"Je ne suis pas un médecin qui tue, je raccourcis l'agonie"

05/10/2017 Par Sandy Berrebi-Bonin
Déontologie

De plus en plus de Français frappent aux portes de la Belgique et de la Suisse pour contourner la loi française sur la fin de vie. La question de l'aide à mourir vient de refaire surface avec l'euthanasie en Belgique de la romancière française Anne Bert atteinte de la Maladie de Charcot. Habitué à pratiquer des euthanasies, le Dr Yves de Locht, généraliste belge, revient pour Egora sur sa pratique. S'il ne se considère pas comme un militant, il estime que ce geste fait partie du dernier soin qu'un médecin peut apporter au malade.

  "J'ai 72 ans et je suis médecin généraliste depuis 40 ans. Je ne me suis jamais positionné contre l'euthanasie, mais pour le soulagement des douleurs, physiques et psychiques de mes patients. Avant la légalisation de l'aide active à mourir en Belgique en 2002, l'état de dégradation de mes patients me faisait de la peine. Il était de plus en plus difficile de calmer leurs douleurs, notamment psychiques et morales. J'ai décidé de suivre une formation sur les soins de fin de vie pour progresser dans ce domaine.  

Le médecin peut dire non. Ça m'est déjà arrivé.

  Je trouve que l'euthanasie est une bonne chose si l'on respecte les trois critères de la loi belge. Il faut d'abord une demande répétée, volontaire et consciente du patient. C'est la condition de base sans laquelle on ne peut rien faire. Personne d'autre ne peut faire cette demande à la place du patient. La famille ne peut pas non plus refuser. Deuxième condition : le patient doit être atteint d'une affection grave et incurable. Enfin, la troisième condition est que cette affection entraîne des souffrances physiques ou psychiques inapaisables. L'avis d'un deuxième voire parfois d'un troisième médecin est nécessaire pour envisager l'euthanasie. Nous avons une clause de conscience. Le médecin peut dire non. Ça m'est déjà arrivé. On reçoit parfois des demandes farfelues ou d'autres qui ne sont pas en accord avec la loi belge. Il m'est également arrivé de refuser pour une raison plus personnelle. Je ne me sentais pas apte à le faire. En cas de refus la loi nous demande de transmettre le dossier à un autre médecin. En pratique, c'est d'abord le médecin qui doit aller chercher les produits à la pharmacie. Personne ne peut y aller à sa place. En général lorsqu'on arrive chez le patient, les familles se sont souvent réunies. Il y a beaucoup de vie malgré ce qui va se passer. Ils ont souvent mangé et bu ensemble. Je demande toujours au patient, même 30 secondes avant l'injection, s'il n'a pas changé d'avis. C'est le rituel. Puis la famille s'installe autour du patient. On lui dit au revoir et en deux minutes s'est fini. Pour l'instant personne n'a jamais changé d'avis. C'est une question qui a été longuement réfléchie en amont.  

Emotionnellement, ça n'est jamais très facile à gérer.

  Après avoir pratiqué une euthanasie, je sais que je peux me détendre dans mon milieu familial. Je suis bien entouré. Cela permet de garder un certain recul. Je vais aussi me balader. Emotionnellement, ça n'est jamais très facile à gérer.  Je ne reprends mes activités que le lendemain. On n'est pas seul. Cela s'organise à deux ou trois médecins. Cela nous permet d'en parler. On se retrouve après pour exprimer nos difficultés et ce que l'on ressent. La formation que j'ai suivie m'a aussi permis de mieux appréhender ce problème. J'ai pris la décision de pratiquer moins d'euthanasies qu'avant. Je n'en fais plus que trois ou quatre par an. C'est vrai que c'est dur mais en même temps ça se passe toujours avec une très grande sérénité. Malgré la tristesse du départ, nous avons des remerciements des familles. C'est émouvant mais c'est beaucoup moins difficile que des situations que j'ai vécu avant la loi. Les patients étaient dans des états épouvantables pendant des mois. C'était affreux. On ne raccourcit pas leur vie en faisant une euthanasie, on raccourcit simplement leur agonie. Le départ est plus facile. C'est un geste d'humanité. C'est ce que je réponds aux médecins qui sont contre ce que je fais. Je leur dis également qu'il faut essayer de se mettre à la place des patients.  

Je ne suis pas un militant. Je suis avant tout un médecin.

  Enfin, je réponds aussi à mes détracteurs que je ne suis pas un médecin qui tue mais qui accompagne le patient, à sa demande, dans le dernier soin. C'est un contrat de confiance entre le patient et moi. Ils me demandent "Si vraiment je n'en peux plus, est-ce que je pourrais compter sur vous ?". Les patients sont déjà malades depuis longtemps. Ils ont essayé tous les traitements. Ils sont rassurés de savoir qu'il y a cette possibilité. Il y en a même à qui cela fait du bien. Une fois la demande acceptée, ils vont mieux, ils reprennent leur traitement. Je n'ai jamais eu l'impression de tuer quelqu'un mais bien de donner un dernier soin. Il y a beaucoup de patients français qui viennent en Belgique parce que ça n'est pas autorisé chez vous. Mais on ne peut pas soutenir ce rythme. Les hôpitaux belges leurs ferment de plus en plus leurs portes. Il y a eu trop de demandes. D'autant qu'elles ne rentrent pas toutes dans les critères de la loi. Les patients doivent avoir un médecin en Belgique, le consulter régulièrement. Ça ne se décide pas sur un coup de tête. Je ne suis pas un militant. Je suis avant tout un médecin. Toutefois, je suis d'accord avec les revendications de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), je pense que la France devrait avoir une loi équivalente à celle de la Belgique. C'est utile. D'autant que c'est une loi qui n'oblige personne à la suivre. Chacun est libre.  

Un sentiment de devoir accompli

  Je ne saurais pas dire combien de patients j'ai déjà aidé à partir. Je n'ai pas fait de comptes. En revanche je garde dans des livres personnels les témoignages qui m'ont fortement touché. Il y a les témoignages de mes patients et les remerciements des familles. Parfois j'y ajoute des notes personnelles sur mon ressenti. De temps en temps je les relis. Ça me marque beaucoup. Je n'ai aucun regret de ce que j'ai fait ni aucun sentiment de culpabilité. Lorsque le patient part en souriant et en disant merci, tout le monde est ému évidemment mais il y a un sentiment de devoir accompli.

Le Premier Ministre se dit "très prudent" sur une possible avancée de la loi vers le droit à l'euthanasie

Interrogé par Libération sur la romancière Anne Bert, euthanasiée en Belgique lundi à 59 ans pour contourner l'interdiction française, le chef du gouvernement dit "respecter son choix" car "il faut être sérieusement modeste face à la mort". "J'ai toujours dit que, sur ces sujets, il est difficile d'avoir une réponse générale", a répondu Edouard Philippe quant à une éventuelle ouverture de la loi française à l'euthanasie.

"Le droit français, en la matière, avance en faisant très attention à l'expression d'un consensus. Jean Leonetti l'a réussi avec beaucoup de talent. Des gens pensent qu'il faudrait aller plus loin ; je suis très prudent", ajoute le chef du gouvernement.

La loi française autorise depuis 2016, avec la loi Claeys-Leonetti, la "sédation profonde et continue" jusqu'au décès.

   

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