"Ce n'est pas au médecin généraliste de tout gérer", s'agacent les spécialistes

25/11/2017 Par Catherine le Borgne
Système de santé

Bousculés par la priorité donnée à la médecine générale, dans le cadre de la lutte contre la désertification médicale et l'organisation des soins primaires, les médecins spécialistes veulent faire entendre leur voix. Sous la houlette du Dr Patrick Gasser, le président de l'UMESPE-CSMF, ils se réunissent toute la journée, dans de premiers Etats Généraux de la médecine spécialisée, pour peaufiner leur projet politique. Avec, au programme, la question d'un éventuel retour dans le giron conventionnel.

  Qu'est- ce qui vous a conduit à réunir, ce samedi, les premiers Etats généraux de la médecine spécialisée ? Les médecins spécialistes sont-ils les mal aimés de la réorganisation en cours des soins primaires ? Dr Patrick Gasser. C'est un peu cela. Ce débat n'a pas été ouvert, il nous a été imposé. Je peux comprendre qu'il y ait eu, il y a 20 ans, un besoin de reconnaissance de la médecine générale, ce que nous avons intégré dans notre réflexion. Nous nous sommes dit qu'effectivement, le médecin généraliste représentait un élément important, structurel de la prise en charge des patients, d'autant plus, dans un cadre de territoires. Mais il y a aussi besoin de médecins experts. Les pathologies chroniques explosent, la prise en charge des patients, évolue, tant sur un plan organisationnel que des traitements. Or, aujourd'hui, ce débat n'est pas posé et on dit que c'est au médecin généraliste de tout gérer. Pourtant, ce n'est pas comme ça que les choses se passent sur le terrain et dans la réalité. On parle de pertinence, de financement mais on ne parle jamais de la plus grosse partie du corps médical, les spécialistes qui sont pourtant les plus nombreux. Alors nous nous sommes dit qu'il était temps d'en parler.  Les pouvoirs publics se sont peut-être dit qu'il n'y avait pas de problèmes sur la médecine spécialisée, alors qu'il y a aujourd'hui un malaise dans nos établissements, autant privés que publics. Il est important de savoir quelle est la place de chaque médecin dans le cadre de son expertise et voilà pourquoi nous nous inscrivons dans cette revendication : expertise, qualité et sécurité dans la prise en charge des patients. Vous vous sentez les oubliés du parcours de soins ? Oui. Je dis qu'aujourd'hui, et je l'affiche, que c'est la médecine spécialisée qui est garante du parcours des soins car c'est elle qui détient l'expertise de la prise en charge d'une pathologie. Je ne pense pas aujourd'hui, que ce soit le rôle de la médecine général. Pourquoi ? Parce que je fais bien ce que je fais tous les jours, et de façon fréquente. J'ai une formation dans un domaine précis, voilà pourquoi on m'appelle spécialiste. La raison pour laquelle les spécialistes de la CSMF n'ont pas voulu de cette convention ? Oui. Et je pense en plus qu'elle était clivante car il n'y avait pas de reconnaissance, qui n'est pas qu'une question de financement, mais aussi d'affichage politique, nécessaire pour retrouver la confiance. Je pense qu'à un moment, il faut savoir afficher sa confiance envers ses partenaires, et donner l'assurance qu'ils seront accompagnés dans l'évolution de leur métier. Dernièrement, le Premier ministre a fait un discours dans une maison de santé, où pas un seul mot n'a été dit sur la médecine spécialisée. J'ai été très choqué. Or, on sait aujourd'hui, qu'une prise en charge optimale des patients est liée à une bonne coordination entre médecins généralistes et spécialistes. Dans les études longitudinales menées à l'échelle de l'OCDE, on voit que la France en termes de qualité des prises en charge de santé, a régressé de la 2ème à la 11ème place. Une des explications données, c'est les difficultés d'accessibilité à la médecine spécialisée. Eh bien de cela, personne n'en parle !  Les jeunes ne veulent pas aller s'installer dans les déserts et c'est compréhensible. Il faut pouvoir leur proposer un travail en coordination et pour cela, il leur faut un recours, des médecins spécialistes. Le directeur général de la CNAM est invité à participer à une table ronde, ce samedi. C'est au contraire le signe qu'il pense bien à vous, non ? Il doit se dire qu'il nous a bien oublié… Ce n'est pas parce que nous ne somme pas signataires, que nous nous interdisons les discussions avec la caisse. Aujourd'hui, les deux parties se disent que le champ de la réflexion est ouvert, autour de modèles innovants par exemple, et elles se demandent pourquoi elles ne rediscuteraient pas ensemble. Pourquoi ne porterions-nous pas ensemble des nouveautés ? Nicolas Revel a évoqué l'hypothèse d'un paiement à l'épisode de soins. J'ai été un des responsables syndicaux à accepter d'y réfléchir, à être d'accord pour mobiliser des équipes mais en les sécurisant dans le cadre d'une expérimentation de terrain. Nous avons vraiment des choses à faire ensemble et je pense que c'est pour cela que le directeur de la CNAM vient nous voir. Faut-il comprendre que vous seriez prêt à rejoindre le camp des signataires de la convention ? Je considère qu'une convention, c'est un contrat entre deux parties. Nous n'avons pas trouvé les modalités d'un contrat équilibré et voilà pourquoi nous n'avons pas demandé que la CSMF signe cette convention.  