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Le dépistage du cancer pulmonaire, enfin dans les starting-blocks

C’est un long chemin qui semble enfin sur le point d’aboutir. Le 23 janvier, l’Institut national du cancer a annoncé le lauréat de son appel à projets, lancé en juillet 2024, en vue d’une évaluation du dépistage du cancer du poumon. Sujet brûlant pour les pneumologues, qui exigent un dépistage organisé de longue date, ce projet de recherche a fait l’objet d’une session spéciale lors du 29e CPLF.

25/02/2025 Par Romain Loury
Pneumologie Cancérologie 29ème Congrès de pneumologie de langue française (CPLF)
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Dénommé Impulsion, le projet de recherche concernant le dépistage du cancer du poumon, d’une durée de cinq ans, ciblera les fumeurs et anciens fumeurs âgés de 50 à 74 ans, sevrés depuis moins de quinze ans, ayant fumé au moins 20 paquets-années – par exemple, un paquet par jour pendant vingt ans, ou bien deux paquets par jour pendant dix ans. Porté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et les Hospices civils de Lyon (HCL), il vise à dessiner les contours d’un futur programme de dépistage organisé, qui deviendrait le quatrième, avec ceux du cancer du sein, du cancer colorectal et du cancer du col de l’utérus.

Ce dépistage recourra au scanner faible dose sans injection. Effectué à l’inclusion puis un an plus tard, il sera ensuite répété tous les deux ans. En outre, cet examen d’imagerie contribuera à détecter la présence d’une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), de calcifications des artères coronaires et d’une ostéoporose – autant de pathologies également liées au tabagisme. Le programme proposera aussi, dès l’inclusion des participants, une aide au sevrage tabagique.

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L’intérêt médical d’un tel dépistage, demandé de longue date par les pneumologues mais longtemps boudé par la Haute Autorité de santé, ne fait guère de doute. Première cause de mortalité cancéreuse, le cancer du poumon demeure de mauvais pronostic, avec un taux de survie d’environ 20 % à cinq ans. Et ce essentiellement parce qu’il est diagnostiqué tardivement, dans 57,6 % des cas à un stade disséminé ou métastatique(1). Comme démontré lors de plusieurs études déjà menées à ce sujet, le dépistage permettrait d’inverser la tendance, en accroissant la part de cancers du poumon détectés à un stade opérable, donc curables(2).

La participation, un enjeu majeur

L’une des inconnues réside dans la participation, « pierre angulaire du dépistage », estime le Dr Olivier Leleu, chef du service de pneumologie du centre hospitalier d’Abbeville (Somme). D’autant qu’elle demeure assez médiocre dans les dépistages organisés déjà en vigueur, ce qui explique en partie les réticences longtemps émises par les autorités sanitaires à l’encontre d’un nouveau programme. Dans l’étude DEP KP80, menée dans la Somme par l’équipe d’Olivier Leleu, le taux de participation était de 75,4 % au premier tour, mais chutait par la suite, à 42,8 %, et à 31,1 % aux deuxième et troisième tours, faute de courrier de relance(2).

Or la question de la participation pourrait être encore plus délicate pour le dépistage du cancer du poumon que pour ceux déjà en place. La possibilité de courriers d’invitation par l’Assurance maladie semble d’ores et déjà exclue, celle-ci ne disposant pas de données quant au tabagisme de ses assurés. À défaut, les porteurs du projet comptent largement s’appuyer sur la communauté médicale, en premier lieu les généralistes, mais aussi les centres de santé, les pneumologues, les radiologues, les tabacologues et addictologues, ou encore les pharmaciens.

Selon le Pr Sébastien Couraud, chef du service de pneumologie aiguë spécialisée et cancérologie thoracique de l’hôpital Lyon Sud, et l’un des deux coordinateurs du projet, celui-ci « a pour objectif de mettre les généralistes en première ligne. Tout sera fait pour qu’ils se sentent mobilisés. Mais c’est un vrai défi, d’autant que les généralistes sont au cœur de tout. Tout le monde arrive en leur disant la même chose que nous, qu’il s’agisse des cardiologues, des rhumatologues, des néphrologues ! Il nous faut donc être pragmatiques pour ne pas les étouffer avec des tâches qui partent dans tous les sens ».

D’autres voies d’appel à la participation sont envisagées, telles que des campagnes d’information, la mise en place d’une ligne téléphonique et d’une plateforme en ligne et, pour les publics les plus précaires (les plus affectés par le tabagisme), une stratégie d’aller-vers, par exemple à l’aide de bus équipés. « Les agences régionales de santé seront mobilisées pour déployer le programme dans les régions, et tenir compte des spécificités territoriales », explique le Pr Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa). Selon lui, les premières inclusions pourraient survenir « au début du second semestre ».

Un effectif de 20 000 participants

D’un budget de 6 millions d’euros, ce projet est le plus important financé à ce jour par l’lNCa, indique son président. À ces fonds s’ajoute la participation de l’Assurance maladie, qui procèdera au remboursement à 100 % des examens scanners, de l’aide au sevrage tabagique et de tout acte qui découlera d’un résultat positif. Il est prévu d’inclure 20 000 participants, effectif jugé suffisant pour trancher quant au taux de détection cancéreuse et au taux de participation. Cet effectif a, selon plusieurs acteurs, fait l’objet de discussions entre les organismes de tutelle et les porteurs du projet, qui tablaient plutôt sur un effectif de 100 000 participants.

