un bizuth mort"), sur la base d'une analogie supposée avec l’expression "un bon Juif est un Juif mort" ayant fleuri sur Twitter en 2012 sous le hashtag allusif #unbonjuif. [En réalité, la chanson carabine est attestée bien avant cet épisode et dérive probablement de l’expression "un bon Indien est un Indien mort" popularisé dans les westerns américains. NDLR.] "Bizutage et harcèlement" Plus largement, l'Unef dénonce à travers ces chants des phénomènes de "bizutage" et de "harcèlement" supposés en Paces. "On a des témoignages qui disent que par exemple quand on arrive en retard en Paces, et notamment quand on est une femme, on se fait insulter de salope ou de pute", rapporte Anne Mendez, étudiante en licence d'histoire et présidente de l'Unef Auvergne, à l'origine de la diffusion de l'affaire sur les réseaux sociaux. "Ce peut être des mini agressions : on vous recouvre de farine ou d’œuf. Ça peut aller jusqu’aux agressions sexuelles dans des soirées corporatistes, ou des étudiantes qui se font suivre jusque chez elles." Elle mentionne "quatre ou cinq" témoignages de cette nature, de la part de "femmes ou de personnes racisées", dont l’étudiante ayant initié la plainte.
Sexisme, homophobie, référence antisémite, incitation au viol : voilà ce que l’ont peut lire dans une publi fb d’un administrateur du groupe rassemblant les étudiant·e·s en PACES de Clermont-Ferrand.
— UNEF Auvergne (@UNEFAuvergne) August 28, 2019
Ces propos visant à stigmatiser les néo-arrivant·e·s sont intolérables. pic.twitter.com/mSRk8dPFHo
Évoquée par France Bleu Puy-de-Dôme, l'affaire suscite une réaction instantanée de l'administration. Mathias Bernard, président de l'université Clermont Auvergne, dénonce "des propos inacceptables, intolérables qui sont ce que l'on peut imaginer de pire" et indique qu'une enquête interne a été lancée. "L’UCA mène un travail avec les associations étudiantes, les personnels administratifs sur à la fois le refus de ces pratiques et la lutte contre les discriminations", se défend-il dans le quotidien local La Montagne. La réponse institutionnelle se poursuit dans Le Généraliste : le Pr Pierre Clavelou, doyen de médecine, y qualifie la chanson de "torchon abject, diffamant et ordurier". Du côté des syndicats, la Fédération des étudiants d'Auvergne (membre de la Fage, la principale fédération étudiante) y va de son communiqué : "ce genre de comportement instaure une ambiance délétère pour la santé et les conditions d'études des étudiants, qui ne saurait être tolérée", indique l'organisation. "Les étudiants et étudiantes doivent pouvoir étudier, dans un environnement bienveillant, nécessaire au bien-être de chacun. À ce titre, nous tenons à rappeler que le bizutage est illégal depuis 1998 et que ces pratiques, sous couvert de tradition, doivent cesser." Ils reçoivent le soutien de l'Anemf, qui fustige à son tour "les propos tenus en Paces à Clermont-Ferrand". Des oppositions… difficiles à assumer Cette levée de boucliers reflète-t-elle un consensus de terrain, ou l'unanimité n'est-elle que de façade ? De nombreux commentaires sur les réseaux sociaux, ironiques ou agacés, suggèrent que les étudiants sont a minima divisés sur la polémique. "Ce sont des chants qui détendent bien l’atmosphère durant cette année horrible. La très grande majorité des étudiants est d’ailleurs morte de rire", affirme un carabin. "Comment on explique que sur tous les étudiants il y ait une, peut-être deux personnes qui n’y rigolent pas, et tout le reste qui en rigole ?", s’interroge une autre étudiante. "Merci d'avoir reposté les chants, je ne les avais pas sauvegardés depuis la fermeture du groupe des doublants !", ironise un troisième. Mais la pression sociale et institutionnelle est forte : aucun carabin n'a accepté de témoigner, malgré nos approches. Au Bloc Santé, la corporation locale, on se mure dans un silence embarrassé : "j’aimerais pouvoir vous répondre mais honnêtement je ne préfère pas", a commenté sa présidente, jointe au téléphone. Avant de raccrocher manu militari. Il nous a fallu chercher du côté du syndicat des internes de Clermont pour obtenir un avis dissonant et assumé comme tel. "Pendant la Paces, les chansons paillardes existaient déjà et existent depuis belle lurette et ça n'a jamais choqué outre mesure", indique Guillaume Lienemann, représentant des internes locaux, qui s'exprime ici en son nom propre. "Ça a pu perturber certains cours de manière marginale mais très franchement, j'ai plus l'impression qu'on était dans la camaraderie et l'entraide qu'autre chose", estime l'interne de radiologie, qui a longtemps donné des cours en Paces et n'a jamais eu de retour particuliers sur des faits de harcèlement ou de bizutage abusif. La polémique de la fresque L'affaire de la chanson paillarde est d'autant plus sensible que la capitale auvergnate n'en est pas à sa première polémique. En 2015, une fresque de l'internat du CHU de Clermont avait fait les gros titres de la presse : par un jeu de phylactères, des plaisantins avaient transformé une orgie de super héros en allégorie de la loi de santé. Une mise en scène dénoncée comme une représentation d’un "viol collectif" à l'endroit de la ministre Marisol Touraine par l'association militante Osez le féminisme. Cette interprétation audacieuse avait été à l’origine d’une polémique nourrie sur la culture carabine – et précipité le sort de ladite fresque, depuis recouverte. "Quand j'ai lu ces articles qui sont parus, ça a tout de suite fait écho à la fresque", confirme Guillaume Lienemann, qui voit dans ce genre de dénonciations "une forme de bien-pensance qui est en train de s'installer par le biais des réseaux sociaux". "Je ne pense pas que la racine du mal soit en première année avec les chansons paillardes mais ça peut faire écho à des problèmes beaucoup plus concrets et sérieux de sexisme dans la suite des études médicales", estime-t-il en revanche, citant une enquête réalisée en 2017 par l'Isni à ce sujet. Chacun se fera son opinion, mais une chose paraît déjà certaine : la rentrée des carabins clermontois se fera, cette année, à voix basse.
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