"On veut des urgentistes, ils proposent des réunions de soutien moral" : rien ne va plus à l’hôpital de Mulhouse

10/10/2019 Par Audrey Freynet

Démissions des 3/4 des praticiens titulaires en septembre. Arrêts maladie de l'ensemble des internes en octobre. Arrivée d'internes remplaçants, secondés de profs, en novembre… Les urgences de Mulhouse s'enlisent dans la crise et les mesures pansement proposées ne colmatent pas les brèches. "Nous avons un effectif médical très amoindri. La situation est très difficile. […] Des fois, honnêtement, je ne suis pas sûre de la sécurité de tous les patients", confie à Egora une infirmière des urgences de Mulhouse qui souhaite garder l'anonymat. Parmi l'ensemble des services des urgences actuellement en grève, celui de cet hôpital du Haut-Rhin est l'un des plus touchés. À la rentrée de septembre, seuls 7 praticiens titulaires reprenaient du service contre 26 quelques mois plus tôt. Ce mois d'octobre, l'ensemble des internes en formation ont déposé leur arrêt maladie allant d'une semaine à un mois pour épuisement professionnel. Du jamais-vu. Des mesures pansement sont mises en place pour continuer de faire tourner le service : appel récurrent aux intérimaires, envoi prévu d'universitaires pour encadrer les internes en souffrance… Mais rien n'y fait, les urgences de Mulhouse s'enracinent dans la crise.   Des internes en souffrance "Toutes les urgences en France sont en tension. C'est connu. Mais Mulhouse a été pendant longtemps un symbole avec des médecins sérieux qui tenaient bien la boutique. Ils n'ont pas pu tenir, ils sont partis. […] Depuis leur départ, les internes se retrouvent perdus, seuls ou alors encadré par des intérimaires", explique Lucas Gauer président du syndicat autonome des internes des hospices civils de Strasbourg (SAIHCS), qui dénonce cette situation intenable.

Les internes, dont la quasi-totalité sont en première année d'internat, ont dû régulièrement gérer seuls des détresses respiratoires en passant par des chocs septiques. Régulièrement, ils ont dû prendre, seuls, des décisions importantes pour la santé des patients. "Un interne s'est retrouvé seul dans le service des urgences. Il a appelé à l'aide son senior, mais la personne était injoignable. Ce n'est pas une situation anecdotique, mais récurrente", affirme le président du SAIHCS. Pour ces internes, le semestre aux urgences touche à sa fin, mais 19 nouveaux viendront prendre leur place le mois prochain, malgré le désaccord profond des syndicats d’internes.   Des universitaires pour pallier l'encadrement défaillant "Les internes attendus en novembre ne seront que de jeunes étudiants. […] Aux urgences, on peut être confronté à des cas extrêmement graves. On ne peut pas les laisser seuls sans encadrement", pointe le doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, le Pr Jean Sibilia. Alors, une solution inhabituelle a été trouvée : 4 à 5 universitaires se relaieront aux urgences de Mulhouse pour accompagner les internes. Cette mesure, dont le cadre sera précisé dans les jours à venir, est jugée "symbolique" par les internes qui jugent l'encadrement défaillant. Elle ne peut surtout... pas être une solution à long terme, comme le précise le doyen. "Cette mesure ne remplace pas l'embauche de médecins urgentistes seniors. On m’a assuré que des statutaires et des médecins urgentistes allaient être recrutés." Pourtant depuis septembre et la vague de démissions qui a secoué le service, aucune embauche à n'a été faite. Joint par mail, l'hôpital de Mulhouse affirme que "le recrutement définitif d’un médecin urgentiste est en cours pour une arrivée prévue au mois de novembre". Encore aucune solution pérenne n'est trouvée malgré les réunions organisées, de manière plus ou moins confidentielles, autour des représentants de l'ARS, de la Faculté de médecine, des internes et de l'hôpital de Mulhouse. À la sortie de la dernière rencontre en date, mardi 8 octobre, le président du SAIHCS est mécontent : "On veut des urgentistes pour nous encadrer et gérer les urgences, ils proposent des réunions de soutien moral". Contactées à maintes reprises, l'ARS Grand-Est ne fera finalement qu'un commentaire : "un protocole entre l’ARS, le GHRMSA, la faculté de Médecine de Strasbourg et les représentants des internes est en cours de discussion afin d’assurer un encadrement garantissant qualité et sécurité pour les internes.  […] L’engagement volontaire de la faculté de Médecine permet de proposer un encadrement de qualité." Sur le papier, pourtant, la revendication des internes est simple. Ils ne veulent pas que de nouveaux internes soient envoyés en novembre dans ce service en souffrance.   Toujours plus d'intérimaires Comme partout en France les trous dans le planning, accentués par les démissions des urgentistes, sont bouchés par le recrutement ponctuel d'intérimaires. "Ils arrivent et repartent. On ne sait que la veille ou parfois le jour même, dans la matinée pour l'après-midi, qui sera là", explique une infirmière des urgences. Payés entre 1 500 et 2 000 euros la journée, le recours à ces praticiens est monnaie courante à Mulhouse.

Mais cette solution, qui n'en est pas vraiment une, est dénoncée en juillet par le directeur de l'Agence Régionale de Santé Grand-Est, Christophe Lannelongue. Cet ancien membre du cabinet de Marisol Touraine aurait menacé de "blacklister" de l'hôpital public les médecins tentés de démissionner pour faire de l'intérim. Interviewé par Mediapart, le haut fonctionnaire réitérera ses propos allant jusqu'à avancer que "les urgentistes de Mulhouse ont inventé le racket de groupe". Début octobre...

la situation ne s'est toujours pas améliorée. "Les médecins sont épuisés. Les derniers qui hésitaient à lâcher [ceux qui revenaient en tant qu'intérimaires] se sont fait traiter de racketteurs. Ils sont donc partis et c'est normal", soupire l'infirmière.   Toujours pas de solutions pérennes La direction de l'hôpital de Mulhouse, finalement jointe mercredi 9 octobre, assure que "des urgentistes se sont portés candidat à la chefferie de service". Une bonne nouvelle pour les équipes des urgences. Jusqu'à maintenant, le service était dirigé par intérim par le Dr Guiot, qui est aussi le chef di pôle de médecine intensive. D'autres mesures – en coordination avec l'ARS, la ville et l'hôpital – ont été mises en place affirme le service de communication de GHR de Mulhouse. Renforcer l'équipe médicale "par des ressources extérieures", "la régulation libérale en soirée" ou encore "l'orientation des patients sur différents sites d'urgences". Impossible de savoir ce qu'en pense l'équipe médicale du service. Ils ont reçu l'ordre de ne pas communiquer. Ces actions, difficilement tenables sur le long terme, permettent néanmoins de colmater les brèches et de repousser un peu plus une éventuelle fermeture des urgences.

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