Médicament : le bon usage pour limiter l’impact environnemental

16/06/2023 Par Muriel Pulicani
Santé publique
[DOSSIER] Utiliser le médicament à bon escient peut être un levier de réduction de l’impact humain sur l’environnement. Cette nouvelle approche implique une amélioration des conditions de production – et une diminution des volumes –, une réduction des déchets et des résidus, mais aussi un changement des pratiques de prescription et des modes de consommation. 

 

Faudra-t-il inclure l’impact environnemental du médicament à la balance bénéfice-risques ? C’est la question force posée lors du forum Bon usage du médicament organisé par l’association éponyme (ABUM) au ministère de la santé le 30 mai. Aux risques sanitaires individuels s’ajoutent des risques collectifs, environnementaux. « Il y a un effet boomerang : contamination de l’eau, effet de serre, impact sur la fertilité humaine, antibiorésistance… », a énuméré Thomas Borel, directeur affaires scientifiques et responsabilité sociétale des entreprises au Leem, la fédération des entreprises du médicament. Le secteur de la santé représente 8 % des gaz à effet de serre émis par la France, soit 50 millions de tonnes équivalent CO2 sur un total de 604 millions. 

 

Evolution des normes de production 

Les législations, tous secteurs d’activité confondus, évoluent afin d’atténuer la pression humaine sur les écosystèmes. « Le Green deal européen a pour objectif une neutralité carbone à 2050 et zéro pollution de l’air, de l’eau et des sols », a listé Nathalie Gimenes, responsable à l’École des Mines et présidente de l’agence de conseil Be-Concerned. « Il devient obligatoire pour toutes les entreprises de mesurer leur empreinte carbone », a ajouté Thomas Borel. Des règles spécifiques s’appliquent à la pharma : normes de construction et de fonctionnement des usines, obligation d’études sur l’impact environnemental des médicaments… Cependant, aujourd’hui, 80 % de la fabrication des matières premières est confiée à un vaste tissu de sous-traitants situés en Asie, aux normes sociales et environnementales bien en-deçà des exigences européennes ou nord-américaines. La complexité de la chaîne de fabrication, éclatée entre de nombreux acteurs, a des conséquences délétères en termes de qualité, de ruptures d’approvisionnement, d’accroissement du transport international… Des entreprises ont maintenu leur activité industrielle en Europe ou rapatrié certaines productions, encouragées par des incitations étatiques et/ou régionales. Mais la relocalisation est complexe : acceptation sociétale de la réimplantation d’usines, manque de compétences, coûts importants… 

 

Obligation de transparence 

Les industriels s’interrogent : les investissements nécessaires seront-ils valorisés dans le prix du médicament ? Quels seront les critères retenus pour calculer l’impact écologique ? Et surtout, celui-ci deviendra-t-il un critère de refus d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) ? Il est déjà intégré dans les appels d’offres de certains établissements de santé... « Nous sommes dans une période critique, entre urgence environnementale et nécessité d’approvisionner les marchés », a pointé Thomas Borel. « En Europe, la nouvelle réglementation pharmaceutique va mieux prendre en compte l’évaluation du risque environnemental », a confirmé Chantal Guilhaume, cheffe du bureau "médicament" de la sous-direction "politique des produits de santé et qualité des pratiques et des soins" à la Direction générale de la santé (DGS). « Il faut travailler sur tous les critères (eau, sol…) et sur tout le cycle de vie du médicament. Cependant, l’impact environnemental n’est pas un critère de la balance bénéfices/risques mais une exigence faite à l’industriel de fournir plus d’informations, dans un souci de transparence », a-t-elle précisé. 

