Interne, elle veut changer la façon dont les médecins soignent les jeunes
Nuits perturbées par les écrans, malbouffe, sédentarité, anxiété et dépression… Malgré des moyens considérables, les actions de santé publique dirigées vers les jeunes manquent leur cible. Pauline Martinot, interne en santé publique à Paris et docteure en neurosciences, a été missionnée par le ministre de la Santé sur le sujet en juin 2021, aux côtés de l’entrepreneuse Aude Nyadanu, fondatrice de la start-up Lowpital. Pour cette jeune femme de 31 ans, si l’on veut toucher les jeunes, il faut changer notre culture de la santé : exit le pathologie-centrisme et les injonctions ; place au bien-être, à la confiance… et au marketing digital. Interview.
Egora.fr : Comment une interne en médecine se retrouve-t-elle à la tête d'une mission ministérielle sur la santé des jeunes ?
Dr Pauline Martinot : Ce n'était pas du tout prévu ! Ça a été complètement une surprise que le ministre nous contacte au mois de juin 2021 pour nous proposer cette mission.
Mon binôme sur cette mission, Aude Nyadanu, est ingénieure dans un cabinet de conseil et a effectué plusieurs missions dans des établissements de santé en utilisant une méthodologie basée sur le design thinking* et la co-construction des solutions avec l'utilisateur. Son nom a été proposé par un des conseillers d'Olivier Véran avec qui elle avait travaillé auparavant et elle-même m'a recommandée pour cette mission.
Plusieurs personnes au cabinet ont confirmé ce choix au moment où ils cherchaient à communiquer différemment en matière de santé des jeunes, en utilisant des méthodologies comme le design thinking* et les sciences comportementales. L'idée était de changer la culture de la santé : ne plus la centrer sur les pathologies, mais revenir à la définition de l'OMS**, c'est-à-dire se sentir bien dans ses baskets au quotidien, avoir assez d'énergie pour réaliser ses projets de vie, se sentir inclus dans la société.
Et cela correspondait à plusieurs initiatives que j'ai pu mener au cours de mon internat : un think tank que j'ai co-fondé il y a quelques années, Les Ateliers Mercure, dont les travaux sur la promotion de la santé mentale en France, l'écologie ou encore les différents types de management en équipes de santé à l'hôpital ont été appréciés par le ministre ; et une association de promotion de la santé que j'ai montée il y a trois ans – Imhotep – au travers de laquelle on teste plusieurs manières de faire de la communication en santé, en ciblant les jeunes, avec pour objectif d'améliorer leur santé mentale et leur santé sexuelle. On leur propose des outils pour être autonomes et avoir confiance en eux, gérer leur stress, améliorer leur sommeil, etc.
C'est ainsi que nous avons eu carte blanche sur le sujet !
Votre rapport est très différent de ce à quoi nous sommes habitués. C’est une véritable trousse à outils. Quel a été votre parti pris méthologique?
Le premier jour de notre nomination, nous avons été contactées par des journalistes qui nous ont demandé quels seraient les grands axes de notre rapport. Nous avons répondu qu'on ne le saurait qu'à la fin! Nous avions envie de demander aux principaux intéressés quels étaient leurs besoins, les freins qu'ils rencontraient au quotidien pour se sentir bien. Nous avons pour cela utilisé la méthodologie du design thinking, qui est assez récente et très peu déployée dans l'administration. Au lieu d'interviewer les présidents d'institution, les représentants syndicaux ou de structures jeunes, on a établi des profils type de jeunes représentatifs d'une majorité de jeunes du territoire : ruralité, grandes villes, quartiers difficiles, Outre-mer… Au cours de notre mission flash de trois mois menée sur le terrain par une équipe de bénévoles, nous avons pu interviewer 70 jeunes et 200 professionnels qui travaillent à leurs côtés au quotidien, mais aussi des personnes qui travaillent dans la communication et le marketing de grandes entreprises pour voir comment ils adaptent leur discours afin de donner envie aux jeunes. L'idée était donc de proposer quelque chose de différent, en complémentarité de l'existant. Car bien des travaux de qualité ont déjà été réalisés en termes de santé publique.