« Ce sont essentiellement des contraintes budgétaires qui nous ont limités, explique Sébastien Couraud. Un effectif de 20 000 personnes, cela correspond à environ 0,5 % de la population éligible. C’est un chiffre de compromis avec les organismes de tutelle, qui permettra de répondre à leurs questions. L’idée est de passer rapidement au dépistage organisé, de s’affranchir au plus vite de ce cadre de recherche, qui est coûteux et contraignant. »

Selon la Pre Marie-Pierre Revel, cheffe du service de radiologie de l’hôpital Cochin (Paris) et également coordinatrice du projet, « plus vite nous pourrons mener les analyses intermédiaires sur le taux de faux positifs, les complications chirurgicales, l’adhésion au dépistage, le reparticipation au tour suivant, plus vite nous irons. Notre objectif, c’est que cela ne prenne pas cinq ans » avant que l’étude débouche sur un programme formalisé de dépistage organisé.

L’étude recèle « trois moments clés, ajoute Sébastien Couraud. D’une part, la cinétique d’inclusion dans l’étude : combien de temps nous faudra-t-il pour inclure ces 20 000 personnes. Deuxième élément majeur : est-ce que les gens reviennent à un an ? Et, enfin, à l’issue du programme à cinq ans, combien seront revenus lors des examens ultérieurs, menés tous les deux ans ? ». Au-delà des indicateurs principaux, Impulsion devrait donner lieu à une multiplicité d’études ancillaires, portant notamment sur l’intérêt de l’intelligence artificielle (IA) dans l’interprétation du scanner, sur la détection de la BPCO ou sur les algorithmes décisionnels en radiologie, notamment en cas de « nodule indéterminé ».

Des questions en suspens

Si le scanner permet de visualiser la présence d’un emphysème, facteur de risque de BPCO, le diagnostic de cette maladie respiratoire repose avant tout sur l’interrogatoire du patient et sur la spirométrie. À l’imagerie, l’absence d’emphysème ne permet pas de certifier l’absence de BPCO. Lors d’une étude publiée en 2020, 32 % des personnes atteintes de BPCO non diagnostiquée ne présentaient aucun emphysème(3). Selon le Dr Thierry Perez, du service de pneumologie-allergologie du CHU de Lille, il est « très hautement souhaitable » que le scanner soit couplé à la spirométrie, puis à l’exploration fonctionnelle respiratoire (EFR) en cas de symptômes.

Autre sujet de discussion, le recours aux seuls critères d’âge et de tabagisme pour déterminer l’éligibilité au dépistage. À ce jour, la plupart des programmes déjà lancés dans d’autres pays, dont les États-Unis, la Croatie et l’Australie, utilisent le même système, avec des nuances quant aux seuils retenus. À l’exception du Royaume-Uni, dont l’expérimentation en cours repose sur des scores de risque, tels que le PLCOm2012, qui tient aussi compte de l’origine ethnique, du niveau d’études, des antécédents personnels de cancer, ou familiaux de cancer du poumon, etc.

Or selon Hilary Robbins, épidémiologiste au Centre international de recherche sur le cancer (Circ ; organisme sous tutelle onusienne situé à Lyon), cette approche par score de risque pourrait être plus performante que les seuls critères d’âge et de tabagisme. Selon une étude récemment publiée par son équipe, le nombre de personnes éligibles au dépistage serait moindre, mais avec moins d’examens à mener pour éviter un seul décès(4). Le Circ évalue actuellement des biomarqueurs sanguins prédictifs du risque de cancer du poumon, dont de premiers travaux suggèrent qu’ils seraient encore plus efficaces pour déterminer qui pourrait (ou pas) être éligible au scanner.

Bien que prometteurs, ces outils, d’un maniement moins aisé et plus long que les seuls critères d’âge et de tabagisme, pourraient se heurter à l’écueil de la faisabilité à grande échelle. Interrogé sur ces questions en suspens, Sébastien Couraud indique que « l’étude des biomarqueurs, de même que la spirométrie vont être intégrées au projet sur la base d’initiatives locales. Quant au score de risque, nous nous mettrons en condition de réunir des variables permettant d’élaborer un score à la française, qui sera testé dans un second temps lors d’une étude ancillaire ».

Références :

29ème Congrès de pneumologie de langue française (CPLF, Marseille, 24-26 janvier 2025) D’après les présentations des Drs Olivier Leleu (CH d’Abbeville, Somme), Thierry Perez (CHU de Lille) et de Hilary Robbins (Circ) lors de la session « Dépistage du cancer du poumon et des maladies respiratoires » ; et d’après les propos des Prs Sébastien Couraud (HCL) et Marie-Pierre Revel (hôpital Cochin, Paris) lors d’une conférence de presse de l’INCa (23 janvier).

  1. Debieuvre D, et al. Lancet Regional Health Europe, 29 août 2022.
  2. Leleu O, et al. eBioMedicine, 12 octobre 2024.
  3. Ruparel M, et al. Annals of the American Thoracic Society, 1er juillet 2020.
  4. Feng X, et al. Lancet Regional Health Europe, 31 janvier 2025.
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