Ce que mijote le gouvernement pour sortir du paiement à l'acte

15/11/2018 Par Sandy Berrebi-Bonin
Politique de santé

Le directeur de la DREES, Jean-Marc Aubert a remis son rapport sur les modes de financement et de régulation dans le cadre de la stratégie nationale de transformation du système de santé.  Il préconise une évolution progressive des modes de financement au cours des trois prochaines années. L'objectif affiché est d'inciter davantage les acteurs à développer la prévention, à s'assurer d'un standard élevé de qualité, à rechercher une plus grande pertinence des soins et à prendre le temps d'une meilleure coordination.

  Entre les 54 mesures de la stratégie nationale de transformation du système de santé et le vote prochain du plan de financement de la sécurité sociale 2019, les médecins s'apprêtent à sentir un vent de changements. Pour Jean-Marc Aubert, auteur du rapport sur les modes de financements et de régulation de la stratégie de transformation du système de santé – l'un des cinq chantiers de la réforme -  "le financement est un des leviers essentiels" à cette évolution. Le rapporteur de la "task force" sur le sujet regrette que le système actuel de paiement à l'acte et de tarification à l'activité induit des risques de réalisation d'actes non pertinents, redondants voire inutiles. Faire évoluer la rémunération des médecins relève donc essentiellement "d'un sujet de qualité des soins", indique le rapport qui estime que " la tarification actuelle valorise insuffisamment la prévention, notamment secondaire et tertiaire dans le cadre de la prise en charge des maladies chroniques". Le directeur de la DREES souhaite donc réduire considérablement à l'horizon 2022 la part de financement à l'activité et développer une tarification mixte pour l’ensemble des producteurs de soins, complétée par un système de régulation microéconomique et macroéconomique.   Jean-Marc Aubert propose plusieurs propositions : -La tarification à l’acte ou à l’activité devra être combinée avec d’autres modes de rémunération plus forfaitaires pour garantir à la fois productivité, réactivité, pertinence et suivi préventif des malades chroniques. "Cette évolution est logique car il s’agit moins de payer des actes que de suivre, au long cours, des patients", estime-t-il. Pour l’hôpital la situation est plus contrastée. En effet, en tant que structure de recours, l’hôpital doit être incité à la productivité pour éviter la création de files d’attente. La proportion de tarification à l’activité doit donc être plus importante pour atteindre cet objectif, mais les autres modes de paiement (à l'épisode, au forfait par ex) permettent de recentrer les acteurs de soins sur le suivi, la prévention et la coordination des soins. -Financement des soins hospitaliers à la pertinence. L'objectif est de cibler des régions pour lesquelles les taux de recours à certains gestes ou spécialités s'écartent significativement de la moyenne nationale (plus de deux fois l'écart type). Pour ces régions et au sein de celles-ci dans les départements concernés et pour ces gestes ou activités, une partie de l'activité (environ la moitié) serait financée forfaitairement et le reste le serait au GHS mais avec un tarif divisé par 2. La mesure est révisable dès lors que les départements concernés sont revenus dans la dispersion "normale" pour les gestes concernés.   -Financement des soins hospitaliers à la qualité. Le système de tarification actuel doit être complété par des incitations à améliorer la qualité et la pertinence des soins. Cette incitation à la qualité a vocation à concerner l'ensemble du système de soins : soins de ville, HAD, SSR, EHPAD, psychiatrie et MCO. En 2019, seuls les établissements de santé (MCO, SSR et HAD) seront concernés mais l'incitation à la qualité sera étendue progressivement à l'ensemble des secteurs.  A partir d’une série limitée d’indicateurs qualité transversaux, les établissements recevront une dotation financière. Celle-ci représentera une part significative de leur financement afin d'être incitative. Un malus pourrait être prévu à partir de 2020, éventuellement sur la base d'indicateurs de non-qualité. Les indicateurs qualité, peu nombreux en 2019, seront progressivement complétés tout en restant limités (10 maximum). -La tarification des soins de ville à la qualité (mesurée sous forme de résultat), incitatif majeur pour les professionnels et une garantie pour le patient, doit être généralisée. Déjà présente pour les médecins généralistes à travers la ROSP et plus marginalement pour les structures MCO et SSR, le paiement à la qualité aura vocation à englober l’ensemble des producteurs de soins (psychiatrie, médico-social). -La structuration des soins de ville doit être favorisée pour engager la réorientation des pratiques et l’amélioration du suivi des patients chroniques et réduire les hospitalisations. Cette structuration ne peut être du seul apanage des mesures de financement et demandera une cohérence de l’action publique durant plusieurs années et dans plusieurs domaines (numerus clausus, système d’information, simplification du droit). -Financement au forfait de pathologies chroniques. Un amendement au PLFSS 2019 instaure un mode de rémunération forfaitaire, c'est à dire "un financement qui encourage les professions de santé à exercer de manière coordonnée "en remplacement du paiement à l'activité (T2A), "pour réduire les dépenses de santé et améliorer la qualité des soins". Dans un premier temps, les pathologies concernées sont le diabète et l’insuffisance rénale chronique. La ville devrait être prochainement associée à ces expérimentations.  

