Petites recettes et grands remèdes pour sauver la médecine libérale

23/02/2022 Par Louise Claereboudt
Bien que largement mobilisée depuis deux ans dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19, la médecine de ville fait face à de nombreuses difficultés : perte d’attractivité, démographie en berne, conditions d’exercice dégradées, déserts médicaux… À deux mois de l’élection présidentielle, chacun y va de sa mesure pour redresser le navire, sans toutefois convaincre l’ensemble des acteurs. Invités le 8 février par les Contrepoints de la Santé, le Dr Jean-Ortiz, la députée LREM Stéphanie Rist et l’auteure Dominique Polton ont tâché d’imaginer quel pourrait être l’avenir de la médecine libérale afin d’éviter le délitement du système de santé.

Les soins de proximité sont malades. C’est désormais un diagnostic largement établi par les professionnels de santé libéraux, la population française, mais aussi les élus locaux, qui, à deux mois de l’élection présidentielle, tentent d’alerter les candidats sur les difficultés majeures d’accès aux soins. Face à un hôpital en souffrance, la médecine libérale n’est en effet pas épargnée : nombre de praticiens en exercice en chute libre, perte d’attractivité, rémunération parmi les plus basses d’Europe, manque de coordination… "La médecine de ville est en train de se déliter", a alerté le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), lors d’une conférence sur l’avenir de la médecine libérale organisée par les Contrepoints de la santé, le 8 février. À la fatigue des médecins libéraux – souvent désarmés devant ces difficultés du quotidien qui s’amoncellent – s’est ajouté la colère face aux multiples propositions politiques visant à restreindre leur liberté d’installation. Une solution avancée par des parlementaires à gauche comme à droite de l’échiquier pour endiguer les déserts médicaux, qui ne devraient pas se résorber de sitôt. "Ce n’est qu’en 2030 qu’on aura retrouvé le niveau de médecins que l’on a aujourd’hui", expliquait en effet Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam), en décembre dernier lors d’un colloque organisé par MG France. L’Assurance maladie évaluait à ce moment-là le nombre de Français sans médecin traitant à 6 millions, dont 10% souffrent d’une affection de longue durée. Aux difficultés pour trouver un médecin traitant, s’ajoutent également des délais qui s’allongent pour "avoir un rendez-vous chez un médecin spécialiste", a soulevé le Dr Jean-Paul Ortiz, néphrologue de profession. La médecine générale apparaît également concernée. D’après un sondage BVA présenté lors des Contrepoints de la santé, 37% des Français déclarent rencontrer des difficultés pour prendre rendez-vous chez leur généraliste (en hausse de 7 points par rapport à l’année dernière), et 52% pour les spécialistes (+11 points par rapport à l’année dernière).

