Ce fléchage des installations qui fait fantasmer vos élus

15/11/2017 Par Catherine le Borgne
Démographie médicale

Un syndicat de masseurs-kinésithérapeutes vient de signer avec l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) un nouvel avenant à leur convention qui durcit encore plus le mécanisme de régulation à l'installation dans les zones de sur-densité médicale, en place depuis 2012. Basé sur le principe d'une entrée pour une sortie, ce mécanisme fait fantasmer tous les élus qui ne supportent plus la liberté d'installation des médecins.

  Pharmacien à Eauze (Gers), maire de la ville et par ailleurs conseiller départemental, le Dr Michel Gabas savoure le buzz que sa lettre ouverte au Premier ministre a suscité dans les médias. Une lettre où il accusait Edouard Philippe de mener une politique basée "sur la télémédecine, les maisons de santé et la liberté d'installation" à côté de la plaque, et bien loin des enjeux de santé publique liés à la désertification médicale. "Pour les pharmaciens, ce qui se passe pour la démographie médicale est d'autant plus choquant que depuis 1945, nous avons un numerus clausus à l'installation. Et nous en avons un aussi pour l'entrée en fac. Cette régulation a été imposée depuis plus de dix ans aux infirmières et elles en sont satisfaites, et elle concerne aussi les kinés. Mais pour les médecins, toujours rien !", s'indigne l'élu.  

"On verse des sommes phénoménales aux médecins pour qu'ils acceptent de s'installer"

  Une régulation à l’installation, il en rêve le pharmacien du pays du Tariquet (le vin blanc qui se boit bien frais). Car ce qu'il ne supporte pas -et il s'en est ouvert au Premier ministre -  c'est que les gouvernements n'osent toujours pas demander aux médecins ce qu'ils ont imposé à d'autres professions de santé "par peur des syndicats médicaux" alors que, "comme pour la pharmacie, leurs études longues ont été payées par l'Etat. Mais on ne leur demande aucune contrepartie. C'est pourtant une mission régalienne de fournir à chaque Français une égalité devant le soin, quel que soit l'endroit où il se trouve", insiste-t-il. "Aux médecins, on propose de verser des sommes phénoménales pour qu'ils acceptent de s'installer dans les zones de désertification médicale, on leur construit de maisons pluriprofessionnelles financées par la région, le département, la Sécu…, mais on ne propose rien aux pharmaciens, rien aux chirurgiens-dentistes." Il raconte sa propre histoire d'élu dépité :  à Eauze (4 200 habitants, 3 MG contre 7 il y a 8 ans), les médecins, tous étranger, dont les CV lui ont été proposés par deux cabinets de recrutement, ont tous fait "éhontément monter les enchères". Ils ont demandé appartement, voiture, secrétaire payée par la mairie, travail pour le conjoint, local avec infirmière et plusieurs années de loyers gratuits…" La situation est aberrante", lâche le pharmacien qui propose, lui, cinq mois de loyer gratuits dans la maison médicale en cours de construction.

 

"Le lobbying, toujours..."

  Excédé, il rappelle que, l'an dernier, la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale avait adopté à l'unanimité un amendement présenté par une députée socialiste, préconisant le non conventionnement des médecins s'installant dans les zones de sur-densité médicale, et un "sur-conventionnement" pour les autres dans les régions en déficit démographique. "Mais Marisol Touraine l'a retoqué. C'était trois mois avant les élections. Le lobbying, toujours..." Au Sénat, tout comme l'Association des maires de France, la commission d'Aménagement du territoire promeut sans faillir, depuis plusieurs années, la mise en place pour les médecins d'un mécanisme de régulation des installations, copié sur le modèle des kinés. Ces derniers expérimentent un modèle de filtrage au conventionnement dans les zones de forte démographie, depuis 2012. Cette profession a connu un accroissement de 37 % de ses effectifs entre 2006 et 2016 (ils sont actuellement 63 727) mais, comme pour les médecins (ou jadis les infirmières, avant la convention de régulation), ils sont très mal répartis. Ce qui donne lieu, sur le terrain, à des situations de pénurie ou d'excès. Alors on s'en doute, notre pharmacien gersois a été bien content d'apprendre que les kinésithérapeutes viennent tout juste de signer un avenant N° 5 à leur convention, qui durcit encore plus les conditions d'installation dans les zones sur-dotées en professionnels. Selon le texte qui vient d'être conclu après d'âpres négociations entre l'Union nationale des syndicats de masseurs-kinésithérapeutes libéraux (UNSMKL, structure représentative mais minoritaire dans la profession) et l'assurance maladie, un mécanisme de régulation incitatif ou autoritaire selon les zones sera mis en place, en contrepartie d'une série de revalorisations prévues pour s'échelonner entre juillet 2018 et juillet 2021. Elle ne prévoit rien sur les lettres clefs, mais bonifiera la rémunération de bilans et certains types de prise en charge spécifiques. L'incitation positive à l'installation dans les zones déficitaires se concrétisera par trois nouveaux types de contrats : l'aide à l'installation, d'un montant de 34 000 euros à versement échelonné, est soumis à la promesse d'exercer au moins 5 ans dans la zone ; l'aide à la création de cabinet (ou reprise) est soumis aux mêmes conditions et se monte à 49 000 euros, en versements échelonnés. Enfin, l'aide au maintien est d'une durée de 3 ans non renouvelable. D'un montant de 3 000 euros par an, elle sera versée à un professionnel déjà installé dans la zone déficitaire, et qui promet de rester trois ans de plus.  

