"Etre pris en otage sur ce que font les patients est insupportable" : les angoisses des médecins face aux forfaits
Pour réformer le financement de la santé et la rémunération des soignants, le rapport remis par Jean-Marc Aubert à Agnès Buzyn propose de réduire la part du paiement à l'acte pour augmenter celle des forfaits. Mais les soignants semblent encore réticents à cette évolution.
Le paiement à l'acte n'est pas adapté à la prise en charge des maladies chroniques, qui représentent 60% des dépenses d'assurance maladie alors qu'elles concernent 35% des assurés, note Jean-Marc Aubert dans le rapport qu'il a remis fin janvier à Agnès Buzyn. Et de proposer un forfait global pour la prise en charge d'une pathologie, rémunérant l'ensemble du suivi. L’objectif est "d’inciter les professionnels à se focaliser sur la prévention et sur les résultats de santé obtenus bien plus que sur le nombre d’actes ou de séjours réalisés en leur donnant plus de souplesse dans le choix des modalités de prise en charge". Le versement du forfait serait conditionné au respect d'un cahiet des charges précisant les prestations attendues. Très réticents à une rémunération au forfait "Plutôt que de coter et d’être payé pour chaque acte, accepteriez-vous d’être rémunéré par un forfait annuel (avec cahier des charges et indicateurs de qualité) pour le suivi du patient diabétique ?", a demandé Agnès Buzyn aux lecteurs d'Egora via une enquête encore ouverte, dans la logique des recommandations qui viennent de lui être remises par le groupe de travail de Jean-Marc Aubert.
Participer à l'enquête Plus de 500 médecins et infirmières de ville ont déjà répondu. Et les résultats intermédiaires, dix jours après le lancement de l'enquête, montrent qu'ils sont très réticents à une rémunération au forfait. Plus de 75% des répondants refuseraient un paiement au forfait à la place d'une rémunération à l'acte pour le suivi d'un patient diabétique. Naturellement, parmi les opposants, il y a les inconditionnels du paiement à l'acte, "à revaloriser" qui "responsabilise le patient", épris de leur indépendance, qui prédisent un "flicage garanti" et une "fonctionnarisation de l'exercice libéral". Mais pas seulement. Trop grande rigidité du système "Le forfait annuel ne prendrait en compte que les actes en situation de diabète stable sur l'année mais non pas les actes pour une situation d'urgence pouvant survenir à n'importe quel moment pour une décompensation. De plus être médecin en libéral fut un choix propre pour une notion de liberté d'action comme de prise de décisions", justifie par exemple un médecin généraliste. A l'image de nombreux confrères, il redoute une trop grande rigidité du système. "Certains patients diabétiques nécessitent plus de consultations que d’autres. Un forfait gommerait cette réalité, le médecin serait perdant", souligne un autre jeune généraliste. Se pose aussi la question des consultations multi-diagnostics. "Comment rémunérer la consultation du patient diabétique, cardiaque, qui a mal à son arthrose du genou et qui profite de la consultation pour me parler de ses "vertiges"...?", s'interroge un médecin. Echaudés par l'expérience de la ROSP, nombreux sont ceux qui se méfient des forfaits : "Nous connaissons déjà la ROSP et c'est déjà amplement suffisant, nous sommes formés pour soigner des patients et non pas pour remplir de multiples critères décidés par des financeurs de soins", commente un généraliste de plus de 55 ans. "J'ai besoin de connaitre mes revenus. Cette année le ROSP a baissé de 30%. Je ne veux pas avoir la meme situation sur 50% de mes revenus parce que les indicateurs retenus sont inapplicables ou incalculables ou dépendre de l'observance des patients", s'alarme un autre médecin généraliste. "Aucune confiance dans le cahier des charges et les indicateurs de qualité, au vu de l'expérience de la ROSP", résume un autre médecin. "Indicateurs de qualité non stables dans le temps, concernant pour certains seulement quelques dizaines de patients pour une patientèle de près de 900 patients avec pour conséquence des variations statiques pouvant ne pas refléter la réalité, doutes concernant la qualité et l'exhaustivité du recueil des données de suivi, critères dépendant de nombreux paramètres externes et échappant parfois complètement à l'action du médecin. Système pervers poussant le médecin à se focaliser de façon chronophage sur les critères de qualité au détriment du temps consacré au patient." "60% de nos patients ne nous disent pas la stricte vérité" Pour ce jeune généraliste à l'exercice coordonné, c'est la question des indicateurs de qualité qui pose problème. "Je ne me sens pas directement responsable de l'évolution d'un diabète (hygiène de vie...) que je ne cesse de viser en consultation ! Prendre les médecins en otage sur ce que font les patients est insupportable." Même son de cloche chez de nombreux confrères, qui refusent une obligation de résultats. "Si nous pouvons conseiller et orienter les malades nous ne pouvons en aucun cas faire à leur place hors il semble que 60% de nos patients ne nous disent pas la stricte vérité", souligne ainsi un généraliste excerant en ville de manière regroupée. Et même ceux qui se disent favorables demandent à connaître le montant et les modalités du forfait avant de se prononcer, suggèrent une expérimentation avant une généralisation, et se montrent très prudents : "Si ce forfait prend en compte l'éducation du patient diabétique et l'adaptation des doses d'insuline. Et bien sûr une cotation représentative de notre travail", avance un infirmier de ville. "Tout dépend du forfait et comment il s'articule, étant donné que nous sommes plusieurs professionnels à intervenir", ajoute un autre infirmier. Plusieurs voix s'élèvent en faveur d'une rémunération mixte, qui combinerait paiement à l'acte et forfait. "Attention toutefois à ce que le forfait tienne compte des recommandations HAS et de ce qui est bon pour le patient. Par exemple certains diabétiques sont en régime diététique seul alors que la ROSP incite à prescrire de la metformine même lorsqu'il n'y a pas encore besoin d'un traitement médicamenteux. Il faudrait conserver la tarification à l'acte mais mieux valoriser ce forfait annuel qui tiendrait compte des indicateurs pour encourager à un suivi de qualité", suggère un jeune médecin généraliste. "Une rémunération mixte serait plus adaptée, abonde un autre médecin. Revalorisation de l’acte d’une part, revalorisation de la ROSP d’autre part ou bien adjoindre à l’acte un forfait diabétique semble plus approprié. Croire qu’un patient diabétique ne vient en consultation que pour du suivi chronique est une illusion." "Je suis favorable à une rémunération forfaitaire, explique un autre généraliste, mais en conservant une part de rémunération à l'acte (faible) pour éviter que les médecins négligent de faire des actes pour lesquels ils ne seraient pas rémunérés." "Pour la capitation totale" Certains, pourtant, font figure d'exception. "Je suis pour la capitation totale (avec libre choix) associée à des forfaits spécifiques pour chaque catégorie de soins", s'enthousiasme, minoritaire, un généraliste de plus de 55 ans. Un paiement au forfait serait "plus simple et plus éthique", avance un autre généraliste. Pour prendre le pouls des soignants avant de lancer la réforme de la rémunération, Agnès Buzyn a tenu à consulter les lecteurs d'Egora. Une vaste enquête, ouverte jusqu'au mois de mars, a été lancée fin janvier. En 18 questions, et quelques minutes, les soignants peuvent donner leur point de vue sur de nombreux thèmes liés aux financement des soins et aux modes de rémunération, et développer leurs réponses dans un espace de commentaires. Pour répondre à l'enquête : Agnès Buzyn demande l'avis des lecteurs d'Egora
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