"Les Cassandre nous diront qu'ils avaient raison. A l’évidence, il aurait fallu les écouter davantage quand ils évoquaient des signaux faibles de reprise de l'épidémie il y a quelques mois ou, plus récemment, quand ils soulignaient l'ampleur de la deuxième vague et l'insuffisance des mesures prises. Les deux semaines qui séparent les deux interventions du Président, entre l’instauration du couvre-feu et aujourd’hui, sont significatives de la complexité d’une action différenciée et de la difficulté de la riposte graduée. De quoi s'agissait-il à travers le couvre-feu ? De réduire drastiquement les intéractions sociales, sans mettre le pays à l’arrêt. Qu'a-t-on vu ? La ruée dans les bars et les restaurants avant l'heure du couvre-feu, des clients revendiquant de soutenir les professionnels, des municipalités encourageant cette façon de sauver l’activité concernée. Tout le contraire du message de santé publique pertinent mais devenu d’un coup inaudible sur la réduction de nos contacts sociaux. Les transports publics urbains, en Ile-de-France notamment, ont donné eux aussi une image désastreuse : des rames et des trains bondés avant l'heure fatidique. Les transporteurs n’avaient guère adapté les fréquences, pas plus que les employeurs les horaires de travail.
Certes, la deuxième vague est très forte, certes tous les pays européens sont concernés, mais il est quand même désolant qu'il faille en arriver au reconfinement pour faire compendre aux Français que la situation est grave, qu’il faille en passer par une mesure uniforme, partout sur le territoire et à toute heure, pour avoir un impact significatif sur les comportements individuels et collectifs. C'est ainsi parce qu’il faut tarir les occasions de baguenauder en ville que certains lieux devraient rester fermer – librairies, cinémas – et pas forcément pour les risques spécifiques considérés... D'un certain point de vue, on a ce qu'on mérite...
Ne plus avoir le choix désormais limite la sensibilité des mesures aux comportements individuels et le besoin de déployer des contrôles. Quoique… Nous voilà confinés mais sous une forme un peu plus subtile qu'au printemps. Les écoles restent ouvertes, l'activité économique n'est pas mise à l'arrêt, le télétravail est enfin recommandé sérieusement, par la force des choses... Reste à savoir si ces quelques aménagements de bon aloi n’empêcheront pas d'obtenir rapidement les effets attendus du confinement sur la dynamique de l'épidémie. Les protocoles dans les écoles ou dans les transports apparaissent cruciaux, la collaboration avec les collectivités locales un enjeu majeur. Mais il faut aussi que les quelques assouplissements prévus par rapport au confinement première version ne soient pas la porte ouverte à des dérives susceptibles de ruiner le bénéfice sanitaire des mesures. Le précédent du couvre-feu raté invite à la prudence. La pédagogie en matière de santé publique doit encore progresser. Une riposte efficace suppose aussi que tout le monde, à tous les niveaux, assume sa part de responsabilité. Les mesures coercitives de portée nationale sont plébiscitées dans les enquêtes d'opinion : cela a sans doute beaucoup pesé sur les décisions de l'exécutif.
Qu'il faille en passer systématiquement par des décisions régaliennes et des déclarations solennelles à 20 heures en dit beaucoup sur notre système de décision et sur nous-mêmes. Comme s’il s’agissait de se décharger sur un seul du poids des décisions les plus difficiles. Lisa poursuivra l’analyse sur ces questions classiques en matière de santé publique : autoriser / rendre obligatoire (que l’on songe à la vaccination) / interdire… Nous nous efforcerons aussi de prendre en compte les enseignements des comparaisons internationales."
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