L’influence hormonale sur les performances féminines encore largement inexplorée
À mesure que les sports se sont professionnalisés, la recherche a connu un véritable essor afin d’accompagner la préparation et la récupération des athlètes. Rien n’est laissé au hasard. Cependant, les données jusqu'à présent agrégées ont été essentiellement acquises chez les hommes, et les enseignements qui en ont été tirés ont été pour la plupart transposés aux femmes.
"Schématiquement, la conjugaison de différences anthropométriques, anatomiques, physiologiques et métaboliques expliquent que les femmes ont des performances inférieures de 9-12% à celles des hommes en matière de vitesse et d’endurance, résume le Pr Grégoire Millet à l’Institut des sciences du sport de l'Université de Lausanne (ISSUL). Pour les sports de force, ces écarts sont plus importants et peuvent atteindre 40%." Sur le plan physiologique, par exemple, la cascade du transport de l'oxygène est moins performante chez les femmes. Et pour cause : à poids corporel égal, une femme a une masse d'hémoglobine totale inférieure de 10% à celle d'un homme. En conséquence, elle a une consommation d'oxygène maximale inférieure. Dans les sports d’endurance, a fortiori en altitude, elles ont aussi des spécificités pulmonaires qui augmentent la prévalence de l’hypoxémie induite par l'exercice.
Puissance versus endurance
Sur le plan musculaire, "les masses musculaires et le rapport masse maigre/masse grasse, notamment au niveau des membres supérieurs sont plus faibles chez les femmes, précise le Pr Millet. Par conséquent, la force maximale est moindre." En revanche, les femmes ont une proportion entre les fibres oxydatives lentes, qui ont une capacité à oxyder les lipides, et les fibres glycolytiques rapides, supérieure à celle des hommes : "D’où leur moindre fatigabilité lors de contractions musculaires répétées et de moindres différences de performance entre les sexes sur les épreuves d'endurance. Mais ces facteurs combinés conduisent à une différence hommes-femmes supérieure lors de sports induisant des déplacements verticaux, comme l'escalade ou le ski-alpinisme."
Les caractéristiques musculaires des femmes leur permettraient aussi de mieux récupérer, mais il est possible que la variation de la thermorégulation et de la vasodilatation cutanée au cours du cycle interagisse et module ce constat. "Il est difficile de statuer clairement car la recherche portant sur l’influence hormonale est balbutiante", commente la Dre Juliana Antero, de l'Institut National du Sport, de l'Expertise et de la Performance (Insep), Paris.
La chercheuse est l’une de ceux qui, en France, étudient l'influence des hormones sexuelles chez les sportives. Elle résume l’état des connaissances actuel : "Chaque phase du cycle semble caractérisée par un profil de performance spécifique. L’augmentation des œstrogènes au cours de la phase pré-ovulatoire s'accompagne, en général, d'une amélioration de la puissance, de l'intensité et de la récupération, avec une cinétique corrélée aussi à celle de la testostérone libre. Au cours de la phase post-ovulatoire, l’augmentation de la progestérone améliore cette fois la concentration, la réactivité et la gestion du stress." En revanche, la phase prémenstruelle ou menstruelle peuvent toutes deux avoir un impact défavorable, en particulier si elles sont associées à des symptômes comme la prise de poids ponctuelle ou des douleurs de règles. "Dans tous les cas, on observe dans cette période une tendance générale à diminuer l’intensité des efforts à l’entraînement, commente la chercheuse. La baisse de cette intensité en entraînement frôle alors les 10%."
Vers une personnalisation du suivi hormonal des athlètes
Reste que la variabilité des cycles et des taux hormonaux est importante d’une athlète à l’autre. Un suivi personnalisé s’impose : il est de plus en plus souvent intégré dans l’accompagnement des entraînements par les fédérations. C’est dans ce contexte qu’intervient la gestion de la contraception hormonale. "Schématiquement, elle réduit les bénéfices des pics hormonaux, concède Juliana Antéro. Mais elle peut apaiser les manifestations symptomatiques au cours du cycle. Sa balance bénéfice-risque doit donc être évaluée au cas par cas, avec le médecin, selon les symptômes ou pathologies à corriger. Idéalement il faudrait s'assurer que le désir ou le besoin de contraception et le désir de performance sont compatibles."
La contraception hormonale impose aussi de surveiller étroitement la survenue du déficit énergétique chronique, pathologie à prédominance féminine, qu’elle peut masquer. "Celles dont les cycles sont irréguliers ou absents ont davantage de risque de blessure et peuvent voir leurs performances stagner. Elles tendent donc à être en situation de surentraînement, ce qui peut affecter la pulsatilité hormonale nécessaire à l'ovulation. En découlent l’arrêt des cycles, une fatigue, une perte de la masse musculaire ou une déminéralisation osseuse… "
En matière de recherche et de caractérisation des spécificités liées au sexe, il reste beaucoup à faire. Ne serait-ce que parce qu’il n’est pas possible de transposer tels quels les résultats de la recherche en laboratoire à ce qui est attendu lors des compétitions. Des facteurs psychologiques et comportementaux interviennent alors. Et là-dessus aussi, hommes et femmes se distinguent, commente Grégoire Millet. "Les études montrent par exemple que les femmes savent mieux répartir leurs efforts sur la durée, notamment en situation de stress ou d'altitude." Sur les épreuves d’endurance, l’avantage psychologique des femmes, assorti à celui musculaire décrit auparavant, explique la moindre différence de résultats. Mais, "assorti aux autres disparités physiologiques et à celles anthropométriques, il semble illusoire de voir un jour les femmes surclasser les hommes, même dans les épreuves d’ultra-endurance", conclut Grégoire Millet.
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Références :
D’après des entretiens avec le Pr Millet (Université de Lausanne) et la Dre Antéro (Insep)
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