Suicides, harcèlement, abandons : 15 engagements contre le mal-être des étudiants en santé
Depuis la sortie du livre Omerta à l'hôpital il y a un an, les enquêtes et les témoignages abondent. Face aux difficultés exprimées par les étudiants en santé et aux nombreux suicides déplorés ces derniers mois, les ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur ont pris 15 engagements pour lutter contre le mal-être des futurs soignants.
Suicides de deux étudiants en Paces à Marseille et à Grenoble, d'une interne à Paris… "Tous ces cas dramatiques viennent chaque mois m'interpeller", a assuré ce mardi Agnès Buzyn lors de la présentation d'un rapport sur les risques auxquels sont confrontés les 350.000 étudiants en santé.
"Y a-t-il un problème de mal-être des étudiants ? La réponse est oui"
Depuis quelques mois en effet, le mal-être des étudiants en santé est prégnant. La parution en février 2017 du livre Omerta à l'hôpital de Valérie Auslender a créé une onde de choc, libérant la parole des futurs soignants. Les enquêtes se sont succédé pour objectiver cette souffrance : en juin dernier, l'Anemf, l'Isni, l'Isnar-IMG et l'Inscca révélaient ainsi que 66% des étudiants et jeunes médecins souffraient de troubles anxieux et que 23% avaient des idées suicidaires.
Les ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur ont confié à la psychiatre Donata Marra, présidente du Bureau interface professeurs étudiants (Bipe) de l'université Paris 6, la charge d'identifier les spécificités du mal-être des étudiants en santé et de proposer des réponses. "Y a-t-il un problème de mal-être des étudiants ? La réponse est oui", a affirmé le Dr Marra, se basant à la fois sur les expériences de terrain et la "littérature foisonnante" sur le sujet, en France comme à l'international. "Est-il possible de déterminer avec exactitude l'ampleur de ce problème ? La réponse est non", a-t-elle admis. Si le taux de suicide anormalement élevé des professionnels de santé (34.7/100.000 selon la HAS) est connu, il n'y aucune donnée concernant les étudiants. Pour autant, la prévalence de l'anxiété, du burn out et des addictions est forte. Un problème qui s'est probablement aggravé selon la psychiatre : une étude américaine révèle une hausse de 9% du burn out chez les soignants entre 2011 et 2014. Au-delà de l'individu, c'est tout le système qui est en cause. Recherche de rentabilité, "massification" de la Paces, "bachotage" dû au passage au tout ECN, compagnonnage fragilisé par un trop faible ratio enseignant/étudiants, introduction du numérique et perte de l'humain… le mal-être est multifactoriel, souligne Donata Marra. Basée sur une "compétition annuelle constante", les études médicales sont les plus concernées. "En bout de ligne", "les internes sont ceux qui ont le plus de difficultés", a insisté la psychiatre. Ses recommandations ont largement inspiré les 15 engagements pris par les deux ministres, dont certains sont à effet immédiat, comme la lutte contre les violences. "L'humiliation, le harcèlement et le bizutage n'ont pas leur place à l'université", a rappelé la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Tout comme les violences sexistes et sexuelles, pour lesquelles "la loi du silence doit être brisée".
Conditions de travail en stage
Afin d'améliorer la prévention des risques psycho-sociaux, d'ici la fin de l'année chaque université et centre de formation devra se doter d'une structure d'accompagnement des étudiants, garante de la confidentialité, à l'image du Bipe de l'université Paris 6 (voir encadré). Les services de médecine universitaire seront renforcés, avec l'objectif affiché de les faire évoluer vers des centres de santé. La ministre de la Santé souhaite également la mise en place de "circuits courts d'avis psychiatrique" pour les étudiants en difficultés. Le plan prévention du Gouvernement prévoit par ailleurs que les étudiants soient formés au repérage et aux premiers secours en santé mentale. Pour les ministres, il est indispensable de s'attaquer aux conditions de travail en stage, trop souvent mises en cause. Les lieux de stage, à l'hôpital comme en ville, feront l'objet d'une "évaluation systématique par les étudiants". "Le cas échéant, elles permettront de déclencher une procédure de réexamen de l'agrément ou des conventions des lieux de stage", a prévenu Agnès Buzyn. La ministre de la Santé porte par ailleurs "une vigilance toute particulière" au strict respect du repos de sécurité et du temps de travail hebdomadaire des professionnels en formation. Le bien-être des étudiants passe aussi par la transformation globale des études de santé, qui fera l'objet d'une vaste consultation menée par deux médecins et une interne en médecine générale. Il s'agit de "repenser les cursus pour les centrer sur les compétences à acquérir et sortir d'une logique de compétition". Cela passe par la multiplication des passerelles et par la disparition des ECN dans leur forme actuelle.
"Il faut repositionner l'hôpital au cœur du système de soins"
Un Centre national d'appui sera créé. Doté de moyens spécifiques, il aura pour mission d'identifier les facteurs de risque propres aux étudiants, de former les acteurs et de mener une campagne de sensibilisation aux côtés de Santé publique France. Une enquête annuelle permettra de mesurer les améliorations. Qu'en est-il du mal-être des soignants ? "Si l'hôpital va mal, nécessairement les étudiants en santé vont mal", a relevé Jean-Baptiste Bonnet, président de l'Isni. "Il faut repositionner l'hôpital au cœur du système de soins, repenser les carrières et redonner du sens aux missions des soignants, qui souffrent d'un système visant uniquement la rentabilité", a reconnu Agnès Buzyn. C'est tout l'objet de la Stratégie présentée par le Premier ministre le 13 février dernier.
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