"Ça fait longtemps qu’on annonce l’effondrement du système, là on y est, signale le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML), le ton grave. Depuis plusieurs semaines en effet, les fermetures de services d’urgences – pour la plupart partielles – s’enchaînent, comme un cercle infernal. Chaque jour, elles font la une des quotidiens locaux. Les journaux télévisés relaient les nouvelles avec systématiquement les mêmes images : des services dépassés, des personnels soignants épuisés et une population désemparée. Mi-mai, d’après une liste établie par l'association Samu-Urgences de France, plus d’une centaine d'établissements avaient été contraints de limiter l’activité de leurs urgences en raison d’un manque de personnels : médecins urgentistes, mais aussi infirmières ou encore aides-soignantes. Les hôpitaux de Laval, Remiremont, Valence ou encore Manosque ont opté pour une fermeture partielle pour faire face à leurs difficultés. Certains ont aussi choisi de réguler l’accès à leurs urgences. C’est le cas notamment du CH d’Avranches-Granville ou de l’hôpital de Montluçon. Les centres hospitaliers universitaires n’échappent pas à ce "naufrage". À Bordeaux, les urgences du CHU ne sont désormais accessibles qu’aux cas les plus graves la nuit. De 20 heures à 8 heures du matin, seuls les patients orientés au préalable par le 15 peuvent ainsi y être admis. Une décision prise en concertation avec l’ARS compte tenu de la pénurie d’urgentistes et de paramédicaux, mais aussi de la fermeture de lits d’aval. Beaucoup "sont partis à cause des conditions trop difficiles de travail", a expliqué avec regrets le Pr Philippe Revel, chef des urgences de l’hôpital Pellegrin, à BFMTV.
Les services d’urgences des hôpitaux privés et cliniques, eux, "fonctionnent normalement, à quelques exceptions près", indiquait Lamine Gharbi, président de la FHP, contacté mi-mai par Egora. Ce mardi 31 mai, les urgences de la Polyclinique de Gentilly à Nancy ont fermé leurs portes pour trois jours. À Bordeaux, avec la fermeture des urgences du CHU la nuit, les cliniques privées sont elles aussi en tension, rapporte le quotidien Sud-Ouest. Même situation à la clinique Oréliance à Saran, saturée par l’afflux de patients depuis que le CHR d’Orléans a restreint l’accès aux urgences. Lamine Gharbi l’assure toutefois : le secteur privé est "prêt à prendre en charge un possible afflux de patients", qui n’a pour l’heure pas encore été observé partout. Il appelle le Samu à "avoir le réflexe de solliciter le service d’urgences le plus proche, quel que soit son statut". "Nous avons près de 130 services d’urgences répartis dans tout le territoire qui accueillent chaque année environ trois millions de patients. Nous pouvons doubler ce volume", a-t-il affirmé.
L’inquiétude se fait cependant ressentir à l’approche de la période estivale, durant laquelle le manque de praticiens sera d’autant plus important et l’afflux de touristes plus conséquent. Alors que les principaux concernés prédisent un été catastrophique, le Président de la République a annoncé ce mardi, lors d’un déplacement au CH de Cherbourg (Manche), avoir missionné le Pr François Braun, président du Samu-Urgences de France, pour remettre "au plus tard le 1er juillet" un rapport sur la crise des urgences. Ce rapport "aura vocation à expliquer, territoire par territoire, là où sont les manques [en particulier de personnels, NDLR], de pouvoir les chiffrer", a détaillé le chef de l’Etat. Une fois le diagnostic établi, le Gouvernement se basera sur le rapport pour prendre des décisions en vue de "permettre de mobiliser davantage de médecins, retrouver de l'attractivité dans certains secteurs [...]. Ceci à partir de la fin de l'été sera décliné dans chaque territoire", a-t-il ajouté. Le Président a également fait part de son souhait d’enclencher "une vraie révolution collective" du système de santé. En effet, si l’épidémie de Covid-19 a exacerbé la crise de l’hôpital, et en particulier des urgences, celle-ci a débuté il y a plusieurs années. En 2019, avant que le pays ne soit mis sous cloche, les mobilisations et grèves des personnels étaient quasi-quotidiennes. Cette vague avait débuté en mars avec la grève des urgences de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) après cinq agressions. Chacun y allait déjà de son remède pour soulager les urgences en ébullition… Jusqu’à l’émergence du Pacte de refondation des urgences. Cela n’a de toute évidence pas suffi à redresser le navire. Alors que l’été dernier, les urgences montraient déjà des signes d’alerte, cette fois, il ne semble plus s’agir d’une crise estivale. "La ville résiste mieux, mais à quel prix ?" Si tous les regards sont donc de nouveau posés sur l’hôpital, c’est tout le système de santé qui est aujourd’hui en péril, tiennent à rappeler les syndicats de médecins libéraux. "La crise démographique touche tous les secteurs", alerte le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. "C’est parce que tous les blocs du système de santé vont mal que tout s’effondre", abonde le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S. "Pour l’instant nous, médecins libéraux, résistons mieux, mais à quel prix ?, s’interroge pour sa part le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, qui ne cache pas son inquiétude. Pour l’heure, l’impact de la fermeture des urgences sur la médecine de ville apparaît néanmoins relativement faible...
