"J’avais des a priori sur le service sanitaire. Je ne savais pas du tout ce que l’on attendait de moi ni comment ma fac allait m’évaluer… Mais finalement j’ai beaucoup apprécié ce travail, et le résultat de notre action me rend très fière de ce que l’on a accompli ensemble !". Le témoignage de Charlotte*, étudiante en 3e année de médecine à Amiens, reflète bien le sentiment général au terme de cette première année de mise en place du service sanitaire des étudiants en santé, une réforme lancée conjointement en février 2018 par les ministères des Solidarités et de la Santé, d'un côté, et de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de l'autre. En effet, la rapidité avec laquelle a dû être déployé ce programme de grande ampleur – puisqu’il concernait, dès la rentrée 2018, environ 50 000 étudiants, issus de six filières (médecine, pharmacie, sciences infirmières, kinésithérapie, odontologie et maïeutique) – pouvait faire craindre le pire aux étudiants, mais aussi aux recteurs d’académie et aux agences régionales de santé (ARS), responsables de la mise en œuvre. Car l’arrêté fixant ses modalités n’a été publié qu’en juin 2018, pour une application dès le mois de septembre suivant ! L’objectif, d’après les ministères : lutter contre les inégalités territoriales et sociales en santé, tout en favorisant l’autonomie des étudiants ainsi que l’interdisciplinarité, par la réalisation de projets communs à plusieurs filières de formation. À quelques années près… Dans les faits, les étudiants en santé doivent obligatoirement, au cours de leur formation (en 3e année pour les futurs médecins), élaborer des actions de prévention et de promotion de la santé auprès de publics divers : élèves du primaire au lycée, résidents d’Ehpad, détenus, salariés des entreprises… Le tout sur six semaines, dont trois consacrées à la préparation de l’intervention et trois autres à l’action de prévention elle-même. Ces objectifs, pour le moins ambitieux, ont-ils été atteints ? Plutôt mieux que ce que l’on pouvait imaginer au vu du calendrier très serré : les textes réglementaires étant arrivés très tardivement, alors que les plannings de stages étaient déjà calés, les facultés ont dû se livrer à un travail d’équilibriste pour "faire une place" au service sanitaire. Pourtant, estime le Pr Loïc Vaillant, président du comité de pilotage mis en place fin 2017, "toutes les facultés ont lancé le mouvement dans leur région, et plus de 6000 terrains de stage ont accueilli des étudiants cette année". Parmi eux, 70 % d’établissements scolaires (lycées, collèges et écoles primaires). "Pour nous, cela a été un choix : l’Éducation nationale étant très structurée, avec un cadre très formel, c’était plus facile...
pour une première année, d’autant qu’il y avait une vraie bonne volonté de la part des terrains d’accueil, explique Anne-Marie Durand, directrice de la santé publique au sein de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, et référente pour la mise en place du service sanitaire. Mais dès l’année prochaine, nous comptons nous ouvrir à d’autres structures, notamment du secteur médico-social (handicap et personnes âgées). L’enfance handicapée nous intéresse tout particulièrement, car les étudiants seront plus à l’aise avec des personnes dont ils sont proches en âge." C’est là, l’un des principes fondateurs du service sanitaire : une prévention portée par des pairs, soit des jeunes à peine plus âgés que le public cible. Une étude réalisée en 2015 par l’université de Bristol (Royaume-Uni) a ainsi démontré qu’une intervention menée par des pairs réduisait de 20 % la consommation de tabac, de cannabis et d’alcool chez les collégiens et lycéens. "J’ai vraiment ressenti cette proximité avec les lycéens auprès desquels j’ai mené une intervention sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles, confirme Annabelle, étudiante à Poitiers. Comme le sujet est assez sensible pour des adolescents en pleine construction de leur identité, je pense qu’il leur était plus facile de me parler plutôt qu’à leur professeur de SVT, par exemple. Au final, ils ont énormément participé et ont posé un tas de questions. Je me suis vraiment sentie utile."
