Vaccination : "Je vois de plus en plus de médecins qui sont découragés"
Egora.fr : Les médecins libéraux vont bientôt débuter la vaccination avec Moderna au cabinet. Quels conseils pouvez-vous leur donner en matière d'organisation ?
Dr Luc Duquesnel : Il est vrai que ça ne va pas forcément être très simple. Beaucoup de médecins, mais aussi de pharmaciens, s'interrogent sur la complexité d'utilisation de ce vaccin, qui est certes à ARNm, mais moins bien connu par la population que le Pfizer. D'autre part, les 11 doses par flacon demandent une organisation : il faut prévoir la vaccination de 11 personnes sur une demi-journée, les rappels à six semaines et une liste complémentaire de personnes volontaires que l’on puisse appeler en urgence pour ne pas jeter de doses.
Globalement, les professionnels sont quand même désabusés… Quand la vaccination avec AstraZeneca a été ouverte en ville, un nombre important de généralistes ont passé commande. La mobilisation des médecins généralistes était alors massive. Pour des raisons diverses, qui vont de la fluctuation des livraisons aux aléas de l'opinion publique, il est difficile d'être son propre petit centre de vaccination.
Le ministère a mis en garde les professionnels de ville : l'arrivée de Moderna ne doit pas avoir pour conséquence de laisser de côté AstraZeneca et Janssen. Est-ce un risque?
On voit déjà avec Janssen les conséquences de l'ouverture de la vaccination à tous les adultes en centres… Par exemple, moi cette semaine, j'ai eu un flacon de Janssen arrivé en pharmacie. J'avais une liste de sept patients. Et finalement, quatre d'entre eux ont pu s'inscrire en centre pour se faire vacciner avec Pfizer.
Le risque est constaté. Quand on voit l'état des stocks pour chaque vaccin… 91% des stocks de Pfizer sont consommés, alors que le week-end dernier on était déjà à 3.5 millions de doses d'AstraZeneca en stock, c'est-à-dire livrées et non administrées. Vu les livraisons de juin, on va avoir des quantités majeures d'AstraZeneca non injectées.
Avec Janssen, finalement, les médecins avaient réussi à remplir leur liste. L'attrait pour le patient, c'est qu'il n'y a pas de rappel à faire et pour le médecin, c'est qu'il n'y a que cinq doses. Mais le patient a perdu une partie de son intérêt pour Janssen à partir du moment où n'importe qui peut maintenant prendre un rendez-vous Pfizer… Quel est l'intérêt de se faire vacciner avec des vaccins qui ont moins bonne presse?
Donc je suis un peu inquiet quant à l'engouement des professionnels de santé pour ces différents vaccins car un certain nombre se sont progressivement démobilisés…
Le ministère répète pourtant que Janssen ne pâtit pas du même déficit de notoriété qu'AstraZeneca et qu'il n'y a pas de raison, par conséquent, qu'il ne trouve pas preneurs… Pourtant la semaine dernière, seuls 30% des stocks avaient été utilisés. Pourquoi?
Parce que les professionnels en ont ras-le-bol! Il faut voir tout le travail administratif que ça nous donne… Ils préfèrent vacciner dans les centres ambulatoires, là où ils font leur cœur de métier : l'interrogatoire médical, la surveillance, l'injection… Tandis que le centre assure la partie administrative. Quand vous vaccinez au cabinet, il faut gérer les rendez-vous après avoir convaincu les patients de se faire vacciner avec un vaccin qui n'est pas à ARNm, tenir une liste secondaire de patients au cas où les premiers ne viendraient pas, programmer les rappels…
Quant au Janssen, il y a encore des flacons qui ne sont pas livrés alors qu'ils ont été commandés depuis plus d'un mois. Il y a un certain découragement… On l'a vécu avec AstraZeneca, on le vit avec Janssen et on va le vivre avec Moderna puisqu'il était question que la première commande soit livrée sur deux ou trois semaines. Il y a trop de décalage entre l'engagement des professionnels de santé à vacciner et le moment où ils peuvent le faire. Et ça, c'est décourageant.
Et quand les patients nous demandent quelle est la différence entre AstraZeneca et Janssen, que voulez-vous qu'on leur dise : ils ont le droit d'être informés!
Oui il faut se faire vacciner, y compris avec AstraZeneca. Mais on sait à quel point ce message rencontre peu de succès auprès de la population…
Rien n'a changé depuis la suspension mi-mars?
Non seulement ça ne change pas, mais cela s'aggrave. Parce que la population a désormais accès à d'autres vaccins. Dans mon centre de Mayenne, en général, nous faisons 200 à 300 injections d'AstraZeneca par semaine. C'est la première fois qu'on ne remplit pas les rendez-vous de primo-injections pour ce vaccin… Je connais beaucoup de centres qui ont fermé les primo-injections d'AstraZeneca pour ne plus faire que les rappels et ensuite arrêter la vaccination avec ce vaccin. D'autant qu'ils vont avoir davantage de doses de Pfizer à injecter dans les semaines qui viennent.
AstraZeneca, cela va être dramatique et on ne va bientôt plus l'utiliser que pour les rappels. On va arriver à 7-10 millions de doses en stock. Ce sont autant de primo-injections non réalisées dans la stratégie vaccinale.
Les MG ont désormais accès à trois vaccins au cabinet, mais ils ne disposent au maximum que de 2 à 3 flacons par semaine. Faut-il leur en donner plus ou est-ce assez, finalement, compte tenu de toutes les difficultés?