"On a pu réorienter nos patients vers d’autres structures qui comportent un service d’accueil des urgences, notamment la clinique Oréliance à Saran et l’hôpital de Blois, à 30 kilomètres de notre commune, avec cependant quelques difficultés à la clinique Oréliance qui s’est vite retrouvée saturée par l’afflux de patients", explique le Dr Stéphane Chenuet, généraliste installé en maison de santé pluriprofessionnelle avec cinq autres confrères à Meung-sur-Loire, une commune de 6.500 habitants située à proximité d’Orléans, où l’hôpital est sous tension depuis plusieurs mois. Dans la cité de Jeanne d’Arc, les urgences "réelles" sont toujours acceptées, indique le praticien, coprésident de la CPTS Ouest Loiret. "Pour les cas qui nécessitent vraiment un passage par les urgences, un appel à la régulation du Samu permet l’accueil des patients, mais ça nécessite une démarche active de notre part : il faut contacter le 15 avant de faire admettre un patient, là où habituellement on faisait un courrier et on adressait directement le malade", illustre le Dr Chenuet, selon qui la fermeture partielle des urgences "a quand même eu l’avantage de remettre l’église au milieu du village en évitant les passages spontanés de patients pour des urgences qui n’en sont pas". Outre ces démarches additionnelles pour faire admettre ses patients aux urgences, le généraliste n’a pas observé pour l’heure de lourds changements dans sa pratique quotidienne. "Mais c’est relativement difficile à évaluer car on est dans une période calme [sur le plan épidémique], nuance-t-il. Il est certain qu’une grève [des urgences] comme celle que l’on connaît actuellement en pleine période hivernale ou en pleine épidémie de Covid se serait ressentie de manière beaucoup plus prégnante pour les généralistes du secteur." Le Dr Battistoni explique l’impact relatif des fermetures des urgences sur la ville par le fait que "ces fermetures se font souvent la nuit, alors que l’activité médicale est maximale dans la journée". Il ajoute qu’"en termes de volume d’activité, il n’y a en fait pas plus d’un patient sur 100 qu’on voit qui est hospitalisé". "C’est vrai que vont souvent aux urgences des patients qui devraient se rendre en médecine de ville, mais même si on les répartit en ville, ce n’est pas énorme. C’est toute la problématique du Service d’accès aux soins (SAS) : là où il fonctionne, on constate que le volume d’activité supplémentaire demandé aux médecins généralistes est très faible." Le Dr Luc Duquesnel soulève néanmoins un autre problème que rencontrent actuellement certains médecins généralistes : celui du transport de leurs patients à l’hôpital. "On déclenche des ambulances mais au lieu d’hospitaliser les patients dans l’hôpital qui est à 3 kilomètres de chez eux, on les déplace vers d’autres hôpitaux dans le département voire hors du département, donc on mobilise les ambulances sur des temps très longs. Lorsqu’on a un autre transport à faire, on n’a plus d’ambulances et on est contraints de déclencher les sapeurs-pompiers."
"On est prêts à se noyer et on nous met la tête sous l’eau" En ville, on appréhende cependant la période estivale. Car le report sur le monde libéral s’annonce de plus en plus "difficile" à absorber. "C’est une période durant laquelle nous sommes encore plus fragilisés par nos problèmes de médecine générale", avance le président des Généralistes-CSMF. Car les difficultés pour trouver des remplaçants ne semblent pas s’être atténuées, déplore-t-il. "On espérait que la situation s’améliore. L’an dernier, on nous disait que les remplaçants étaient tous dans les centres de vaccination. Dorénavant, il n’y a plus de centres, mais on ne les voit pas revenir." "On est prêts à se noyer et on a l’impression qu’on nous met la tête sous l’eau", fustige le médecin généraliste de Mayenne, qui apparaît extrêmement préoccupé pour l’avenir : "Ça va être dramatique cet été, parce que l’an dernier on a fermé des Smur, mais cette année on va en fermer encore plus. Il y a certains endroits du territoire où il va falloir éviter d’avoir un accident de voiture ou de faire un infarctus." Alors que la nouvelle ministre de la Santé doit rencontrer les acteurs de la santé et qu’une grande conférence sur cette thématique a été annoncée à partir de juillet, le syndicaliste se montre sceptique : "On nous parle d’une grande conférence de la santé, mais au moment des conclusions de la grand-messe, l’été sera passé. Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas une prise de conscience politique !" Le Dr Duquesnel l’assure : "les premières victimes seront les Français" et "les conditions d’exercice [des libéraux] vont encore se dégrader." La colère est partagée par le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, qui doit rencontrer Brigitte Bourguignon le 9 juin prochain. "La santé, c’est comme un verre rempli à ras bord. La moindre chose le fait déborder : une pénurie de soignants aux urgences, une canicule, une vague de Covid, la variole du singe qui augmenterait. Si vous avez tout à la fois, là c’est catastrophique. Ce que l’on craint tous, c’est cela. Je ne sais pas comment on va pouvoir s’en sortir." Le généraliste de Fronton ajoute : "Ils [Emmanuel Macron et Brigitte Bourguignon] en sont encore à visiter des services comme s’ils voulaient se rendre compte de ce qu’il se passe ! Mais ils habitent où ces gens ?" "On est déjà à plus de 50 heures et on veut encore nous charger la barque ?" La colère est d’autant plus forte que l’une des solutions qui circulent pour garantir la continuité des soins est l’obligation de garde pour les médecins libéraux. Une mesure largement défendue...