"Comment voulez-vous qu'on s'en sorte s'il n'y a pas de prescriptions?"

  Mais et c'est là toute la différence avec les médecins, l'avenant comporte également un dispositif autoritaire de régulation, qui doit entrer en vigueur à la date d'application des premières revalorisations et basé sur le principe du "1 pour 1" : le conventionnement en zone sur-dotée ne pourra être accordé à un kiné qu'à la condition qu'un autre professionnel ait mis fin à son activité dans la même zone. Des possibilités de dérogation sont prévues, pour prendre en compte les contraintes de vies des professionnels, le cas d'offre insuffisante pour certains soins spécifiques (comme par exemple, la réhabilitation respiratoire), ou quand le départ d'un professionnel mettrait en péril l'équilibre du cabinet. Pour l'assurance maladie, ces différents dispositifs représentent un investissement de 225 millions d'euros; en comptant l'effort des mutuelles, cela représente 286 millions d'euros de plus pour les seuls honoraires, "soit plus de 5,7 % de hausse sur 4 ans", signale l'Uncam. "Nous ne contestons pas le déficit d'offre de soins dans certains territoires, mais nous ne travaillons que sur prescriptions médicales. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte s'il n'y a pas de prescripteurs ?", maugrée Ludwig Serre, de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes (FFMKR) et de son antenne parisienne, le SMKRP. Son syndicat – majoritaire en voix – n'a pas voulu signer cet avenant, qui met en place à ses yeux "un partenariat qui n'a plus rien de paritaire, un salariat déguisé". Ainsi, explique-t-il, lorsqu'un kiné postulera pour une dérogation d'installation en zone sur-dotée et prendra place dans la file d'attente, le dernier mot reviendra au directeur de l'assurance maladie, dont la voix sera décisionnaire. Idem pour les risques de sortie de certains contrats en zone sous-dotée si le kiné ne compte plus, au moins, 50 % de ses patients résidant dans la zone déficitaire. "On ne choisit pas ses patients", résume Ludwig Serre. Même punition, même motif pour toutes les situations pouvant induire un déconventionnement, où l'avis des caisses demeurera prépondérant.

 

"On soigne des patients alités par fax!"

  La FFMKR a écrit un communiqué commun avec Alizé, syndicat de masseurs-kinés très influent mais non représentatif, pour expliquer les motivations de leur refus de cet accord "majoritairement rejeté par la profession. C'est une petite minorité qui a choisi de signer après consultation interne : ils sont 400 sur 3000, pour une population de près de 70 000 kinés", relève Ludwig Serre, qui veut jouer la montre. Son syndicat demande maintenant à Agnès Buzyn un moratoire sur la mise en place de cet avenant, qui n'a pas encore été analysé par l'Ordre, et qui n'a pas encore été paraphé par la tutelle. Notre pharmacien d'Eauze, lui, aime aussi les solutions autoritaires, par exemple une minoration des honoraires médicaux en zone sur-denses, et une majoration en zones de pénurie. Mais la convention des kinés, il prend. Et tant pis si ça grince car Michel Gabas en a plus qu'assez. "Il faut tout repenser, on ne peut pas continuer à laisser s'installer les gens là où ils veulent, dès lors que les études ont été financées par l'Etat et que celui-ci doit bien y retrouver son compte", répète-t-il.  Il faut dire que ce qu'on vit à Eauze n'est pas très enviable : par deux fois, des patients qu'il connait, après avoir téléphoné au 15 pour des soins de médecine générale, ont été "rebalancés" sur une plateforme à Toulouse où, après interrogatoire, l'interlocuteur a faxé l'ordonnance directement à la pharmacie de garde. "Maintenant, on soigne des patients alités par fax ! Il y a une telle raréfaction de médecins qu'on en arrive à tolérer des systèmes comme cela. On marche sur la tête", tempête le pharmacien.

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