Proposer une offre ambulatoire structurée et identifiable en temps réel, alternative aux urgences : c’est l’une des ambitions du plan "Ma santé 2022". La mise en place d’une régulation pour toute demande de santé, et pas seulement pour les urgences vitales, semble incontournable. La question du numéro national unique n’est pas encore tranchée.
Urgences saturées, attente interminable des usagers, lassitude des personnels hospitaliers… La partie visible de l’iceberg, s’agissant de la question des soins non programmés, suscite des crispations sur l’ensemble du territoire français. Comment répondre de façon efficiente à cette demande, définie par le député de Charente (LREM) Thomas Mesnier, dans son rapport de mai 2018*, comme "une urgence ressentie, mais ne relevant pas médicalement de l’urgence et ne nécessitant pas une prise en charge par les services hospitaliers d’accueil des urgences" ? Quelle place auront les médecins généralistes dans la nécessaire restructuration de la prise en charge de ces soins non programmés, entre 8 h et 20 h en semaine et le samedi matin ? Cela, alors que la France est confrontée à une hausse ininterrompue depuis vingt ans – de 3,5 % en moyenne annuelle – de la fréquentation de ses services hospitaliers d’accueil des urgences (20,3 millions de passages par an). Parallèlement, le nombre de médecins en activité régulière a diminué de 10 % depuis 2010, les inégalités se creusant entre départements favorisés et défavorisés en termes de démographie médicale. "L’offre de soins en médecine générale n’est plus suffisante. On a donc des problèmes pour trouver un médecin traitant, et les généralistes ont de plus en plus de difficultés à absorber la demande ", résume le Dr Claude Leicher, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS). Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que ce chantier soit l’une des dix priorités de la stratégie "Ma santé 2022", dont le coup d’envoi a été donné le 19 novembre dernier. "Un effort massif d’accompagnement des initiatives des professionnels de santé, de maillage du territoire et d’incitations doit être réalisé par les pouvoirs publics. Si un tel effort de renfort et d’organisation de ce service public confié aux médecins n’était pas entrepris, il ne fait guère de doute que des initiatives privées à but lucratif, qui sélectionnent les patients, et dont on voit déjà l’émergence, se développeront de façon désorganisée", écrit Thomas Mesnier, en insistant sur la "responsabilité sociale du médecin envers la population de son territoire". "Les médecins libéraux assurent déjà une grande partie des soins non programmés dans leurs cabinets", répond la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui reconnaît cependant que certaines recommandations du rapport vont "dans le bon sens", comme la nécessité de soutenir les professionnels de santé qui s’engagent sur cette question. Dans la continuité, le plan "Ma santé 2022" qui prévoit le déploiement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pour mailler le territoire national et la création du nouveau métier d’assistant médical (4 000 postes à l’horizon 2022) encourage, lui aussi, les professions de santé libérales à s’organiser pour répondre aux besoins de santé. "Il ne nous reste plus qu’à nous retrousser les manches collectivement au niveau de nos territoires. Montrons que l’exercice libéral n’est pas sclérosant et qu’il permet au contraire de faire évoluer rapidement nos organisations", s’enthousiasme le Dr Luc Duquesnel, président national Les Généralistes-CSMF. Dégager du temps médical et s’organiser entre médecins Trois grands axes d’action se dégagent, avec des applications variées, selon les préférences des acteurs territoriaux : le premier consiste à libérer du temps médical utile et à s’organiser entre médecins ; le deuxième, à mener une campagne d’information d’ampleur sur le recours aux urgences et la bonne utilisation du système de santé ; le troisième, à déployer sur tout le territoire une régulation téléphonique pour les soins non programmés, de façon à bien orienter le patient dans son parcours de soins. Sur toutes ces thématiques, des initiatives locales voient le jour. En Bourgogne-Franche-Comté, région particulièrement dynamique sur cette question, un groupe de travail technique a été constitué. Il élabore un cadrage pour développer la réponse aux demandes de soins non programmés. Plusieurs dispositifs initiés par la ville comme par l’hôpital sont en cours de démarrage. Le projet d’organisation des soins non programmés intégrant le pôle de santé de Lure en Haute-Saône vise ainsi à faciliter l’orientation des patients. Dans l’Yonne, la création d’un centre de soins non programmés (CSNP) au sein de la polyclinique d’Auxerre (Yonne) par transformation de la structure des urgences existante a pour objectif de prendre en charge les patients relevant du soin de ville et de la petite traumatologie, soit réorientés par la structure des urgences du centre hospitalier soit en accès direct. Ce centre sera ouvert de 8 h à 20 h, 7 jours sur 7. Dans la Nièvre, un projet innovant de prise en charge partagée avec une infirmière a également été retenu par l’ARS. Dans les maisons de santé de Baumeles-Dames (Doubs) et de Bletterans (Jura), un médecin dédié assure la prise en charge des consultations non programmées. Le Territoire de Belfort met en place un service de prise de rendez-vous téléphonique dédié aux soins non programmés. À Chalon-surSaône (Saône-et-Loire), c’est une régulation libérale qui est assurée en journée par des médecins libéraux au sein du centre 15. Côté hôpital enfin, un médecin généraliste salarié de l’hôpital au sein du service des urgences assure les consultations non programmées au centre hospitalier de Lons-le-Saunier (Jura). Investir dans les CPTS "Il faut mettre de l’intelligence collective dans le système de santé français. Si la réponse aux soins non programmés n’est pas spécifiquement le but de la création des CPTS, celles-ci permettent de mieux s’organiser. Quand une CPTS existe, il est plus facile d’absorber les 40 ou 50 patients qui n’ont pas trouvé de réponse à leur demande, en mettant par exemple en place un agenda partagé", estime Claude Leicher, qui appelle à investir financièrement dans cette organisation de l’ambulatoire. "Les ARS et la Cnam ont compris qu’il faut à la fois accompagner et laisser faire à l’étage territorial", se réjouit-il, en militant pour que les professionnels sur le terrain décident entre eux des éventuelles répartitions de tâches qui peuvent varier selon les territoires. Attention à "bien partir des besoins, souligne Luc Duquesnel, qui participe sur son territoire de Mayenne à un projet de CPTS. S’il y a quatre ou cinq patients par jour, on ne va pas créer une unité de soins non programmés !" Déploiement du 116 117 Comme l’ensemble des représentants des syndicats de médecins libéraux, le président national Les Généralistes-CSMF réclame la mise en application du numéro national unique, le 116 117, pour les demandes de soins non programmés et en permanence de soins. Un récent rapport, rédigé par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur le secours d’urgence à la personne et l’aide médicale urgente, se prononce en faveur du déploiement du 116 117 pour les soins non programmés en ville. Un motif de réjouissance pour le
Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), qui préconise une montée en charge progressive du numéro d’appel et souhaite s’inspirer du dispositif mis en place par l’URPS Grand Est. "Le système libéral est le plus adapté et le moins coûteux pour répondre à la demande de soins non programmés. Quand on franchit la porte des urgences, cela coûte entre 220 et 260 euros alors que la prise en charge par un médecin libéral est de l’ordre de 40 euros" (en cotant la majoration MRT de 15 euros), rappelle-t-il. La mise en place d’une régulation médicale de journée... ne pourra se faire sans une grande campagne de communication dans les médias, sur le terrain et auprès des acteurs. De façon unanime, les responsables syndicaux appellent à une responsabilisation et à une éducation des patients sur le recours inapproprié aux urgences hospitalières.
Présidente de l’URPS Grand Est, le Dr Guilaine Kieffer-Desgrippes présente l’outil d’optimisation et de régulation en cours de déploiement dans le Bas-Rhin et qui bénéficie d’un soutien fort de l’ARS. Egora.fr : À quels besoins avez-vous voulu répondre à travers cet outil ? Dr Guilaine Kieffer-Desgrippes : Cette expérimentation va couvrir le Bas-Rhin et dans un deuxième temps la Moselle. Nous avons une forte demande de notre ARS pour que la médecine de ville s’organise pour la prise en charge des soins non programmés. Le service d’accueil des urgences du CHU de Strasbourg a en effet connu une croissance à deux chiffres entre 2016 et 2017. Nous avons essayé d’agir sur tous les leviers qui font qu’à un moment donné un patient se présente aux urgences sans avoir vu ou appelé qui que ce soit (70 % des arrivées aux urgences). C’est la cible de notre expérimentation. Comment se présente le dispositif ? Nous avons d’abord identifié un problème d’information du grand public. Il nous fallait pour cela nous appuyer sur un numéro facilement identifiable, le 116 117, qui est inscrit dans le décret du 22 juillet 2016 et qui s’appuiera sur une très grosse campagne de communication. On a l’ambition de faire changer les comportements : une fois que le patient a appelé, il faut répondre et avoir suffisamment de régulateurs pour le faire. La deuxième clé de voûte de notre projet est donc la mise en place d’une régulation libérale tous les jours de 8 h à 20 h, qui s’appuie sur une colonne de régulateurs en PDSA de plus de 60 médecins. On n’encombre pas le 15 et on y met des libéraux, qui ont souvent une autre approche de la gestion de ces appels. Enfin, il nous faut des effecteurs. Nous avons choisi un système d’information, nommé Entr’actes, qui a la particularité de « pusher » les demandes auprès de nos confrères libéraux en cabinet, en privilégiant le médecin traitant. Si ce dernier n’est pas disponible, les demandes seront orientées vers l’ensemble des médecins abonnés à cette application et qui seront géolocalisés dans un périmètre restreint autour du patient. Il ne s’agit pas de trouver un rendez-vous immédiat pour chaque patient, mais bien de réguler, et pour le médecin traitant d’être informé du parcours de son patient. Il n’y a pas d’agenda partagé et aucune obligation de prise en charge pour les médecins abonnés. Notre objectif est que le territoire soit maillé dans deux à trois mois d’effecteurs libéraux. Cette période intermédiaire nous permet de roder le logiciel, qui ne fonctionne pour l’instant qu’avec les appels 15 relevant de la médecine de ville. On ne lancera le 116 117 au grand public que lorsque nous aurons maillé le territoire. C’est un travail de longue haleine qui nécessite d’aller rencontrer les médecins, de les inciter à s’abonner, etc. Que finance l’ARS ? Le projet finance deux assistantes de régulation médicale (ARM) dédiées qui couvrent le créneau 8 h-20 h, spécifiquement pour les soins non programmés. L’ARS finance aussi la majoration (15 euros), qui n’entre pas dans le cadre de la majoration MRT conventionnelle, l’Assurance maladie ayant peur du dérapage et que la consultation passe de 25 à 40 euros. Enfin, une chargée de mission, embauchée à plein temps pour trois ans à partir de janvier, est destinée à suivre cette expérimentation.
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