Certificats de décès : ce légiste veut créer une liste de médecins de permanence

13/07/2021 Par Louise Claereboudt
Une heure, deux heures, voire 17 heures avant qu’un corps ne puisse être déplacé… Trouver un médecin disponible rapidement pour attester des causes d’un décès relève parfois de la mission impossible. Face à ce casse-tête, les réquisitions des praticiens par les forces de l’ordre sont devenues de plus en plus fréquentes. Pour remédier à cette situation qui ne finit pas de s’aggraver avec la désertification médicale, le Dr Bernard Marc, chef de service de l’unité médico-judiciaire (UMJ), plaide pour la création d’une liste de médecins d'état civil qui serait ouverte aux volontaires, avec des astreintes rémunérées. Pour Egora, il explique comment pourrait fonctionner ce dispositif.  
 

Egora : Il apparaît de plus en plus difficile de trouver un praticien disponible pour établir un certificat de décès dans les zones sous dotées. Le constatez-vous en Seine-et-Marne où vous exercez? 

Dr Bernard Marc : Je travaille au grand hôpital de l’Est francilien (Ghef), sur le secteur Marne-La-Vallée, Meaux et Coulommiers (toute la Seine-et-Marne nord). Ici, on a de grandes difficultés de rédaction des certificats. Le dernier cas étant par exemple un décès sur la voie publique qui date de ce matin 8h15 [mardi 29 juin, NDLR]. Ces situations, on les rencontre au quotidien, avec soit des interventions du Smur passé par là ou sollicité dans ce cadre, mais il n’y pas une organisation qui corresponde efficacement aux besoins. Le conseil départemental de l’Ordre des médecins du 77 a fait un protocole qui permet à certains médecins libéraux d’intervenir hors des heures ouvrables, c'est-à-dire la nuit profonde, mais on a toujours des carences même en journée et en semaine. 

 

 

 

Le fait de ne pas pouvoir bien établir un certificat de décès va aussi priver les familles, longtemps, du corps du défunt, ce qui s’explique très bien lorsque c’est un décès suspect. Mais si on est dans le cas du décès d’une personne âgée et que l’on empêche, par exemple, que certains rituels ne soient faits rapidement ou les volontés de la personne défunte, qui veut être transportée en province par exemple, - le transport étant impossible après 48 heures -, on se rend compte que l’impact est plus important qu’on ne le croit.  

 

Qu’est-ce qui peut expliquer ce casse-tête? 

Les raisons sont multiples. Il y a d’abord et avant tout un problème de rémunération, qui se fait seulement sur les horaires de PDSA [ou dans les zones en difficultés démographiques]*. Mais le problème est aussi lié à la démographie en baisse, et à la diminution de la pratique des visites au profit des consultations. 

On constate plus globalement...

que l’enseignement clinique est de plus en plus éloigné de l'autopsie et du post-mortem. Les internes demandent par exemple à voir une autopsie car ils n'en ont jamais vu… On imagine leur désarroi devant un examen post-mortem une fois devenus médecins ! A cela s’ajoute bien sûr la peur des conséquences judiciaires.   

Tous les praticiens ne sont par ailleurs pas autorisés à établir ces certificats... 

En effet, les médecins hospitaliers ne peuvent pas faire partie de ces listes. Ce qui est pour le moins étonnant. Quand on a un service médico-judiciaire avec des médecins légistes, on peut imaginer qu’en dehors de leur temps de travail, ces derniers puissent participer. Or ce n’est pas possible pour des raisons de rémunération. Aujourd’hui, il faut qu’ils fassent un exercice libéral [ou exercent en tant que salarié dans un centre de santé, NDLR]. Moi, par exemple, je ne peux pas en établir. Au total, à l’UMJ, on pourrait mettre quasiment huit médecins pour gérer ce problème, mais on ne peut pas les utiliser... 

 

 

L’autorisation, depuis un an et demi, pour les internes et retraités d’établir des certificats de décès dans certaines conditions n’a-t-elle pas permis de soulager un peu les praticiens en exercice ?  

Je n’ai pas beaucoup vu l’intervention des internes, mais c’est un bon système. Il peuvent aussi être très intéressé par une rétribution. Du côté des médecins retraités actifs, c’est une solution qui, à mon sens, ne va pas perdurer. On imagine bien que le médecin retraité depuis plusieurs années, âgé de 75 ans, ne va pas se lever avec plaisir à 2h du matin pour aller constater un décès. Il faut donc aussi des solutions qui aient une cohérence.  

