Par quels mécanismes biologiques, génétiques et épigénétiques une cellule normale de l’organisme devient-elle la cellule à l’origine du processus de cancérogénèse ? Le comprendre est « absolument primordial car les enjeux et les perspectives sont considérables en matière de prévention, de diagnostic très précoce, avant même l’apparition des signes cliniques de la maladie, mais aussi de prise en charge thérapeutique pour nos patientes », résume le Pr Alain Puisieux, directeur du Centre de recherche de l’Institut Curie, qui compte plus de 35 équipes travaillant sur l’origine des cancers. « On parle des toutes premières mutations et des tous premiers événements qui se produisent au cours du développement d’un cancer qui peut prendre, dans le cas du cancer du sein, plusieurs années avant de pouvoir être diagnostiqué. Si on est capable d’identifier ces tous premiers événements, on parle déjà de prévention, mais on peut aussi commencer à réfléchir à la démarche d’interception », s’enthousiasme-t-il. Exploration aux stades les plus précoces Tout l’enjeu est donc de développer des approches qui permettent d’interférer avec le processus de développement des cancers dès les phases initiales. D’autant que « ces tous premiers événements sont en fait des éléments déterminants pour l’évolution et l’agressivité à venir de la tumeur », ajoute le Pr Puisieux. Explorer la plasticité des cellules à des stades très précoces, « regarder à quel moment le désordre apparait dans les tissus et va pouvoir donner naissance à un cancer », c’est le travail de la Dre Céline Vallot, directrice de recherche au CNRS et membre de l’équipe Dynamique de la plasticité épigénétique dans le cancer à l’Institut Curie. Elle planche sur le rôle de l’épigénétique dans l’apparition du cancer du sein triple négatif - l’un des plus complexes à traiter et qui représente 15 % des cancers du sein. « Il s’agit d’établir les caractéristiques non pas de la séquence d’ADN elle-même mais des modifications autour de cette séquence qui influencent l’expression des gènes, explique la Dre Vallot. Pour y
parvenir, nous scrutons les cellules tumorales de la glande mammaire sous le prisme du « single cell » - ou analyse en cellule unique. Grâce à cette méthodologie d’une précision extrême, nous identifions aux stades les plus précoces les profils épigénétiques responsables de leur plasticité, à savoir leur transformation de cellules saines en cellules cancéreuses. In fine, certaines modifications épigénétiques pourraient nous permettre de développer de nouveaux outils diagnostiques ou d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pertinentes pour le traitement du cancer du sein triple négatif. » Et stopper le cancer au plus tôt. De nouvelles voies thérapeutiques Autre voie d’approche : les défauts de réparations des mutations de la cellule, dont les plus dangereuse sont les cassures affectant les deux brins de l’ADN. Pour réparer son ADN, la cellule fait appel à la recombinaison homologue qui consiste à utiliser une copie identique de la séquence endommagée pour copier l’information manquante. « Près de la moitié des cancers du sein sont caractérisés par un défaut de ce système de réparation », rapporte le Pr Puisieux. L’équipe de Dr Raphaël Ceccaldi, chargé de recherche à l’Inserm et membre de l’équipe de l’Institut Curie Mécanismes alternatifs de réparation de l’ADN dans les cancers, a découvert un mécanisme de réparation de ces altérations double brin jusque-là inconnu, impliquant la protéine Pol Tetha, une polymérase capable d’agir pendant la division cellulaire. Une révolution puisque le dogme était que la réparation de l’ADN était impossible au cours de la mitose. Les travaux ont été publiés dans la revue Nature et cette piste offre un potentiel thérapeutique notamment pour les cancers du sein triple négatif qui n’ont pas de système normal de réparation et sont totalement dépendantes de ce système Pol Tetha pour leur survie. « Interférer avec ce système alternatif de réparation provoque la mort de ces cellules », schématise le Pr Puisieux. D’autres travaux de recherche sont en cours à l’Institut Curie et les résultats sur le cancer du sein sont tout aussi prometteurs. « En agissant sur les systèmes de réparation de l’ADN, en agissant sur la plasticité cellulaire, nous savons que nous pouvons développer des démarches d’interception pour essayer de bloquer le développement d’un cancer », résume le Pr Puisieux. Avec à la clé de nouvelles voies d’approche par rapport à la chimiothérapie conventionnelle, qui bloque seulement la multiplication cellulaire, « car on est en train de s’attaquer aux capacités d’adaptation des cellules cancéreuses », conclut-il.
Le cancer du sein en chiffres :
61 214 cas de cancer du sein en 2023, soit le tiers des cancers
féminins
Taux de survie : 88 % à 5 ans
17 % des cancers du sein sont attribuables à la consommation
d’alcool
5 à 10 % des cancers du sein sont d’origine héréditaire
Sources : INCa, Panorama des cancers en France, édition 2023 ; Institut Curie
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