Suicides en série chez les étudiants en médecine : "Il faut en parler, en évitant l'effet d'imitation"

02/02/2018 Par Fanny Napolier

Une interne à Paris, un étudiant PACES à Grenoble, et tant d'autres avant eux. Ces dernières semaines, plusieurs suicides ou accidents mortels d'étudiants en médecine ont été relayés sur Egora. Comment parler de ces drames ? Quelles sont les conséquences de leur médiatisation ? Comment éviter l'effet d'imitation ? Le psychiatre Clément Guillet appelle à la prudence, sans tomber dans le déni.

  Egora.fr : On assiste à une série noire de décès et de suicides d'étudiants en médecine ces dernières semaines. Quel regard portez-vous sur ces drames en série ? Dr Clément Guillet : La PACES est une année particulièrement compliquée, avec un mode de bachotage qui est parfois épuisant, la sélection, la concurrence intrinsèque, parfois la perte de sens chez les jeunes qui sont déjà fragilisés… Ce sont des situations particulièrement stressantes et à-même de provoquer des syndromes dépressifs et des idées suicidaires. C'est pour cela qu'il est important d'en parler et que les médias ne peuvent pas se priver d'en parler. L'internat aussi est un moment particulièrement difficile, de transition entre les études et la vie professionnelle. On demande quand même aux internes de faire tourner l'hôpital, ils ont une pression continue… Cette série noire me fait penser aux suicides chez Orange où les employés subissaient une pression managériale, des restructurations… Il y avait un contexte professionnel particulièrement stressant qui pouvait fragiliser certaines personnes et induire des idées suicidaires. Une grande étude est sortie en juin sur les étudiants et jeunes médecins, qui montrait des taux beaucoup plus importants que dans la population générale. 28% qui ont souffert de dépression, c'est plus que dans la population générale, 23% qui ont déjà eu des idées suicidaires aussi. Cette série noire nous alerte sur l'état de santé des étudiants en médecine, de la première année à l'internat, de la souffrance des soignants, qui reste un tabou. Ça doit alerter sur la manière de prendre en charge les étudiants : il n'y a pas assez d'accompagnement, le compagnonnage est là mais la pression fait que ce sont des années difficiles.   Peut-on parler d'effet d'imitation, connu sous le nom d'effet Werther ? Et comment l'éviter ? Par rapport à cette série noire, je ne sais pas si on peut parler d'un effet Werther, c'est-à-dire d'un effet d'imitation où des gens fragilisés copieraient d'autres personnes suicidées auparavant. Il existe plusieurs effets Werther, il y a l'effet des mass médias et un effet plus localisé. Pour ne pas que ça le devienne, il ne faut pas qu'il y ait un emballement médiatique autour de la description du suicide. Les médias doivent avoir du tact dans le traitement de ces informations, être prudents. Par exemple, il ne faut pas être dans la description du suicide, pour ne pas donner des idées sur la manière de faire. Il faut aussi relayer des numéros où les étudiants et les internes puissent trouver de l'aide. C'est très important. C'est toujours la difficulté de parler des suicides. Ne pas provoquer d'effet d'imitation, sans être dans le déni pour autant. Il faut en parler notamment pour alerter sur les conditions dans lesquelles ces jeunes ont eu des idées suicidaires. Au niveau local, il faut des séances de débriefing, d'accompagnement psychologique avec les gens qui connaissaient personnellement l'étudiant suicidé. C'est important. Il a été démontré que dans une famille où il y a eu un suicide, les membres de la famille sont plus à risque de suicide. Cela vaut aussi dans les services où il y a un suicide de patient, les autres patients du service sont plus à risque. Sur le moment, et aussi sur la durée. Il y a une sorte de levée du tabou,  et c'est un facteur de risque. Donc dans une équipe, dans un service, dans un groupe d'étudiant, il faut une prise en charge, une prévention au niveau local. Il faut questionner sur l'état psychologique. La santé psychique et la souffrance morale des soignants restent taboues. Il faut donc questionner cette souffrance morale, de savoir si ces jeunes qui connaissaient les étudiants suicidés ont eux-mêmes des idées suicidaires. Et si la question n'est pas posée frontalement, il faut leur permettre d'avoir des recours. Diffuser les numéros d'aide, c'est une première piste.   Le suicide est donc encore un sujet tabou chez les étudiants en médecine ? Bien sûr ! Quand on dit les cordonniers sont les plus mal chaussés, ce n'est pas pour rien. Quand on est en contact avec la souffrance morale, il faut y faire attention. Il y a encore le syndrome du médecin super héros, l'illusion qu'il est au-dessus de ces souffrances. Alors qu'il est atteint de ces souffrances-là, de problèmes psychologiques, voire psychiatriques. Il faut encore dépasser ça. Consulter, aller chercher de l'aide, questionner ses collègues, tout cela est encore tabou. Ces drames doivent pousser à plus d'attention à la santé mentale des étudiants en devenir. Ça reste à développer.   Ce tabou n'est-il pas en train d'évoluer ? Le fait d'en parler, que les familles acceptent de communiquer sur le suicide d'un proche, ne montre-t-il pas que les choses changent ? Oui, c'est vrai. Dans les pays où le suicide est vraiment tabou, il y a beaucoup moins de déclarations de suicides. Quand on observe un taux de suicide très bas, cela ne veut pas dire qu'il y a moins de gens suicidés, mais qu'il y a moins de déclarations, que les gens ne veulent pas déclarer une mort comme un suicide. Ce  n'est pas la meilleure manière de prendre en charge le problème. Il ne faut pas être dans le déni. Il vaut mieux en parler pour le prévenir. Il y a quand même en France 10 000 personnes par an qui meurent du suicide. Quand on sait que les étudiants en médecine sont plus à risque que la population générale, ça montre qu'il faut en parler pour prévenir et proposer une prise en charge. Le fait que les familles en parlent plus, c'est peut-être le début d'un lever de tabou. Il faut continuer pour pouvoir s'atteler à ce problème, être capable d'aller chercher de l'aide quand on en a besoin. Pour un problème somatique, on consulte rapidement. Pour un problème de santé mentale, c'est beaucoup plus lent. Avec une perte de chance potentielle. Un suicide dont on parle, c'est peut-être un suicide évité. En parler, ça permet parfois d'éviter le passage à l'acte. C'est important que la ministre se penche sur le sujet. J'espère que le fait qu'Agnès Buzyn soit médecin fera qu'elle sera plus à-même d'entendre la souffrance des soignants et prendre les mesures nécessaires. Le fait qu'elle soit sensibilisée à ces problèmes lui permettra peut-être de faire avancer les choses.   Depuis le 1er janvier, l'Ordre des médecins a mis en place un numéro d'appel pour internes et médecins en souffrance : 0826 000 401. Des psychologues, liés par le secret professionnel, sont disponibles 24h sur 24.

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