La santé sexuelle fait partie des quatre thématiques "prioritaires" définies par le cahier des charges des deux ministères. Avec les addictions (alcool et cannabis), c’est celle qui a été le plus souvent choisie par les étudiants intervenant au lycée. Au collège et à l’école primaire, les interventions ont davantage porté sur la nutrition, l’hygiène et le sommeil (ces deux derniers thèmes n’étant pourtant pas "prioritaires"), explique le ministère de la Santé. Arnaud, étudiant en 3e année de médecine à Marseille, a, quant à lui, apprécié de travailler avec les deux étudiantes en soins infirmiers dépêchées dans le même collège que lui, soit le collège Pasteur : "Nous n’avons pas forcément la même approche : en médecine, on apprend surtout à diagnostiquer les pathologies, tandis que les infirmières ont déjà dans leur formation des modules sur la prévention. En outre, j’ai trouvé qu’elles étaient plus habituées au travail en équipe. Mais je me suis adapté à leur façon de faire et j’ai trouvé cela très formateur." Cette interdisciplinarité a été constatée sur la plupart des terrains de stage. "D’après nos premières évaluations, cet objectif est atteint...
à 70 %", se réjouit Loïc Vaillant. "Moins d’un quart des facs n’ont pas mis en place d’action interprofessionnelle. Ce qui, pour une première année, n’est pas trop mal, assure, quant à lui, Anatole Le Guillou, vice-président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) chargé des études médicales. Selon les sondages locaux et nationaux que nous avons mis en place, à ce stade, seuls 10 % des étudiants disent n’avoir pas collaboré avec d’autres professions dans le cadre du service sanitaire." Un taux bien plus faible que dans d’autres filières. Ainsi, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) estime, pour sa part, que moins de la moitié des étudiants infirmiers ont pu mener des actions conjointes avec d’autres professions lors de leur service. "Peut-être est-ce parce que nous n’étions pas sur les mêmes terrains de stage, analyse Anatole Le Guillou. Les facs de médecine sont situées dans les grandes villes, tandis que les formations en soins infirmiers et kinésithérapie sont davantage réparties sur le territoire…"
- 50 000 étudiants en santé issus de six filières ont effectué leur service cette année, dont 5 000 étudiants en médecine, pour la plupart en 3e année.
- 6 semaines de mise en œuvre : 3 semaines de préparation et 3 sur le terrain.
- 50 % des actions menées dans des collèges et 70 % dans un établissement scolaire (de la primaire au lycée).
- 70 % des thématiques d’intervention au lycée concernent les addictions ou la vie sexuelle.
Des points noirs au tableau Si les étudiants en médecine sondés par l’Anemf se disent globalement satisfaits des actions de prévention elles-mêmes et du travail réalisé en interprofessionnalité, deux points noirs ressortent néanmoins de leurs témoignages. En premier lieu, le remboursement de leurs indemnités de déplacement (transport et logement). Sensibilisé tardivement à la question des étudiants devant mener des actions sur des terrains éloignés de leur ville de résidence, le gouvernement a finalement décidé d’accorder une indemnité forfaitaire de 130 euros à tout étudiant qui devra effectuer son service à plus de 15 kilomètres de chez lui. "C’est clairement insuffisant, dénonce Anatole Le Guillou. Certains étudiants se sont retrouvés avec un reste à charge de plus de 400 euros. Quand on n’a pas de salaire, qu’on est précaire, c’est monstrueux !" En outre, les modalités pour se faire rembourser n’ont pas toujours été bien comprises par les étudiants. "Ils doivent, pour cela, se rapprocher de leur faculté au sein des CHU, explique Anne-Marie Durand de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Ce sont eux qui défraieront les étudiants, puis les ARS les rembourseront sur facture. Par ailleurs, à l’avenir,
certains arrangements pourront être conclus au cas par cas, notamment pour trouver des solutions d’hébergement. Par exemple, un hébergement à l’internat du lycée est parfois possible, s’il y a accord du chef d’établissement." L’ARS Auvergne-Rhône-Alpes avoue qu’à cette heure elle n’a encore rien versé et que "le forfait ne sera pas toujours à la hauteur des dépenses". De son côté, le comité de pilotage du service sanitaire assure qu’un groupe de travail planche sur une amélioration du dispositif pour la rentrée prochaine. La formation demeure la seconde faille dans le dispositif, révèlent les étudiants interrogés. "Nous avons reçu une mini-formation sur les deux premières semaines de septembre, mais cela aurait pu tenir en trois jours, se souvient Marielle, étudiante en médecine, à Clermont-Ferrand. Nous avons eu des interventions d’étudiants qui avaient effectué leur service sanitaire de manière anticipée l’année précédente – ce qui était intéressant –, et d’autres professionnels de santé. Certains nous ont présenté des outils pour animer nos interventions, comme le jeu Ado Sexo** dans le cadre de l’information sur la contraception et prévention des infections sexuellement transmissibles (IST). Mais nous n’avons jamais été formés à la prise en charge des élèves : certes, nous sommes proches d’eux en termes d’âge, mais nous ne sommes pas profs pour autant et ce n’est pas inné du tout ! C’était une source d’anxiété avant de commencer les interventions." Dans la plupart des facultés, les formations ont, en effet, été un peu hésitantes cette année, reconnaît Anne-Marie Durand, pour qui ce point devrait s’améliorer au fil du temps : "On a déjà facilité l’accès des formateurs à des structures ressources, comme l’instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps), assure Anne-Marie Durand. Cet accompagnement des formateurs va se poursuivre quelques années. Ensuite, nous allons travailler à des supports communs afin que tous les étudiants parlent le même langage. Enfin, il nous faudra insister sur les méthodes pédagogiques d’éducation à la santé, car elles ne s’inventent pas."