Le résultat, selon le Dr Ortiz, de la restriction du nombre d’étudiants en médecine via le numerus clausus durant des décennies - et qui a laissé place à un numerus apertus depuis la rentrée 2021. "À l’époque, on a diminué le nombre de médecins en pensant que si on diminuait le nombre de prescripteurs, ça irait mieux pour les comptes de la Sécurité sociale. Erreur funeste. Aujourd’hui, on le paie cher", a déploré le président de la CSMF, qui pointe par ailleurs un âge d’installation de plus en plus tardif, "38 ans désormais". Pour attirer de jeunes médecins sur leur territoire, de nombreux maires ont opté pour le salariat, au détriment de la médecine libérale, qui attire de moins en moins les jeunes diplômés. Et dans certains départements, comme la Saône-et-Loire où 70 médecins ont été recrutés en quatre ans à 35 heures, cela semble porter ses fruits, a observé Dominique Polton, présidente du conseil scientifique à l’École des hautes études en santé publique. Pour le Dr Ortiz, "la surcharge de travail des médecins libéraux et leur engagement sur le terrain ne sont pas de nature à attirer les jeunes générations." La nouvelle génération, très féminine, aspire à une autre vie que ses prédécesseurs. "Il faut comprendre que nous avons une population médicale qui change. Il faut que le système s’adapte", a estimé Dominique Polton. "Avant le médecin était dans une logique de sacerdoce vis-à-vis de son métier. Aujourd’hui, les jeunes médecins veulent concilier leur vie personnelle et vie professionnelle. Ça se respecte, et il faut le gérer", a abondé le Dr Jean-Paul Ortiz. Pour la députée La République en marche (LREM) du Loiret, Stéphanie Rist, la médecine de ville se trouve désormais à un "véritable tournant", après deux années de crise sanitaire sans précédent qui ont mis sur le devant de la scène les difficultés qui engrenaient le système. La médecine libérale doit aujourd’hui se transformer pour répondre aux besoins de la population et aux attentes des professionnels. En effet, a soulevé la députée, les effets de la fin du numerus clausus ("+19% d’étudiants en médecine en 2021") ne seront visibles qu’à long terme. Des mesures à court et moyen sont plus que nécessaires. Mais comment engager cette mutation ?   "On fait faire la course aux médecins en leur mettant des chaussures de plomb" Alors que "l’expérience internationale montre que le levier financier seul ne suffit pas", notamment les incitations à l’installation, Dominique Polton a jugé l’exercice en équipe particulièrement "porteur", même si la France est "un pays où, traditionnellement, les médecins libéraux ont travaillé de façon très isolée". Un avis partagé par le président de la CSMF : "Il faut absolument que l’environnement professionnel du médecin se renforce. En Allemagne, trois professionnels et demi entourent le médecin. En France, on est à moins d’un demi-temps plein en moyenne par médecin", a-t-il déploré. Pourtant, "on ne peut pas dire que les choses ne bougent pas", a nuancé Dominique Polton, citant entre autres le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), des assistants médicaux ou encore des infirmières en pratique avancée. Mais "tout ça pourrait sans doute aller plus vite", a-t-elle reconnu. "Les assistants médicaux se mettent place, mais trop lentement pour dégager du temps médical et lutter contre ces dérives bureaucratiques qui empoisonnent le médecin", a expliqué le Dr Ortiz, qui a appelé à simplifier les critères d’attribution. En janvier, 2.600 contrats d’assistant médical avaient été signés, permettant à 450.000 Français de bénéficier d’un médecin traitant, indiquait la Cnam à Egora. Encore loin de l’objectif des 4.000 contrats signés à l’horizon 2022 fixé par le Président de la République Par simplifier les critères d’attribution, le syndicaliste entend relâcher la pression qui pèse sur les médecins libéraux : "Vous êtes un médecin surchargé, on vous propose de prendre un assistant et on vous dit : ‘Attention, vous allez être obligé d’augmenter votre patientèle ou le nombre de patients vus de 10, 15, 20 voire 30%’. Comment voulez-vous que le médecin réagisse ? Il ne se rend pas compte qu’il va y arriver grâce à l’assistant médical. Sa première réaction va être de dire : ‘attendez, moi je ne peux pas travailler plus’." "On fait faire la course en mettant des chaussures de plomb, comment voulez-vous que les gens s’y engagent." "Si on veut changer les choses, il manque la confiance de l’Assurance maladie vis-à-vis du corps médical", a-t-il maintenu. "Ne lui mettez pas des objectifs qu’il ressent comme inatteignables. Il va les atteindre, mais donnez-lui les moyens d’avoir un assistant médical et, au bout de trois ans faites le point."   "Le médecin doit rester au cœur de la prise en charge" Pour Stéphanie Rist, à moyen terme, il faut également mettre en place "des mesures qui touchent aux compétences des professionnels de santé", notamment développer les infirmières en pratique avancée (IPA).  Mais celles-ci sont "essentiellement centrées sur les structures hospitalières", a constaté le Dr Ortiz, ajoutant que "le modèle de demain, c’est d’avoir des IPA dans les cabinets médicaux qui peuvent être soit libérales soit salariées d’une équipe médicale regroupée". La députée de la majorité veut aller plus loin à ce sujet. La rhumatologue de profession a suggéré de permettre l’accès direct aux IPA et "la primo-prescription pour ces mêmes infirmières". "Je suis contre l’obligation à l’installation car je pense qu’elle serait inefficace dans notre pays, mais l’obligation d’accélérer vers le partage des tâches se justifie", a-t-elle fait valoir. Face à cette proposition, Dominique Polton s’est voulue prudente : "Il faut faire attention à ne pas faire de choses contradictoires. Je pense qu’il y a un sujet avec l’accès direct, mais il faut le penser toujours dans la perspective d’équipe. Sinon, on recrée des silos les uns à côté des autres et on a plein de professionnels qui travaillent isolément et se concurrencent. Cela a éventuellement du sens dans une équipe de soins."

