En plein débat bioéthique, ils sont en première ligne : les députés-médecins restent nombreux à l'Assemblée et sont en pointe sur les dossiers de santé, au risque de faire grincer quelques dents. Avec les avocats, les médecins sont l'une des professions les plus représentées à l'Assemblée : 26 députés (4,5% de l'Assemblée), 19 hommes pour 7 femmes. Fine moustache blanche, cravates colorées et goût pour la joute oratoire, le co-rapporteur et professeur de médecine Jean-Louis Touraine (LREM) a animé les discussions sur la procréation médicalement assistée pour toutes les femmes, avec ses amendements en faveur de la PMA post-mortem ou ouverte aux hommes trans - propositions rejetées par les députés. Ce chercheur en immunologie est fils de médecins. Il a raflé en 2007 la 3e circonscription du Rhône à un confrère et "ami", le chirurgien Jean-Michel Dubernard (UMP devenue LR). Les médecins omniprésents sur ce texte bioéthique ? "Ce débat ne doit être accaparé ni par les bioéthiciens, ni par les médecins, religieux ou autres philosophies", souligne le député à l'AFP. "C'est à la société française dans sa diversité" de s'en emparer. Mais son expertise joue un rôle, comme celle d'un autre co-rapporteur immunologue, Jean-François Eliaou, ou sur le banc du gouvernement, de la ministre de la Santé Agnès Buzyn, hématologue. Figure emblématique
Le médecin est une figure emblématique dans l'hémicycle depuis l'âge d'or des députés hygiénistes de la IIIe République. Forts de leur notabilité locale et de leur connaissance des électeurs, de 1876 à 1914, les médecins obtenaient systématiquement entre 8 et 12,5% des sièges, une spécificité française, selon l'historien Jack D. Ellis. "Le médecin était souvent le notable qui devenait maire du village, puis élu local jusqu'à député. Ce n'est plus le cas. Il y a une nouvelle génération et beaucoup plus d'infirmières (huit) dans notre groupe", explique Olivier Véran (LREM), neurologue. Les "médecins de l'Assemblée" sont "partagés" sur la mesure sociétale de la PMA pour toutes, relève-t-il: la "couleur politique" prime. Selon Jean-Louis Touraine, c'est sur le volet recherche du projet de loi que les parlementaires médecins sont "plus en avance" que les autres: "ils se rendent compte des bénéfices à tirer d'un progrès heureux, quand d'autres s'arc-boutent en disant ça nous inquiète". Le généticien Philippe Berta (MoDem) milite par exemple pour élargir le diagnostic pré-implantatoire (DPI) sur les embryons, afin de dépister une trisomie 21 notamment. Agnès Buzyn y est réticente. Également réservé, Marc Delatte (LREM), "médecin de famille" qui a "soigné des trisomiques, beaucoup", a raconté son expérience en commission, des sanglots dans la voix. Olivier Véran met néanmoins en garde, pour éviter d'"agacer certains collègues": "On ne va pas mettre des médecins sur tous les sujets de santé, car ce sont des sujets partagés". “Des réflexes corporatistes” Entre d'un côté les "sachants", selon le mot d'une députée, et de l'autre les élus lambda, “oui à l'émulation au profit de l'intérêt général, non à l'incompréhension”. D'autant que des réflexes corporatistes subsistent, reconnaît Olivier Véran comme au printemps dernier sur la loi Santé, quand "un certain nombre de médecins s'étaient opposés à ce que des infirmières puissent constater un décès", en retoquant plusieurs amendements. Systématiquement, ils s'élèvent aussi contre les mesures coercitives sur l'installation de médecins dans les déserts médicaux. "C'était une levée de boucliers", se remémore la députée LFI Caroline Fiat, première aide-soignante élue à l'Assemblée. "C'était la loi des médecins. Ils parlaient entre eux, je me souviens de Cyrille Isaac-Sibille (MoDem) disant chers confrères en séance", pointe-t-elle. Autre procès fait aux députés-médecins, qui ne va pas manquer de revenir comme à chaque automne budgétaire : celui de la perméabilité aux lobbies, comme ceux du médicament. "Ca a changé. Des amendements lobbies, ca arrive sur certains textes. Mais ils sont souvent portés par d'autres députés que les médecins", assure Olivier Véran, rapporteur général du budget de la Sécu. Le sujet avait fait grand bruit lors de l'affaire du Mediator, conduisant l'Assemblée en septembre 2011 à interdire Servier d'accès au Palais Bourbon. "Mon travail consiste à cibler les députés et les sénateurs médecins et pharmaciens", disait alors la lobbyiste de Servier et ancienne attachée parlementaire Corinne Moizan. [Avec AFP]
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