En partenariat avec Retronews.fr, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Entre la peste et le choléra, il y eut la suette. Une mystérieuse maladie, aujourd'hui disparue, dont le germe n'a jamais été identifié, mais qui a marqué les esprits du fait de ce symptôme si particulier qu'il lui a donné son nom anglais de sweating sickness : l'hypersudation. Le Dr Monin en fait la description dans le quotidien français Gil Blas, en juin 1887, alors qu'une épidémie de suette sévit à Montmorillon dans la Vienne : "Le plus souvent, elle se manifeste par une invasion brusque. Le sujet est, soudainement, inondé d'une sueur générale et continue, si copieuse qu'elle traverse ses vêtements et même ses matelas, de part en part, et peut-être évaluée à plusieurs litres d'eau par jour." La sueur exhale une odeur de "paille fermentée et pourrie". Le contact de la peau est à la fois "chaud, humide et savonneux". La tradition populaire consistant à ensevelir le malade sous d'épaisses couvertures, à calfeutrer les fenêtres et fermer les rideaux du lit, n'arrange rien : "Quand on soulevait les couvertures, il s'élevait comme une vapeur épaisse de toute la surface du corps", relate H. Parrot dans son récit de l'épidémie de suette en Dordogne (1841-1842). Apparentée par certains spécialistes à la "cardia passio" de l'Antiquité, la suette fait son apparition en Angleterre en 1485, au sein de l'armée de Henry Tudor, futur Henri VII. Cinq épidémies, plus ou moins létales, seront recensées outre-Manche jusqu'en 1551. En 1517, la suette gagne Calais. En 1528, elle décime Londres et la cour d'Henri VIII : son fils illégitime, Henry Fitzroy, y succombe, tandis que sa maitresse Anne Boleyn pourrait y avoir survécu, après avoir été gravement atteinte. Puis l'épidémie se répand sur le continent : Suisse, Danemark, Suède, Norvège, Pologne, Russie... "La peau se désquame" La maladie disparaît ensuite, avant de réapparaître sous une nouvelle forme en 1712, à Montbéliard, avant de gagner la Normandie et la Picardie. La "suette picarde" a une autre manifestation bien caractéristique : une éruption cutanée sous forme de petits grains de mil, apparaissant quelques jours après les sueurs, d'où le nom de "suette miliaire". "Dès que la miliaire est vive et fleurie, les sueurs ne tardent pas à s'atténuer, et la peau se désquame, ensuite, au bout de quelques jours, absolument comme dans la rougeole. La durée totale de la suette miliaire dépasse rarement une quinzaine de jours", précise le Dr Monin dans Gil Blas. D'autres symptômes.. . sont relevés : soif, constipation, sensation de pression sur l'épigastre et impression de respiration pénible. Dans la suette grave, "une faiblesse générale et une température élevée obligent à garder le lit, décrit Chantal Beauchamp, spécialiste de l'histoire des maladies aux 19e et 20e siècle. Maux de tête et douleur épigastrique sont insoutenables. S'y ajoute une sensation d'étouffement, de barre trachéo-bronchique, alors qu'à l'auscultation ne se révèle aucune lésion pulmonaire. Des démangeaisons insupportables précèdent l'éruption qui se fait par poussées successives. A chaque disparition de l'exanthème, correspond un paroxysme des symptômes. Les malades, très agités, ressentent comme une strangulation, voire un égorgement. La mort, qu'ils sentent venir, est l'aboutissement de syncopes répétées. Dans la majorité des cas, cependant, le malade guérit, mais sa convalescence est longue et pénible."