 

Responsabilité du médecin prescripteur 

Le médecin pourrait se servir de ces informations pour mieux prescrire. « Il s’agit d’intégrer le souci des autres dans le soin de soi », a résumé Eric Baseilhac, président de l’ABUM et directeur affaires économiques et internationales du Leem. Des outils sont en cours d’expérimentation. Comme smartbiotic, une application d’aide à la prescription d’antibiotiques en fonction de l’écologie bactérienne locale. Ou le Hazard Score, expérimenté en Suède, qui compare l’impact environnemental des médicaments pour choisir, à efficacité égale, une alternative moins polluante. « 1 001 molécules ont été analysées sur les 3 000 présentes sur le marché européen. Dans 84 situations de prescription sur 323, il y a eu des alternatives », a décrit le Dr Matthieu Sevenier, médecin généraliste. « C’est un score théorique, qui prend en compte la toxicité aquatique, mais pas les rejets dans l’air ou le sol, ni le conditionnement ou le transport », a reconnu le Dr Paul Frappé, président du collège de la médecine générale, évoquant un « travail introductif ». 

 

Mieux consommer 

Le sujet est abordé par la convention signée en mars 2022 entre les pharmaciens et l’assurance maladie : lutte contre le gaspillage et le stockage inutile des médicaments, dispensation du médicament ayant le moins d’impact environnemental… 

Les modes de consommation doivent aussi évoluer vers un usage plus raisonné. Les patients pourraient adopter les médicaments les plus "vertueux". « La loi Climat et résilience de 2021 prévoit un affichage environnemental sur les produits du quotidien », a rappelé Nathalie Gimenes. Enfin, le tri et la gestion des déchets (emballages…) et des médicaments non utilisés doivent être améliorés. La pharma fait partie des filières à "responsabilité élargie des producteurs" (REP) et est ainsi tenue d’« assurer la prévention et la gestion des déchets issus de ces produits en fin de vie ». Cyclamed est chargé de la collecte et la destruction des médicaments non utilisés. « Les textes imposent la valorisation énergétique, meilleure solution pour éviter l’enfouissement. On récupère aujourd’hui 70% de ce qu’on voudrait récupérer », a témoigné Thierry Moreau-Defarges, président de l’éco-organisme. 

 

Améliorer la gestion des déchets et des rejets 

« L’industrie du médicament est en train de construire une feuille de route "3R" [réduire, recycler, réutiliser] pour le plastique », a ajouté Thomas Borel. Des plans nationaux sont en cours et la législation évolue. « La loi Agec [anti-gaspillage contre une économie circulaire] de 2020 interdit de commercialiser des dispositifs médicaux contenant des micro-plastiques dès 2024 et vise à éliminer les plastiques jetables à usage unique d’ici 2030 », a rappelé Nathalie Gimenes. Le ministère de la santé a présenté fin mai une "feuille de route de la planification écologique du système de santé", ayant notamment comme objectifs de « transformer et accompagner les pratiques vers les soins éco-responsables dès 2023 » et d’« accélérer la réduction des déchets et leur valorisation d’ici 2030 et optimiser le périmètre DASRI [déchets d’activités de soins à risques infectieux et assimilés] pour le limiter le plus possible dès 2024 ». 

Enfin, les rejets médicamenteux, notamment dans l’eau, font l’objet de plans nationaux et européens. « Il y a des discussions au niveau européen sur un projet de refonte de la directive-cadre sur l’eau (Dir 2000/60/CE) et de ses directives filles, avec l’inclusion de molécules pharmaceutiques dans les listes », a expliqué Chantal Guilhaume. « Cela montre que les substances pharmaceutiques ne sont plus à part. » 

L’évolution des modes de production, de consommation et de gestion des déchets du médicament doit en priorité s’accompagner d’un renforcement de la prévention en santé, encore très insuffisante en France. 

 

Au sommaire : 

-   Interview : "Rares sont les cliniciens à penser aux expositions environnementales lorsqu'ils sont face à leurs patients" 

-   Les généralistes, en première ligne face au réchauffement 

-   La pollution de l’air, un risque en construction 

-   Perturbateurs endocriniens : chez les femmes enceintes, les difficultés de la prévention 

-   Dans la santé, la transition écologique s’affiche enfin au grand jour 

-   L’éco-anxiété, ou le trop-plein de réalité 

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

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