Troubles des conduites alimentaires : une multiplication des cas sévères

07/04/2021 Par Marie Ruelleux-Dagorne
Nutrition Psychiatrie

Stress, angoisse et solitude liés à la crise sanitaire et aux différents confinements ont entraîné une augmentation des troubles des conduites alimentaires dans la population, au point de provoquer une augmentation importante des demandes d’hospitalisation sur l’ensemble du territoire, et la saturation de ces filières de soins. Le Pr Nathalie Godart, pédopsychiatre, Fédération santé des étudiants de France/ Université Versailles Saint-Quentin (FSEF/UVSQ) et présidente de la Fédération française anorexie boulimie (FFAB), fait le point sur la situation.

 

Egora : Comment expliquer cette nette augmentation des demandes d’hospitalisations en lien avec les troubles des conduites alimentaires (TCA) sur l’ensemble du territoire ?  

Pr Nathalie Godart : Il faut tout d’abord bien préciser que cette filière de soins était déjà saturée avant même la situation sanitaire actuelle. C’est la raison pour laquelle nous avons sollicité des moyens pour structurer et augmenter cette filière auprès de la DGOS et des autorités de tutelles*. L’arrivée du premier confinement a ensuite eu deux effets majeurs. D’une part, les gens sont restés sidérés chez eux et tous les types de soins qui n'étaient pas en lien avec le Covid-19 ont été paralysés avec la peur des patients d'aller consulter mais aussi une offre de soins qui a diminué. D’autre part, confinement et Covid ont représentés une source de stress majeur et on sait très bien qu’alimentation et stress ont un lien très étroit ! Par conséquent, il y a eu une augmentation des TCA dans la population avec une incapacité à consulter à court terme, ce qui fait que les situations se sont aggravées de façon très importante et qu’au fil des mois, les patients sont arrivés dans les services de soins dans des états beaucoup plus graves qu’habituellement. Nous sommes donc confrontés aujourd’hui à un double phénomène : l'aggravation des situations et l'augmentation du nombre de ces situations.  

 

Une population est-elle plus à risque de TCA qu’une autre ?  

Les TCA concernent à la fois les enfants, les adolescents mais aussi les adultes et il en existe de différentes natures. On pense très souvent à l'anorexie mentale mais la boulimie et l’’hyperphagie boulimique sont elles aussi très fréquentes. La boulimie se...

manifeste par des crises d’ingestion de nourriture associées à des stratégies de contrôle de poids qui peuvent être particulièrement dangereuses (vomissements, hyperactivité, prise de médicaments..). Quant à l’hyperphagie boulimique, les mêmes crises d’ingestion sont observées mais sans stratégie de contrôle de poids cette fois-ci. Il y a dans ce dernier cas une prise de poids importante et rapide. Lors du premier confinement, les personnes souffrant de boulimie ont été confrontées à la possibilité de manger sans rythme et sans contrôle, ce qui a été extrêmement compliqué et douloureux pour elles. A l’inverse, les personnes souffrant de troubles restrictifs qui ont été privées d'activité physique en raison du confinement, ont quant à elles installé des restrictions extrêmement importantes.  

 

Quelle est la place du médecin généraliste dans la prise en charge des patients atteints de TCA ?  

Le médecin généraliste a un double rôle à jouer en matière de TCA. Il est au premier rang pour repérer et identifier ces patients car il est interpellé pour toutes les raisons de santé. Les TCA ne sont jamais le motif de consultation initial. Certains indices physiques permettent de cerner de grandes catégories de TCA. Une absence de prise de poids chez un enfant en pleine croissance ou une perte de poids observée chez un adolescent doivent alerter le praticien. Au même titre qu’une prise de poids très importante et soudaine. Mais la boulimie pose plus de 

difficultés car elle ne se voit pas sur le plan physique. Investiguer l'alimentation quand il y a une souffrance psychique est un point crucial car on sait que les TCA sont liés à l'anxiété et à la dépression. Le second rôle des médecins généralistes- pédiatres et médecins scolaires- s’inscrit dans le suivi des TCA, c'est à dire qu'ils ne doivent pas hésiter à interpeller des équipes spécialisées et travailler en partenariat avec eux. La FFAB peut leur offrir une forme de guidance à ce niveau-là.  

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L’impact du confinement aurait-il des effets durables sur les personnes souffrant de TCA ?  

Les TCA durent en général plusieurs mois au minimum voire plusieurs années. Une prise en charge précoce est le meilleur moyen d’endiguer le problème. Notre inquiétude actuelle est donc de laisser certaines situations se chroniciser par manque de soins ou retard de prise en charge. Une fois de plus, les médecins généralistes peuvent jouer un rôle crucial en termes de repérage, dépistage et suivi de ces patients.  

 

*A la suite du travail conjoint entre la FFAB et la DGOS, un premier soutien à la filière TCA a été mis en place ! Comme l'atteste la dernière circulaire budgétaire, une somme de 3 millions d'euros a été versée aux ARS (Agences régionales de Santé) :  

http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2020/04/cir_44962.pdf 

 

Le Pr Godart déclare n’avoir aucun lien d’intérêts. 

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