Bégnine ou fatale, la suette est imprévisible. En témoignent les médecins de l'époque, dont Chantal Beauchamp a analysé les récits. "Nous préférions contre la suette faire trop que pas assez ; [...] une précaution exagérée nous paraissait plus raisonnable qu'une expectation trop confiante ; [...] il nous était arrivé bien des fois de voir des cas de la plus simple bénignité s'élever tout à coup à la plus sérieuse, à la plus désespérante gravité", rapporte le Dr Parrot. 194 épidémies Des symptômes variés, un déroulement de la maladie sans aucune logique, une issue très incertaine : il n'en fallait pas plus pour alimenter une belle controverse médicale. "Tous riaient de pitié les uns des autres, en rejetant l'emploi de ce qu'ils n'avaient pas imaginé. Par des articles peu réfléchis, confiés à des journaux politiques, ils augmentaient la souffrance morale, et le public, dans une pénible anxiété, attendait la solution fatale de ce procès scandaleux qui allait décider de sa vie. [...] bien loin d'avoir des paroles de consolation à prodiguer, ils ne trouvaient à répandre que la terreur accrue par l'incertitude. Ils n'ont pas mérité de la reconnaissance publique, et notre art a perdu de sa force et de sa dignité, en subissant l'épreuve de leur pensée écrite", fustige le Dr Galy dans Mémoire sur l'épidémie de suette (1841). De 1718 à 1874, pas moins de 194 épidémies sont recensées. Parmi les mieux documentées, figurent celles de Seine-et-Oise en 1821, celle de Dordogne en 1841 ou encore celle de l'Ile d'Oléron en 1880 (un millier de cas graves, 150 décès). Mais aucune région n'est épargnée selon Chantal Beauchamp : "Il ne se passe guère d'année sans qu'une épidémie ne soit signalée ici ou là, avec une expansion géographique variable, relève l'historienne. Après 1880, elle semble se rétracter, limitant ses atteintes au sud du Berry, au Poitou et aux Charentes, où elle persiste à l'état endémique jusque dans les années 1950." "Souvent, la suette accompagne, suit ou précède une autre épidémie, de rougeole, de scarlatine, ou encore de choléra, comme ce fut le cas au moment des principales poussées du fléau en France, en 1832, en 1849, et en 1854-1855", note-t-elle. Une coïncidence qui amène certains médecins français à parler de "suette cholérique" comme une forme particulière de choléra, "le choléra cutané et sudoral". Et comme le choléra, la suette fait peur. Très peur. Trop peur. En Languedoc, en 1781-1782, on lui attribue 30000 morts. "Et dès cette époque une telle exagération produisit l'effet inverse, c'est-à-dire la négation de la gravité de la maladie", constate Chantal Beauchamp. "Cette maladie n'est rien en elle-même, écrit l'intendant du Languedoc, elle n'a fait de bruit que par la terreur que quelques-uns se sont plus à inspirer [...]. C'est une fièvre miliaire très bénigne, mais que la frayeur aggrave à tel point que les malades et ceux qui les entourent s'étouffent pour se faire suer et qu'il en résulte de grands inconvénients". "La peur tue plus que le mal", déplore en 1841 le sous-préfet de Nontron. Un drap mouillé Les médecins ont toutes les peines à distinguer les malades réels des malades imaginaires. Le remède consistant à les enjoindre de se lever, de marcher, de prendre l'air et de remettre à l'ouvrage semble avoir porté ses fruits sur certains d'entre eux. Les autres ont été soignés à grand renfort de sulfate de quinine, de tisanes en tous genres ou encore par des bains tièdes. Puis le Dr Reibel, de Strasbourg, met au point un protocole de traitement des cas graves, qui fera ses preuves lors de l'épidémie de l'Ile d'Oléron en 1880. Quand la fièvre dépasse les 40 degrés, que la peau brulante devient sèche, bloquant la transpiration, le médecin enveloppe le malade d'un drap mouillé et tiède.
Le taux de létalité de la suette a varié fortement d'une épidémie à l'autre, d'une région à l'autre. Il atteint parfois 20 à 30% de la population, et d'autres seulement 4%. D'après les travaux de Léon Colin, auteur de l'article dédié du Dictionnaire encyclopédique des sciences sociales, il s'établirait en moyenne à 13%. C'est moins que le choléra (50%) ou la diphtérie (40%). Mais jamais ces maladies n'ont "provoqué les paniques collectives signalées dans les épidémies de suette", relève Chantal Beauchamp. La suette est sans conteste "la maladie de la peur".
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