Comment avez-vous mené de front cette mission tout en poursuivant votre internat?
C'était un choix… Je me levais tôt, je me couchais tard. Je travaillais samedi et dimanche, et je n'ai pas pris de vacances l'été dernier [le rapport a été rendu en septembre 2021, NDLR]. Nous avons constitué une équipe de 12 personnes, bénévoles, avec qui j'avais l'habitude de travailler dans Les Ateliers Mercure et dans Imhotep. L'idée était qu'ils interviewent des personnes qui les intéressaient. Nous avons également reçu beaucoup d'aide de personnes bénévoles de l'extérieur.
Comment avez-vous été reçue par le milieu médical et universitaire en tant qu'interne à la tête d'une mission ministérielle ?
Pour une grande majorité des personnes interviewées, j'ai été plus que bien reçue, et encouragée dans cette démarche de "l'aller vers". Notamment lors des journées réalisées en ruralité en Bretagne dans les maisons de la jeunesse avec des animateurs et éducateurs qui pour la première fois partageaient leurs solutions et leurs vécus avec les jeunes. C'était une chance de...
réaliser une mission avec une telle richesse de témoignages !
Une majorité de professeurs en santé publique et d'anciens représentants étudiants-internes nous ont boostés et apporté leur soutien en off. Malheureusement, pour certains, on représentait des jeunes, bien que docteurs, sans statut de professeur en médecine ni d'élu syndical. Un des représentants nous a dit "qu'on n'était pas à la hauteur" car seulement interne, donc qu'il ne préférait pas partager notre initiative auprès des jeunes pour ne pas que d'autres s'y joignent car il ne soutenait pas la décision du ministre de nommer des gens sans expertise. A l'inverse, on a été accueillis à bras ouverts par des personnes "haut gradées", nous disant : "Enfin ! quelle ouverture et avancée de nommer des jeunes motivés comme vous." On n'a pas eu de prétention de faire un travail exhaustif mais on s'attendait à plus d'encouragements et de participations de la part de ces représentants syndicaux et de certains enseignants en santé publique.
A titre personnel, cela n'affecte en rien ma motivation à continuer et à redoubler de travail pour pousser la cause de la promotion de la santé des jeunes. Et je remercie tous les professeurs et représentants étudiants qui nous ont soutenus et aidés dans ce travail.
L'un des grands enseignements de ce rapport est que la santé vue sous le prisme de la maladie ne touche pas les jeunes, qui ne se sentent pas concernés. Est-ce à dire que les médecins ne sont pas les mieux placés pour faire de la prévention auprès de ce public?
Ils ne sont pas les seuls en tout cas ! En médecine, nous sommes biberonnés au risque. Et pourtant, en matière de santé, il ne suffit pas de transmettre une information sur les risques pour que la personne change son comportement. Cela a été récemment prouvé par les neurosciences et les sciences comportementales. D'ailleurs, les professionnels les mieux à même de voir les dégâts causés par l'addiction au tabac, les pneumologues et les réanimateurs, sont ceux qui fument le plus…
Il y a aussi un phénomène générationnel. De nombreux jeunes médecins ne veulent pas être des donneurs de leçons qui se placent au-dessus des patients. Ils veulent plus d'interdisciplinarité, plus d'interprofessionnalité avec les autres soignants mais aussi tisser une relation de confiance avec les patients. C'est d'autant plus important dans cette ère de fake news et de fake med. Il faut réfléchir au message que l'on diffuse, basé sur les preuves, et savoir aussi, parfois, reconnaître ce que l'on ne sait pas.
Que peut faire un médecin pour améliorer la santé des jeunes? Comment doit-il se positionner dans sa pratique au quotidien ou sur les réseaux sociaux?