  Cette évolution des modes de tarifications sera complétée par une revue des nomenclatures et des procédures.   D'autres mesures ont été listées dans le rapport Aubert. La plupart ont déjà été annoncées par le gouvernement, dans le cadre de la Stratégie nationale de santé et du PLFSS 2019. -Rendre plus équitable le financement des établissements psychiatriques. En 2019, la mesure concernera les établissements publics de psychiatrie. Les dotations régionales seront modulées en fonction de la population (majeure et mineure) et de leur niveau de précarité, afin de mieux prendre en compte la sectorisation de l'établissement et la lourdeur des prises en charges pour la psychiatrie infanto-juvénile. Le gouvernement a déjà annoncé la dotation d'un fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie et demande aux ARS de donner une priorité à la psychiatrie dans les plans régionaux d'investissement. -Inciter les services d'urgence à réorienter les patients les plus légers. Cette mesure (un amendement parlementaire),  a été votée à l'Assemblée nationale en première lecture, dans le cadre du PLFSS 2019 mais a été limitée dans un premier temps aux hôpitaux volontaires. "On peut donc considérer que l'on paye l'hôpital pour qu'il ne soigne pas lui-même le malade, mais pour qu'il coordonne son parcours de soins. Une rémunération qui pourrait aller de 20 à 60 euros par patient, sachant que ce dernier aura toujours le droit de refuser", avait précisé le député Olivier Véran, président de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée et auteur de l'amendement. - Renforcement de la médecine de premier recours. La mesure vise à financer un ou une assistante médicale pour les regroupements de trois médecins généralistes libéraux au moins, quel que soit leur mode d’exercice (cabinet de groupe, maisons et pôles de santé, communautés professionnelles territoriales de santé…). 50 000 euros seraient financés la première année. L'année suivante, une enveloppe moindre mais non communiquée servirait encore au financement des assistants médicaux, tandis que la troisième année, les médecins devront être capables de financer eux-mêmes le salaire. Une négociation conventionnelle doit s'ouvrir sur ce sujet au début de l'année 2019. Le gouvernement mise sur le fait que le financement des assistants médicaux aboutisse à une hausse du nombre de patients suivis par les médecins généralistes. Jean-Marc Aubert prend la référence des infirmières Asalée, qui ont permis une augmentation de l'activité de 7 à 10 % dans les cabinets où l'expérimentation s'est déroulée. Le président des Généralistes de la CSMF a critiqué cette comparaison, estimant qu'elle n'était pas pertinente en médecine générale. "Il est hors de question de nous demander de travailler plus pour payer une assistante médicale", a lâché Luc Duquesnel lors d'une conférence de presse où il a critiqué les "contraintes inacceptables" et un "accompagnement sous conditions", qui ne pourra profiter qu'à une petite proportion du corps des médecins généralistes. - Amélioration de l'équité et la crédibilité de la régulation de l'ONDAM. Les mécanismes de régulation de l'ONDAM doivent être revus et s'articuleraient autour d'un renforcement des outils de régulation infra-annuels avec des mécanismes d’alertes qui peuvent se déclencher également par sous-objectifs de l’ONDAM. Une vision pluriannuelle avec un fonds de lissage encouragerait la gestion rigoureuse de l’ONDAM en permettant de réutiliser ultérieurement d’éventuelles sous-exécutions. Le développement d’accords de modération et de pertinence aurait vocation à permettre une meilleure régulation des dépenses en pluri-annuel.  A noter que pour la première fois, le PLFSS 2019 a instauré une réserve prudentielle de 120 millions d'euros sur l'ONDAM de ville, sommes budgétées qui ne serait débloquées qu'à conditions que l'enveloppe ville – qui a dépassé son objectifs lors des deux derniers exercices -  soit dans les clous.

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