Le problème, c'est qu'il aurait fallu leur en donner plus dès le début afin qu'une dynamique de vaccination s'installe! Le médecin généraliste est le professionnel de santé qui vaccine le plus. Pour autant, je vois de plus en plus de praticiens qui sont découragés… Quand vous avez commandé votre flacon de Janssen il y a plus de quatre semaines et que vous ne l'avez toujours pas reçu, que vous avez commandé votre flacon de Moderna la semaine dernière et que vous ne l'aurez -pour certains- que dans deux semaines… cela casse la dynamique. C'est quand même compliqué à mettre en œuvre : Moderna, c'est 11 doses, 11 personnes.
On arrive qui plus est dans une période où il faut s'assurer que les patients ne seront pas partis en vacances pour le rappel, que l'on ne soit pas nous-mêmes en congés. Et dans un mois, une partie des confrères seront partis en vacances sans être remplacés, ce qui veut dire que l'activité libérale de ceux qui restent va augmenter.
Je connais beaucoup de médecins qui étaient engagés, qui ont acheté des thermomètres, des frigos aux normes. Mais l'absence de lisibilité sur la livraison des vaccins a cassé la dynamique. Le désengagement est multifactoriel, mais c'est sans doute le facteur le plus important.
Et cela ne concerne pas que les médecins. J'ai le même retour de la part des pharmaciens et des infirmiers. Dans les territoires, certains professionnels demandent à faire le Moderna dans les centres pour s'épargner cette complexité administrative.
Dans ces conditions, faut-il vraiment militer pour la mise à disposition de Pfizer en ville?
Il y a des avantages et des inconvénients. Le premier avantage, c'est qu'il n'y a pas 11 patients à trouver comme pour Moderna, mais 7 ; c'est donc moins compliqué. Deuxièmement, même si le ministère nous a dit qu'ils n'avaient pas de visibilité sur les livraisons de Pfizer en juillet, on a le sentiment qu'il y a quand même plus de stock de ce vaccin que de Moderna ou de Janssen.
Mais je dirais attention : si 91% des stocks sont actuellement utilisés dans les jours qui suivent leur livraison dans les centres de vaccination, et qu'on utilise 40 à 50% de ces doses pour la ville, le risque c'est de voir des centres de vaccination fermer… Et s'ils ferment, ils ne rouvriront pas un ou deux mois après. Or, ces centres se sont engagés vis-à-vis des préfets et ARS à rester ouverts cet été, comme ils l'ont été lors de l'opération "Tous sur le pont" à l'Ascension. Sans mentionner le fait que beaucoup des injections de Pfizer sont des rappels : on pourrait craindre qu'ils ne soient plus en mesure de les faire faute de vaccins, ce qui poserait d'énormes problèmes.
Autre point : aujourd'hui la distribution de Pfizer passe par les pharmacies hospitalières, avec un donneur d'ordre qui est l'ARS ; il y a un responsable par département, qui répartit les doses. Si demain, on passe par les officines et qu'on a 150 stockeurs et donneurs d'ordre, cela risque d'être une pagaille monstrueuse pour les centres de vaccination ; on n'aura absolument pas l'assurance d'avoir les vaccins.
Donc je pense que la mise à disposition de Pfizer en ambulatoire ne s'imposera que le jour où on s'apercevra qu'un stock se constitue. Mais je comprends les médecins qui le réclament car aujourd'hui, c'est très certainement le vaccin le moins difficile à injecter, pour diverses raisons et que les médecins, comme d’autres professionnels de santé, ont la volonté d’être des acteurs de premier plan dans cette campagne de vaccination alors que la situation actuelle génère de plus en plus de frustrations.
Parce qu'un flacon de Moderna contient 11 doses…
Et aussi parce que le Pfizer est plus connu. Avec Moderna, on est obligé d'expliquer que c'est un ARNm comme le Pfizer. Les gens sont très vigilants.
Avez-vous des patients de plus de 55 ans qui ont reçu AstraZeneca en primo-injection quand c'était le seul vaccin disponible et réclament maintenant un ARNm en rappel?
Tout à fait, c'est relativement fréquent. Pour ma part, c'est un niet catégorique mais ce n'est pas forcément facile car certains patients arrivent avec un certificat de leur médecin traitant -qui n'a sans doute pas voulu se lancer dans 10 minutes d'explications parce qu'il a autre chose à faire - pour un ARNm… J'ai eu le cas dans mon centre la semaine dernière et j'ai refusé. Cette demande peut se comprendre dans la mesure où s'ils ne s'étaient pas fait vacciner avec AstraZeneca il y a quelques semaines, ils auraient eu le Pfizer aujourd'hui. AstraZeneca est le caillou dans la chaussure du Gouvernement. On se demande ce qu'on va faire de toutes ces doses…
Quelle est pour vous l’urgence dans le cadre de cette campagne de vaccination ? Je pense que dès maintenant nous devons réfléchir au moment où nous allons atteindre le « plafond de verre » de la vaccination, c’est-à-dire au moment où tous les Français volontaires auront reçu leur première injection et qu’une partie importante de la population restera à vacciner. C’est ce que nous observons dans les pays qui ont débuté la vaccination avant nous (Grande-Bretagne, Israël, USA). Aux USA, alors que l’on ne manque pas de vaccins, le nombre de primo-injections a chuté de moitié le mois dernier, et cela alors que seulement 60% de la population adulte a été vacciné. Dans ces pays, les centres de vaccination ferment ou tournent au ralenti. C’est là un enjeu majeur pour pouvoir bénéficier des bénéfices collectifs de la vaccination. C’est le « aller vers » auquel l’Assurance maladie s’est déjà attaquée. Les médecins et les autres professionnels de santé de ville auront un rôle majeur à jouer pour convaincre et vacciner ces personnes. Ce « plafond de verre », à la vitesse où nous vaccinons aujourd’hui en France, nous devrions l’atteindre avant la fin de l’été.
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