Il doit se positionner comme leur meilleur allié santé. Il faut donc écouter ses besoins, s'adapter, ne pas lui imposer ce qu'on considère comme bon pour lui, mais lui laisser le choix parmi des solutions prouvées. Autre élément fondamental, à côté duquel on est passé à côté : l'estime de soi. Il faut avoir une bonne estime de soi pour être capable de prendre soin de soi, faire du sport, mieux manger. J'ai eu la chance d'avoir un parcours international. Dans les pays anglosaxons et les pays nordiques, dès l'école, ils se mettent en situation au quotidien de cultiver cette estime de soi et résultat : ils ont une meilleure espérance de vie en qualité que nous. Ils se font du bien, pour mieux profiter de la vie derrière. Alors qu'on associe beaucoup trop la santé à quelque chose de chiant, de négatif. Il est temps de sortir d'une ère très médicalisée, avec des régimes et des injonctions, pour vraiment promouvoir la santé.
Vous jugez que les pairs sont les mieux placés pour parler de santé aux jeunes. Le service sanitaire n'est-il donc pas l'outil parfait ? Vous en parlez peu dans votre rapport.
Nous avons dû faire des choix dans ce rapport. A titre personnel, il y avait un lien d'intérêt car mon association, qui encadre des étudiants en service sanitaire, vient de remporter un appel à projet. En outre, le service sanitaire repose sur des étudiants en santé, ce ne sont donc pas vraiment des pairs. Mais le service sanitaire est un très bon outil, qui peut toutefois être amélioré sur le plan méthodologique (travail en équipe, montage de projets…).
Y a-t-il des constats qui vous ont surprise ?
Nous avons été scotchés par le nombre de jeunes qui avaient un sommeil catastrophique. L'un d'entre eux nous a même confié qu'il mettait un réveil à 2 heures et 4 heures du matin pour vérifier ses notifications sur les réseaux sociaux. On entend beaucoup le slogan "mange au moins 5 fruits et légumes par jour" (même si ça ne marche pas), mais on n'entend jamais parler de...
l'importance de bien dormir, ne serait-ce que pour la santé mentale et pour l'apprentissage. Pour les jeunes, le sommeil est quelque chose de négatif, qui fait perdre du temps. Il y a une grosse marge de progression sur le sujet. Nous avons rencontré la Pr Stéphanie Mazza, qui a été d'une grande aide en nous donnant des ressources scientifiques. Il faut savoir aussi que le sommeil augmente les inégalités sociales : les enfants les plus défavorisés, qui habitent loin des lieux d'enseignements, sont aussi ceux qui se lèvent le plus tôt. Des expérimentations ont d'ailleurs montré que les ados bénéficieraient de se lever une heure plus tard.
J'ai été également surprise, à titre personnel, par le nombre de questions que se posent les jeunes parents, qui entendent tout et son contraire et se sentent abandonnés. Certains ne parlent pas très bien français et le carnet de santé ou encore l'application 1000premiersjours gagneraient à être accessibles dans plusieurs langues. Car ce sont des termes techniques, il y a peu de pictogrammes, de dessins pour expliquer concrètement comment s'occuper d'un bébé. Alors qu'avec le digital, on peut faire de la vidéo et tout traduire.
Je me suis aussi rendu compte qu'il y avait deux catégories de jeunes pessimistes sur l'avenir : d'un côté, les éco-anxieux, plus favorisés, et de l'autre des jeunes moins favorisés qui ne se sont jamais sentis épaulés par la République, ni inclus dans la société. Nous avons basé notre rapport sur ces deux éléments : pour être en bonne santé, il faut avoir à titre individuel un bon niveau d'estime de soi, et à titre collectif, être inclus dans un groupe et avoir un sentiment d'appartenance. Cette dernière catégorie de jeunes n’avait ni l'un, ni l'autre.
Quelles solutions face aux réseaux sociaux, qui impactent le sommeil et la santé mentale des jeunes?
