L’organisation des soins dans les territoires est le grand enjeu des prochaines années pour le système de santé : c’est la conviction du directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), Nicolas Revel. Pour faciliter la conduite des expérimentations sur le terrain, l’Assurance maladie plaide pour la création d’un dispositif national, avec un cadre juridique, une gouvernance et un outil de financement spécifiques.
Lire l'interview exclusive d'Agnès Buzyn : "Il ne faut pas tout miser sur l'installation d'un médecin par village" Pourquoi la diffusion des innovations organisationnelles semble-t-elle si difficile dans le domaine de la santé ? Nicolas Revel : En termes d’organisation du système de soins et de modalités de prise en charge des patients, il existe en France une réelle capacité d’innovation. Les acteurs de terrain sont porteurs d’initiatives nombreuses, très diverses et souvent intéressantes. Il faut saluer sur ce point le travail des agences régionales de santé, qui soutiennent nombre de ces projets grâce au fonds d’investissement régional (FIR). Pourtant, on constate que ces innovations peinent à se diffuser plus largement, alors même qu’elles sont potentiellement porteuses de bénéfices pour les patients. Le retard de déploiement de la télémédecine illustre malheureusement bien ce constat. Autant les innovations thérapeutiques liées aux nouveaux médicaments se diffusent très rapidement, autant les innovations organisationnelles sont aujourd’hui trop bridées. Il y a, à mon sens, deux facteurs principaux qui peuvent expliquer ces difficultés. Le premier est que, par nature, l’innovation organisationnelle impose souvent d’aller au-delà des règles existantes, qu’elles soient tarifaires, réglementaires ou professionnelles. Or il n’existe aucun dispositif pérenne permettant d’encadrer ce type d’innovations. Les capacités d’innovation des acteurs en sont d’autant limitées. Le second est que nous n’avons aucun dispositif structuré permettant d’accompagner les innovations au long de leur cycle de vie. C’est pourtant un prérequis indispensable à toute diffusion. Comment diffuser des innovations si l’on n’a pas d’outils budgétaires, réglementaires ou d’évaluation pour le faire ? La situation actuelle est trop éclatée et insuffisamment lisible pour y arriver. Quels seraient l’objectif et les moyens du dispositif national d’appui aux innovations organisationnelles proposés par la Cnamts ? L’objectif principal de ce dispositif est de faire en sorte que les innovations organisationnelles puissent bénéficier au plus grand nombre, le plus rapidement possible, dès lors qu’elles font preuve d’un réel bénéfice dans l’intérêt des patients ou de la collectivité. L’innovation ne doit plus être un état d’exception que l’on gère au cas par cas, mais une modalité normale d’évolution et d’amélioration de notre système de santé. Il faut bien comprendre qu’un tel dispositif ne peut se concevoir comme une approche bureaucratique descendante, cela ne peut fonctionner que dans un cadre partenarial impliquant l’ensemble des acteurs où chacun – usagers, professionnels, administrations, agences – a son rôle à jouer, aussi bien au niveau national que régional ou local. Plus concrètement, le dispositif proposé doit disposer des moyens d’agir. Nous en avons identifié quatre : une capacité de financement, sous la forme d’un fonds dédié national, qui vient en complément du fonds d’intervention régional (FIR) et qui ne s’y substitue pas ; un cadre juridique pour l’innovation permettant d’accélérer les projets et de sécuriser les acteurs ; une capacité d’évaluation à la hauteur des enjeux, indispensable pour s’assurer de l’intérêt réel des innovations ; et enfin un dispositif d’appui permettant d’accompagner les acteurs tant dans le cadre de projets pilotes que lors de leur diffusion. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de projets éligibles à ce dispositif ? L’expérimentation de nouveaux modes de paiement, comme la mise en place d’un forfait au parcours pour la chirurgie de la hanche constitue une voie naturelle à explorer ; car ce forfait encourage une coordination renforcée entre professionnels de santé aux différentes étapes de la prise en charge du patient, mais également la prévention des complications. Dans un tout autre registre, il serait intéressant d’explorer également les possibilités de prises en charge déportées au domicile d’un patient grâce aux objets connectés. Ce ne sont que deux exemples, et le champ des possibles est vaste. Considérez-vous que l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) bénéficiant aux centres et maisons de santé s’inscrive dans cette démarche de diffusion des innovations ? La logique première de cet accord consiste à encourager l’exercice regroupé au sein des structures existantes (centres ou maisons de santé) et ce afin de favoriser notamment une meilleure coordination entre professionnels de santé, essentielle dans la prise en charge de patients de plus en plus complexes. C’est important et justifie pleinement l’investissement supplémentaire de 10 millions par an que nous y consacrons. Cette coordination accrue va également exiger des innovations organisationnelles, comme le dossier médical partagé. Le DMP constitue un outil adapté au service de cette coordination renforcée dont nous nous attachons aujourd’hui à favoriser le déploiement, par voie conventionnelle comme nous venons de le faire avec les pharmaciens. Le ministère de la Santé a présenté un plan d’accès aux soins pour lutter contre les déserts médicaux. Comment la Cnamts va-t-elle contribuer à la mise en oeuvre de ce plan ? C’est un sujet qui soucie naturellement les pouvoirs publics, mais aussi d’autres acteurs, comme les municipalités, et évidemment les professionnels de santé eux-mêmes. Nous avons contribué à la réflexion et participé à l’élaboration de ce plan. Nous le savons tous, il n’existe pas de baguette magique ; ce n’est qu’au travers d’un ensemble de mesures que nous serons en capacité d’atténuer la tension qui va durer encore ces prochaines années. La situation est cependant différente selon que l’on parle des médecins généralistes ou des médecins spécialistes ; concernant les généralistes, nous allons être confrontés dans les dix prochaines années à une baisse du nombre de praticiens en exercice avant que leur nombre ne remonte. Quant aux spécialistes, si le nombre total est et va rester globalement satisfaisant, on observe des inégalités d’accès selon les territoires, dans la mesure où ces médecins tendent à se concentrer dans les grands centres urbains. Donc les réponses à apporter ne seront pas les mêmes. Dans tous les cas, c’est au travers d’un ensemble de mesures que nous pourrons alléger ces difficultés : via des aides financières à l’installation, aides nécessaires mais non suffisantes, en encourageant les consultations avancées et la délégation des tâches entre professionnels de santé ou via la télémédecine ou la téléexpertise, par exemple. Il va falloir être inventif ! De nouvelles mesures, notamment la création du dispositif national, sont-elles attendues dans le cadre du plan de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2018 ? La ministre de la Santé a déjà indiqué à plusieurs reprises être favorable à la mise en place de solutions accompagnant les innovations dans l’organisation de notre système de santé. Le PLFSS devrait donc contenir des mesures allant dans ce sens.
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