Des parlementaires médecins peuvent-ils être poursuivis devant l'Ordre pour leurs positions politiques ?

11/12/2023
Deux plaintes ordinales ont été récemment déposées contre deux médecins sénateurs auxquels il est reproché d’avoir voté la suppression de l’aide médicale de l’Etat (AME), ce qui serait en contradiction avec le serment d’Hippocrate et plusieurs dispositions du Code de déontologie. Ces plaintes ont-elles une chance d’aboutir ? 

 

Comme le rappelle l’article L4124-2 du Code de la santé publique, les médecins chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’Ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre de la Santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le procureur de la République, le Conseil national ou le Conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit. 

Les médecins chargés d’une mission de service public sont des médecins qui assurent une fonction publique ou concourent à un service public : praticien hospitalier (à l’exception des soins dispensés en secteur privé), médecin expert judiciaire, médecin dans ses fonctions de conseiller ordinal… Un parlementaire, dans le cadre de ses activités de député ou de sénateur, est chargé d’une mission de service public. A ce titre, et en théorie, il peut être traduit devant l’Ordre mais le Conseil départemental, dont relève ce médecin parlementaire, s’il est saisi de cette plainte (notamment par un confrère…), n’a pas l’obligation légale de mettre en œuvre une procédure de conciliation (contrairement au dépôt d’une plainte contre un médecin de ville par un patient ou un confrère) et surtout "apprécie s’il y a lieu ou non de traduire le médecin chargé d’une mission de service public devant la chambre disciplinaire de première instance, au regard des faits exposés et des éléments en sa possession". C’est une différence majeure avec le déroulement d’une plainte ordinale contre un médecin libéral ou salarié, car si la procédure de conciliation échoue, le Conseil départemental a l’obligation de la transmettre à la chambre disciplinaire de première instance. 

 

Différence de traitement 

Dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, ni le ministre de la Santé, ni le directeur général de l’ARS, ni le procureur de la République, ni le Conseil national ou le Conseil départemental de l’Ordre n’ont porté plainte ou se sont associés à cette plainte déposée par deux médecins contre leurs deux confrères parlementaires. Pour l’un des plaignants, cette démarche est plus symbolique et a le mérite de pointer certaines prises de position sur un sujet particulièrement sensible. 

Reste à savoir la position que ne manqueront pas de prendre les Conseils départementaux concernés par ces dépôts de plainte. S’ils refusent de traduire leurs confrères sénateurs devant la chambre disciplinaire, ces décisions pourront encore être contestées devant le tribunal administratif. 

 

Immunité parlementaire 

Autre difficulté pour les médecins plaignants, l’immunité parlementaire que ne manqueront pas de soulever leurs confrères poursuivis : cette immunité soustrait les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Ainsi, aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Une irresponsabilité qui couvre tous les actes de la fonction parlementaire comme les interventions et les votes. Il pourrait en être autrement si un député ou un sénateur tenait des propos contestables en dehors de l’hémicycle. L’Ordre pourrait ainsi sanctionner un parlementaire médecin en cas de violation avérée du Code de déontologie médicale, pour des propos  qu’il aurait tenus  à l’extérieur de l’enceinte parlementaire, dans les média ou lors d’une tribune, d’un meeting ou encore sur les réseaux sociaux.    

 

Nicolas Loubry, juriste
 
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