 

Vous proposez de fait d’établir une liste de médecins d’état civil qui serait ouverte aux volontaires et fonctionnerait avec des astreintes rémunérées… 

En banlieue parisienne, ces médecins d’état civil ont existé jusqu'aux années 70/80. Ils répondaient à des besoins concrets. L’idée est de recréer cela avec des professionnels disponibles, que l’on peut former, et dont on peut assurer qu’ils sont compétents pour rédiger ces certificats, c’est-à-dire, du point de vue judiciaire, qu’ils seront capables de cocher correctement la case “obstacle médico-légal” (OML). 

C’est important de donner aux médecins une liste d’astreintes sur laquelle ils vont pouvoir se positionner et qui va correspondre à leurs disponibilités. Cette liste permet aux forces de l’ordre d’avoir le bon numéro d’un correspondant qui se déclare disponible. Le mode d’organisation doit ensuite être discuté. Il devra à la fois être relativement...

large mais pas trop grand. On ne va pas mettre un médecin disponible dans une région. Il serait obligé de faire les Yvelines > fond de la Seine-et-Marne par exemple. La valeur monétaire, elle aussi, doit être discutée.   

Vous évoquez des erreurs dans la rédaction de ces documents. A quoi sont-elles liées? 

Aujourd’hui, un médecin tout-venant peut arriver sur une scène de décès tout-venant et c’est à lui qu’il incombe de dire si la mort est suspecte ou pas. Or, paradoxalement, c’est l’exercice le plus difficile. Si vous avez une fusillade dans un bar, cela ne pose aucun problème médico-légal, - parce qu’on sait très bien que si on a tiré plusieurs coups de feu sur quelqu’un, il a pu mourir - mais on va bloquer la scène, amener les techniciens de scènes de crime les plus compétents, un médecin légiste, un procureur, etc. Alors que sur d’autres scènes moins évidentes, comme dans le cas de la mort d’une grand-mère qui a l’air d’être un peu cyanosée ou qui a un petit trait au niveau du cou, - s’agit-il d’un sillon cutané ou d’un petit lien? -, ça va être le premier médecin que l’on va trouver qui va devoir établir la cause.  

 

 

Dans quels cas précis les obstacles médico-légaux sont-ils par exemple justifiés ou injustifiés? 

Un obstacle médico-légal qui, paradoxalement, n’est pas toujours indiqué, est l’accident de la voie publique. Par définition, c’est un OML parce que la responsabilité d’un tiers peut être engagée. Or dans la compréhension médicale, lorsque, par exemple, le motard est entré dans le pilier du pont, tout le monde comprend bien qu’il y a un polytraumatisme - notamment crânien - et que la personne est décédée. Donc aux yeux du médecin qui confond obstacle médico-légal et interrogation médicale, il n’y a, dans ce cas, pas d’interrogation médicale. On risque donc d’avoir un non-obstacle alors que, finalement, personne ne sait si le motard roulait alcoolisé, avec une moto trafiquée, sous l’influence de stupéfiants ou si un véhicule l’a heurté. Ces considérations où un tiers peut être mis en cause disparaissent parce que la cause de la mort est évidente. 

A l’inverse, le malaise de la personne âgée devant un public important, où on sait qu’il n'y a pas un tiers qui intervient grâce, par exemple, à des vidéos surveillance, risque de devenir un obstacle parce que ça s’est passé avec des gens autour. Alors que c’est simplement une défaillance cardio-circulatoire qui peut s’expliquer, et qui est un problème médical. La question peut être : est-ce une défaillance cardio-circulatoire brutale ou un accident vasculaire cérébral brutal ? Ce seront dans tous les cas deux explications médicales, cela ne sort pas du cadre. 

Ces listes d’état civil permettraient d’avoir des praticiens qui pourraient avoir une formation basique, mais solide, qui éviterait des soucis dans la rédaction des certificats. 

 

Cette formation pourrait-elle être intégrée aux études de médecine ? 

On pourrait soit l’intégrer aux études de médecine, soit, lorsque des médecins demandent à faire partie de ce tour de garde, imaginer des formations dans le cadre du DPC, qui pourraient même être réalisées par Zoom. On peut imaginer des formations en distanciel avec des passages d’une journée dans un service d’UMJ pour voir comment se font les examens de corps, quelles sont les précautions médico-légales, les rappels du certificat, etc. Des choses qui pourraient facilement se faire en utilisant des structures existantes. 

 

Nombre de praticiens pointent du doigt le fait que les services d’urgence concluent à un obstacle médico-légal pour éviter de mobiliser leurs équipes trop longtemps sur une scène. Le remarquez-vous? 

Absolument. Il y a des conduites un peu latérales qui vont occasionner derrière des mobilisations de fonctionnaires. C’est un service qui va être pris par l’autre, un très joli jeu de rugby. On passe le ballon de plus en plus vers l’arrière.  

*Un forfait de 100 euros est versé par la caisse de rattachement du médecin. 

 

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