L’évaluation du service sanitaire se fera au niveau de chaque faculté, sans harmonisation nationale… ce qui peut donner quelques sueurs froides aux étudiants. Des personnes présentes sur le lieu de l’action (enseignants, infirmière scolaire) seront consultées, pour vérifier que le service sanitaire aura bien été effectué. La faculté aura le dernier mot et pourra décider d’un examen portant sur le service sanitaire, sous forme d’oral ou même d’épreuve écrite. "Un QCM pour évaluer une interaction humaine, ce n’est pas forcément très pertinent", déplore Anatole Le Guillou de l’Anemf. Les étudiants ne savent pas non plus quelle sera la marche à suivre en cas de service sanitaire non validé : théoriquement, il faudrait le refaire… Mais selon quelles modalités ? L’Anemf a amorcé des discussions avec le ministère pour éclaircir ce point.
"Nous n’avons pas été formés à la prise en charge des élèves : ce n’est pas inné !" Cette année, cette formation aux outils et méthodes pédagogiques a reposé essentiellement sur la bonne volonté des uns et des autres. "Je remercie l’infirmière scolaire du lycée, qui nous a accueillies et aidées, et c’est bien la seule, alors qu’elle était déjà bien occupée", reconnait Marielle. C’est aussi ce qu’a fait Sylvie Martinet, infirmière scolaire au lycée Joliot-Curie d’Hirson (Aisne), qui a accueilli quatre étudiants en service sanitaire (trois infirmiers et un médecin) : "Ils ont été assez autonomes, mais nous débriefions après chaque séance de préparation de l’intervention et je leur donnais des orientations pour la suivante, indique-t-elle. Je leur ai aussi expliqué comment gérer un groupe. Cela m’a demandé du travail mais c’était primordial : se retrouver face à une classe sans préparation est très anxiogène. J’ai pu les aider sur ce point car j’avais l’expérience nécessaire. Ce qui n’est pas le cas de toutes les infirmières scolaires." Peut mieux faire La formation fait donc partie des axes d’amélioration à travailler d’ici à l’année prochaine, admet le comité de pilotage du service sanitaire, tout comme la diversification et la répartition des terrains de stage, encore trop groupés autour des villes universitaires. Afin d’affiner les formations, les rectorats mènent actuellement des évaluations locales sur la facilité d’accès au terrain de stage, l’accompagnement sur place, le respect de l’interdisciplinarité… en attendant l’évaluation nationale du dispositif, menée sous l’impulsion du Haut Conseil de la santé publique. L’évaluation de l’impact du service sanitaire sur la santé des jeunes se fera, quant à elle, sur le long terme car il faudra compter une quinzaine d’années. "Cette action est jeune, elle a un potentiel, mais elle n’est pas encore achevée, conclut Anatole Le Guillou. C’est pourquoi nous aurions souhaité une mise en place optionnelle pour les premières années, afin de mieux définir les objectifs pédagogiques et la démarche projet avant de l’élargir, au bout d’un ou deux ans." Ce sera chose faite dès 2020 : le service sanitaire devrait alors s’ouvrir à d’autres filières, comme les orthoptistes, les audioprothésistes et les podologues. * Certains prénoms ont été modifiés. ** Jeu de cartes destiné à transmettre aux adolescents des informations sur la sexualité et à ouvrir le dialogue avec les adultes sur ce sujet.
- + Toutes les facs ont lancé le service sanitaire dès cette année, malgré un calendrier très serré.
- + L’interdisciplinarité constatée sur environ 90 % des terrains de stage, selon l’Anemf.
- - Le remboursement des frais de déplacement encore peu clair pour les étudiants.
- - La formation préalable jugée insuffisante.
- - Le manque de diversité des terrains de stage, essentiellement des établissements scolaires pour l’instant.
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