Egora : D'où vient cette "crise des pilules" ? Dr Mireille Le Guen : Les potentiels effets secondaires négatifs des contraceptifs oraux sur la santé des femmes ont été mis en lumière fin 2012 par un événement, fondateur en ce qu’il a été largement médiatisé : une jeune femme avait à l’époque déposé une plainte contre un laboratoire pharmaceutique à la suite d’un accident vasculaire cérébral, qu’elle imputait à la prise d’une pilule estroprogestative de 3ème génération. Ces risques thrombo-emboliques, qui étaient connus depuis 1995, ont provoqué une crise à l’origine d’une modification des conditions d’accès de ce qui reste des médicaments, les pilules, et le déremboursement des pilules de 3ème génération qui avait été décidé avant la “crise“, en septembre 2012, alors confirmé. Au-delà des recommandations des différentes Autorités de Santé pour la prescription et la surveillance, les femmes, largement informées des effets néfastes des pilules, se sont “autodétournées“ des pilules contraceptives, au profit du préservatif et surtout des dispositifs intra-utérins (DIU). Pourquoi s’intéresser au mode de prescription ? Parce que le prescripteur propose une contraception en fonction de ses croyances, de sa formation, de ce qu’il connaît de leur mode d’emploi, de leurs précautions d’emploi et du mode de pose (pour le DIU ou l’implant). A l’aise avec la pose, il est plus enclin à proposer un DIU notamment… Autant de critères qui modifient subtilement la prescription. Par ailleurs, certains spécialistes sont à l’évidence moins accessibles, géographiquement ou financièrement (en raison de dépassements d’honoraires). Pour répondre à la question de l’évolution de la “qualité“ des prescripteurs de la contraception, médecins généralistes, gynécologues ou sages-femmes (habilitées depuis 2009), nous nous sommes donc appuyés sur les données de trois enquêtes transversales : Fecond 2010 et Fecond 2013 d’une part, le Baromètre santé 2016 d’autre part (le dernier en date à traiter des pratiques contraceptives). Quels changements pour les méthodes médicales réversibles de contraception ? Entre 2010 et 2013, on note un moindre recours à la pilule des femmes concernées par la contraception et utilisant une contraception médicale réversible : de 66,5 % à 59,2 %, une désaffection qui se poursuit en 2016 (54,1 %). Cette baisse est compensée par une augmentation du recours à l'implant (3,7 % en 2010, 6,3 % en 2016) et au DIU (27,9 % en 2010 et 38,2 % en 2016). A noter que la hausse du recours au DIU est marquée parmi les femmes de milieux plus privilégiés, probablement parce que ces femmes ont un meilleur accès aux gynécologues, davantage formés à la pose du DIU et donc plus à-même de le proposer à leurs patientes. Il se pourrait également que, face à des professionnels encore réticents à prescrire le DIU à des femmes nullipares, et ce malgré les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), elles aient été plus armées pour remettre en cause l’autorité du professionnel, et imposer le contraceptif de leur choix, ici le DIU. Ainsi, à la suite de la crise des pilules, on assiste à une recomposition des inégalités sociales d'accès aux méthodes de contraception en France : les femmes de milieux populaires, du fait de leur moindre accès aux gynécologues, semblent avoir été exclues de l'accès au DIU. Et quels "nouveaux" prescripteurs ? Les femmes ont de manière générale eu moins recours à leur médecin généraliste, et davantage à un gynécologue entre 2010 et 2013, les chiffres restant stables entre 2013 et 2016. Ainsi, 84,7 % des utilisatrices de DIU en 2010 se l’étaient fait poser par un gynécologue, 91,6 % en 2013. Il apparaît également que cette crise a conduit à des changements de pratiques prescriptives de la part des professionnels de santé, puisque l'évolution du recours au prescripteur ne permet pas d'expliquer à elle seule les changements de pratiques contraceptives chez les femmes. En d'autres termes, les gynécologues ont davantage prescrit le DIU à leurs patientes en post-crise. En 2016, le recours à tel ou tel prescripteur est différentié selon l’âge (les plus jeunes font davantage appel aux médecins généralistes ou aux sages-femmes) et de la position sociale des femmes: les plus privilégiées ont plus souvent recours à un gynécologue pour la prescription de leur contraception, alors que celles de milieux populaires s'adressent plus volontiers à leur généraliste. Enfin, les consultations de sages-femmes pour la prescription de contraceptifs étaient plus fréquentes pour les femmes ayant déjà des enfants et pour celles qui n’avaient pas de complémentaire santé. Le Dr Le Guen déclare n’avoir aucun lien d’intérêts
En 2016, 71,8 % des femmes concernées par la contraception recourent à une méthode médicalisée : pilule, DIU, implant, patch, anneau, injection, stérilisation tubaire ou vasectomie du conjoint. La pilule reste la méthode plus utilisée en 2016 (par 36,5 % des femmes concernées par la contraception), avec des disparités selon l’âge (59,5 % pour les 20-24 ans, 47,8 % chez les 25-39 ans et 29,4 % des 30-44 ans). Le recours au DIU, qui était de à 1,6 % chez les femmes de 20-24 ans en 2010, atteint un niveau de 4,7 % en 2016. Cette méthode reste toutefois davantage utilisée par les femmes plus âgées, et ayant des enfants : elle détrône la pilule à partir de 35 ans. Enfin, si la désaffection vis-à-vis des pilules ne concerne pas les 15-19 ans, les femmes ont adopté en fonction de leur âge différentes stratégies de report : implant et préservatif pour les 20-24 ans, DIU ensuite ou préservatif encore (un contraceptif lié à l’acte sexuel non dénué de failles).
*Selon le Baromètre santé 2016
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