Mais nous en avons besoin, tous, pour évoluer, il faut créer une convention dynamique car il y a besoin d'innovation, demain, en termes de soins, de financement. Nous devons discuter entre nous, plus que nous le faisons aujourd'hui. Les discussions qui vont prochainement s'ouvrir autour de la télémédecine pourraient-elles être l'occasion pour l'Umespe de revenir dans le jeu ? Il ne peut pas n'y avoir que la télémédecine même si c'est un élément que nous portons et que nous essayons de structurer car aujourd'hui. On observe la multiplication de plateformes gérées par les assurances ou par les mutuelles. Pour nous, il ne peut en être question car on voit très bien où ces plateformes veulent en venir. D'un produit d'appel pour les contrats, ce pourrait aboutir demain à un contournement de la loi Leroux sur les réseaux de soins. En fonction de l'évolution des choses, nous pourrons être amenés à conseiller aux médecins de ne pas participer à ce type de téléconsultation ou télé expertise. Pour l'instant, nous n'avons pas de référentiels dans chaque spécialité en téléconsultation et avec Olivier Göeau Brissonnière, le président de la Fédération des spécialités médicale, nous allons demander une plus grande participation des CMP (conseils nationaux professionnels) dans ce domaine particulier.  Je pense que la téléconsultation ne nous redonnera pas plus... de temps pour le soin, mais elle peut désenclaver certains territoires. Il faudrait créer une dynamique dans le cadre d'un territoire permettant à l'ensemble de médecins, généralistes et spécialistes, d'utiliser la téléconsultation pour prendre en charge leur population. S'ils ont des difficultés, les médecins autour du territoire les aideraient dans cette prise en charge, dans un mouvement circulaire. Le cercle s'élargirait petit à petit, en fonction des besoins. La convention médicale a créé différents niveaux de consultation. Il faut aller encore plus loin et hiérarchiser les consultations car les médecins spécialistes n'apportent pas le même niveau de plus-value à tous les actes. Aller encore plus loin ne veut pas dire complexifier, comme aujourd'hui, la cotation des consultations. Même moi, j'ai eu du mal à m'y retrouver au début. Mais je comprends aussi qu'il faille sécuriser les deniers de l'Etat, et bien structurer les consultations complexes. Au sein de l'Umespe, une commission travaille sur ce sujet. Les spécialistes sont-ils toujours aussi réticents vis-à-vis de l'évolution des métiers, et le partage des tâches avec les infirmières notamment ? L'évolution des métiers, de tous les métiers est inéluctable. Je pense que pour casser les réticences des médecins vis-à-vis de la délégation de tâche, il faut un lien de subordination, c’est-à-dire ce que si je dois déléguer, ce sera vers une infirmière salariée. C'est ce que je défends, sinon, tout le monde va se braquer et on n'arrivera pas à faire évoluer les métiers. Mais je note que les mentalités évoluent, on réfléchit, il y a encore des craintes, des peurs d'un impact financier notamment. Mais l'évolution des métiers doit être globale, elle doit se réfléchir aussi dans le cadre des CMP. Je pense que nous allons évoluer, beaucoup plus rapidement qu'on ne le pense. Quelle sera la finalité de cette journée ? Nous allons présenter fin décembre notre projet politique, qui sera soumis au comité directeur le dimanche 4 décembre. Nous proposons une mutation profonde, qui doit être acceptée par toutes les spécialités, qui doit aussi être portée par la médecine générale, et par l'ensemble des professionnels de santé et notamment du secteur public. Nous devons mener une réflexion sur le statut du médecin, dans sa globalité. Les ordonnances Debré ont 60 ans, nous devons adapter nos propositions à la médecine de demain et aux plus jeunes. Cela peut bousculer. Dans notre projet politique je parle aussi de continuité et permanence des soins, sur le plan collectif. 

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