Le Dr Ortiz a lui aussi tiré la sonnette d’alarme : "Il va falloir structurer notre système de santé autour du regroupement et de la coordination", mais ce n’est pas à l’Assemblée nationale de décider quelle compétence sera transférée à quel professionnel. Le président de la CSMF a ainsi appelé à l’organisation d’une conférence de consensus entre toutes les professions de santé, via leurs syndicats représentatifs : "On se donne six mois, on réfléchit à comment structurer les parcours." Mais "le médecin doit rester au cœur de la prise en charge du patient", a-t-il prévenu.   "Si on était il y a 20 ans, j’aurais été d’accord avec Monsieur Ortiz pour dire ‘prenons le temps d’échanger de discuter, donnons-nous trois ans pour voir ce que cela donne’, mais on n’a plus ce temps-là", a réagi Stéphanie Rist pour qui "l’impatience des élus reflète la situation catastrophique dans certains territoires".   "Vous ne pouvez pas imposer un modèle unique partout et pour tout" Cette dernière a appelé à "pousser" les médecins libéraux à intégrer des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). "Je crois en la qualité de celles-ci, d’une part sur la qualité de prise en charge et sur la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Je ne dis pas que tout est parfait. Mais, en tout cas, toute ma région qui est la plus faible en démographie a trouvé l’utilité de ces CPTS. Je crois vraiment qu’il faut que 100% du territoire français soit couvert par ces CPTS." La députée a expliqué que ces organisations étaient des "endroits" propices pour discuter des rôles de chacun. S’il faut appuyer ces dynamiques professionnelles, celles-ci "n’existent pas partout", a cependant soulevé Dominique Polton. "Là où elles n’existent pas, il faut aussi faire quelque chose." Le Dr Ortiz a ajouté que ces modèles d’organisation et de coordination territoriaux, bien qu’"extrêmement intéressants", sont encore trop "orientés médecine générale". Outre les CPTS, il a plaidé pour le développement des équipes de soins spécialisées et des équipes de soins primaires, "avec les financements nécessaires". "Vous ne pouvez pas imposer un modèle unique partout et pour tout", a-t-il en effet estimé. "Il faut multiplier les outils, il n’y a pas de solutions uniques, la mesure qui va nous permettre de régler le problème de l’accès aux soins partout." Si aucune solution miracle n’apparaît donc, le Dr Ortiz en est convaincu : "la médecine de proximité de demain sera une médecine forcément regroupée et multisites". "Il est indispensable que demain nous assumions cette responsabilité territoriale vis-à-vis de la population, à condition d’être plusieurs à l’assumer, d’exercer dans plusieurs endroits accompagnés par les collectivités locales", a-t-il déclaré, déplorant que des collectivités territoriales salarient des médecins au lieu d’accompagner les libéraux dans la transformation de leurs pratiques. Ce changement de paradigme devra forcément s’associer de discussions sur le financement, a indiqué Stéphanie Rist. "À partir du moment où il y a des infirmières en pratique avancée avec accès direct, par exemple, les généralistes vont faire un travail différent et devront avoir des consultations réaugmentées. Cela voudra dire aussi qu’ils accepteront d’être en coopération, d’avoir une responsabilité territoriale."    

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