Les jeunes veulent garder la liberté d'y aller, donc il ne faut mettre trop de contraintes. Mais peut être aller vers une forme de récompense : par exemple avoir un système où l’on gagne des points, convertibles en bons d'achat (des équipements sportifs ou autre), si on éteint son téléphone à 22 heures pour dormir?
Je suis encore plus inquiète vis-à-vis du harcèlement, phénomène amplifié par les réseaux sociaux. J'aurais aimé creuser du côté de la police et la justice, notamment dans l'optique de faciliter le signalement. Mais nous avons eu peu de temps.
Quelles suites vont être données à ce rapport?
Nous l'avons remis en septembre 2021. Le ministère l'a publié le 4 mars [journée anniversaire de la loi Kouchner fondatrice de la démocratie sanitaire, NDLR]. Il nous a félicités pour la "fraîcheur", l"intelligence", et le partage des solutions "passionnantes" de ce travail. Sur les 50 mesures proposées, le ministère jugeait que cinq pouvaient être rapidement mises en place, notamment la traduction du carnet de santé et la refonte de l'application 1000premiersjours, pour qu'elle soit plus user friendly. Le travail a été ralenti à l'approche des élections. Nous verrons ce qu'il en est avec le nouveau quinquennat. Je termine mes études et je ne suis plus impliquée dans la suite. L'idée était de montrer qu'il y avait une autre manière de faire des rapports. En espérant que celui-là prenne moins la poussière… Mais tout ne viendra pas forcément d'"en haut", il y a énormément d'initiatives locales qui sont intéressantes.
Vous disiez avoir un parcours international. Qu’en avez-vous tiré ?
J'ai fait un double cursus, médecine et recherches en neurosciences. J'ai vécu aux Etats-Unis un an et demi, au Canada un an ; je suis partie six mois en Australie et Nouvelle-Zélande ; j'ai fait la Chine et Taiwan pendant un mois et demi, je suis allée en Angleterre, en Espagne et en Uruguay. Il n'y aucun système parfait. Mais il y a des choses qui paraissent indispensables : en Nouvelle-Zélande, ils ne font aucune garde de plus de douze heures. Mais quel que soit le pays, quelle que soient les mesures mises en place, les moyens, ils avaient le même taux de suicide et de mal-être des soignants. Est-ce que c'est le fait d'être exposé à la mort et à la maladie? Ou le manque de team building ? En Nouvelle-Zélande, ils ont réussi à réduire le taux de mal-être en mettant en place des activités en équipe. Grâce à ce parcours international, je me suis aperçue que les autres pays mettaient en place des choses assez simples et pragmatiques qu'on pouvait reprendre. On a toutes les capacités en France pour faire beaucoup mieux !
*Une méthode de co-construction de solutions innovantes centrées sur l’utilisateur.
**"La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité".
Véritable trousse à outils, le rapport de Pauline Martinot et Aude Nyadanu émet 50 mesures pour porter la santé publique auprès des jeunes, dès la petite enfance, afin d’améliorer leur bien-être individuel et développer le sentiment d’inclusion dans la société.
Exemples de mesures :
-Organiser chaque matin à l’école une marche de 2 kilomètres pour tous les élèves
-Décaler d’une heure le début des journées au lycée et créer des espaces de sieste
-Programmer chaque année une journée pyjama à l’école pour parler du sommeil
-Proposer, sur le modèle du Pass culture, un pass bien-être pour tous les jeunes (séances de sport, panier-repas équilibrés, accès à une application de relaxation…)
-Déployer le modèle des "ambassadeurs de santé" à l’école, avec la promotion de la santé par les pairs
-Créer des "healthspaces", présentiels et digitaux, dédiés à la santé des jeunes
-Organiser un festival de santé grand public
-Simplifier le carnet de santé et permettre aux parents, quelle que soit leur langue maternelle, de prendre connaissance des recommandations
-Créer un label d’information fiable en santé
-Instaurer des messages encourageant l’arrêt du réseau social quand on atteint un certain seuil.
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