d’ailleurs par le président de la Fédération hospitalière de France, mais qui selon le Dr Luc Duquesnel n’est qu’un "écran de fumée fait pour qu’on ne voit pas le naufrage des services d’urgences". "Si on jouait au même jeu que Frédéric Valletoux, on demanderait à l’État d’interdire la fermeture des services d’urgences. C’est surréaliste !", dénonce-t-il. Le représentant syndical assure en effet que "96% du territoire est couvert par la garde de médecins généralistes les week-ends et jours fériés". De 20h à minuit, ce taux est de "95%". "On a gagné 6% par rapport à 2020. Cela veut dire qu’alors que le nombre de médecins généralistes diminue, la couverture du territoire national est excellente et s’est même améliorée en soirée", tient-il à rappeler, se basant sur un rapport de l’Ordre. Pour le Dr Devulder, ce genre de proposition risque "de trouver un écho dans la population", démunie, et d’augmenter la défiance envers les médecins. Le Dr Chenuet doute par ailleurs de la nécessité de rétablir une telle obligation."On fait déjà des gardes le samedi après-midi de 12h à 20h et le dimanche de 8h à 20h à tour de rôle sur le secteur. Il n’y a plus de garde après 20h mais soit la pathologie est relativement bénigne et peut tout à fait attendre le lendemain matin, soit il s’agit d’une pathologie plus sévère qui doit être régulée par le 15 et qui sera prise en charge par les services d’urgences."
Ce dernier soulève d’autres "effets pervers" de la mesure. Le généraliste de Meung-sur-Loire craint qu’elle n’affecte un peu plus l’attractivité du métier. "On a des semaines à 65 heures de travail, avec la possibilité d’atteindre 80 heures lorsque l’on fait des gardes, et on enchaîne avec une autre semaine de 65 heures sans jour de repos. On a déjà des médecins en burn-out sur le secteur, ça ne ferait qu’amplifier le phénomène et serait contre-productif", affirme-t-il. En effet, "les effectifs ne sont pas suffisants pour prendre un repos compensateur après une nuit de garde", et il existe un risque de "ne pas être en état de bien prendre en charge les patients". "Aujourd’hui, le vrai problème c’est qu’on travaille avec la peur au ventre parce qu’on n’est pas assez nombreux, qu’on galope en permanence et qu’on a peur d’oublier quelque chose qui pourrait altérer un patient", souligne le Dr Jérôme Marty qui dénonce par ailleurs l’hypocrisie d’une telle "solution" car les agences régionales de santé suppriment des lignes de gardes dans certains territoires. "A Metz, il y avait 45 généralistes dans le tour de garde qui s’occupaient de la nuit profonde, mais l’ARS a décidé pour faire des économies de supprimer cette garde. Résultat, on est passé de 45 généralistes à 24 sur le tour de garde. 21 ont abandonné la PDSa", illustre le Dr Duquesnel. "L’injonction faite aux médecins généralistes de 'reprendre' les gardes reflète l’ignorance des besoins réels : quelle couverture est nécessaire en nuit profonde, alors que plusieurs ARS ont stoppé ce financement faute d’activité", écrit également MG France dans un communiqué diffusé mardi 31 mai. Le syndicat estime que "l’absence de régulation de notre système de santé est à l’origine de ses dysfonctionnements". Le généraliste de Mayenne prévient : si l'obligation de garde passe – ce qui paraît peu probable selon lui, "cela risque de créer une animosité sur le terrain. C’est de nature à enclencher une grève nationale." "Paradoxalement, les plus grands ennemis du système, c’est nous-mêmes, admet le Dr Marty. Puisqu’on est résilients, éthiques, là où fait habituellement le boulot à 5, on le fait à 4 parce qu’il en manque 1, puis un de moins, et ainsi de suite. On masque la catastrophe en faisant cela." L’heure n’est plus à boucher les trous. "Il faut qu’on rentre dans le quoi qu’il en coûte pour la santé car il y a 10 millions de choses à faire", implore le Dr Marty. Or pour l’heure, "aucune solution immédiate" n’est mise sur la table. "Les hôpitaux ne proposent pas d’autres solutions que le report sur la ville", déplore le Dr Duquesnel. "Mais on est déjà à plus de 50 heures et on va encore nous charger la barque ?" A l’heure où l’on observe impuissant les départs de praticiens, "cela devient difficile d’être médecin généraliste libéral aujourd’hui", conclut-il.
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