Le Pr François Bricaire est infectiologue, ancien chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, et membre de l’Académie nationale de médecine Egora.fr : Une récente étude concernant le nouveau coronavirus indique que 81% des malades présentent des symptômes légers. Selon vous, quelles seraient les conséquences d’une sous-notification des personnes infectées ? Pr François Bricaire : Il y a vraisemblablement beaucoup plus de cas qu’on ne le pense, et les quantifier est extrêmement difficile. La présence de nombreux cas quasiment asymptomatiques a plusieurs conséquences. Premièrement, cela signifie que le risque d’extension épidémique est plus grand. Deuxièmement, la maladie en tant que telle est moins sévère que les médias veulent bien le dire. Et du fait que l’on calcule le taux de mortalité par rapport au nombre de cas exprimés uniquement, rajouter les cas de malades asymptomatiques va logiquement en diminuer la valeur.
Qui serait en danger face à un risque épidémique plus important ? Ce sont les personnes à risques dans les cas d’infections virales, à savoir les personnes fragilisées. Les facteurs principaux dans le cas du coronavirus actuel sont ceux qu’on observe classiquement lors d’une virose respiratoire : les maladies respiratoires (6,3% de mortalité selon l’étude du Jama du 24 février, NDLR), les maladies cardio-vasculaires (10,5% de mortalité), le diabète (7,3%), l’hypertension (6%), le cancer (5,6%). A ma connaissance, il n’y a pas de facteurs de risque propres uniquement au coronavirus. La mortalité du virus augmente avec l’âge, pour atteindre 14,8% chez les plus de 80 ans. Est-ce une particularité du coronavirus ? Pas à ma connaissance. Les formes graves des infections virales respiratoires sont majoritairement dues, chez les personnes âgées, à des pathogènes opportunistes qui causent des surinfections en profitant de l’affaiblissement par l’infection virale d’un système immunitaire déjà fragilisé. La mortalité est nulle chez les moins de 10 ans. Comment l’expliquez-vous ? C’est étonnant. Les jeunes ont tendance à développer des formes graves de virose respiratoire par surréaction et non surinfection. Il y a deux hypothèses : soit leur système immunitaire n’est pas assez mature pour réagir au virus, soit le système respiratoire des enfants n’a pas de récepteurs au coronavirus. Aucune étude ne permet de conclure pour l’instant.
Chez les femmes enceintes, quel risque prédomine ? Dans les infections virales en général le virus peut directement aggraver la maladie, car la femme enceinte est immunodéprimée à partir de 4 mois de grossesse. Pour l’instant il n’y a pas de preuves de transmission du virus au fœtus. Comment sont traités les malades du coronavirus dans votre ancien service de la Salpêtrière ? Premièrement, il y a un traitement purement symptomatique : calmer les douleurs, donner de l’oxygène en cas de détresse respiratoire, puis passer en réanimation si besoin. Deuxièmement il y a des essais de traitements antiviraux, déjà commercialisés pour d’autres viroses et non-spécifiques. Ils sont administrés aux patients présentant des formes sévères. Pour l’instant, tout le monde s’accorde à dire qu’on ne dispose pas de données suffisantes pour conclure sur l’efficacité de ces traitements. Comment voyez-vous l’évolution de l’épidémie de Covid-19 en France ? Je pense que le virus va se diffuser "gentiment" pour aboutir à une épidémie comparable à une virose saisonnière. De nombreuses personnes sont d’accord avec moi sans pour autant l’exprimer dans les médias. En France l’épidémie sera probablement comparable à une épidémie de grippe. Personne n’en parle mais la grippe saisonnière, en phase de décroissance complète, a encore tué 55 personnes la semaine dernière malgré une année très modeste. Comme pour la grippe, l’épidémie de Covid-19 causera majoritairement des formes bénignes avec une guérison rapide, et quelques formes sévères avec un tout petit pourcentage de décès.
Pour vous, le déclenchement du stade 3 de l’épidémie de Covid-19 est-il certain ? Je suis plutôt convaincu qu’on s’y achemine dans les prochains jours. Cependant, il faut raison garder. En stade 3, il est normal de prendre des mesures pour prendre en charge au mieux les personnes fragiles et limiter l’expansion du virus. Mais quand on rentre dans des restrictions majeures, par exemple concernant les rassemblements, c’est un peu excessif. Cela nuit à l’économie, pour un gain de santé modeste. La peur de l’épidémie devient plus grave que la maladie elle-même.
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