Hervé Maurey, le président (Union centriste) de la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, juge que le plan d'accès aux soins est insuffisant face aux enjeux de la désertification. Faisant le pari d'une dégradation de la situation démographique d'ici trois ou cinq ans, il plaide pour un conventionnement sélectif des médecins en zones sur dotées et une réforme des études médicales.
Egora : Vous avez fait part de votre déception concernant le contenu du plan d'accès aux soins qui vient d'être présenté par le gouvernement. Pour vous, il n'est pas à la hauteur des enjeux alors que devant la dégradation de la situation, il aurait fallu faire prévaloir l'intérêt des populations et des territoires, ignorer les lobbies syndicaux et passer à des mesures plus contraignantes. Hervé Maurey : Au Sénat, nous travaillons sur le sujet de la démographie médicale depuis un certain nombre d'années. Aujourd'hui, on voit bien que la situation de l'accès dans les territoires et plus seulement dans les territoires ruraux est de plus en plus problématique. Et on voit bien aussi que toutes les mesures qui sont mises en place depuis le gouvernement Juppé, toutes basées sur des mesures incitatives, ne sont pas suffisantes, pas à la hauteur des enjeux. Le plan de Marisol Touraine a permis certaines créations de postes, a donné certains résultats mais il est insuffisant, la preuve en est que la situation n'a fait que s'aggraver. Et aujourd'hui Mme Buzyn, pour laquelle j'ai beaucoup d'estime par ailleurs, est toujours dans la même logique, purement incitative, qui s'interdit de réguler et de contrarier les syndicats de médecins. Et donc dans son plan, mises à part quelques avancées notamment sur la télémédecine, où l'on note la volonté que les choses évoluent, il n'y a vraiment rien de nouveau. Vous insistez notamment sur deux points qui vous apparaissent nécessaires : la régulation de l'installation des jeunes médecins et la réforme des études de médecine. Nous sommes convaincus que tant que nous n'aurons pas une régulation à l'installation telle qu'elle existe ailleurs en aval et en France pour quelques professionnels de santé tels que les kinés, cela sera insuffisant. L'autre point, c'est la réforme de la formation. Il n'y a que très peu de choses dites, et en tout cas rien de concret dans le plan d'Agnès Buzyn. Aujourd'hui, on ne forme pas des futurs médecins, mais des futurs praticiens hospitaliers, c’est-à-dire que dès leur deuxième année de médecine, ils sont dans les hôpitaux. C'est vrai que pour les établissements, c'est formidable : quand vous avez des jeunes qui font des gardes de 24 heures pour 20 euros, c'est sensationnel pour le fonctionnement de l'hôpital qui n'arriverait pas à fonctionner sans cette main d'œuvre peu chère - et je dis cela pour être modéré dans mes propos. Le résultat, c'est que les jeunes ne connaissent que l'hôpital, ils ne sont pas du tout tournés vers la médecine de ville et encore moins vers la médecine de campagne. Or ces questions de la régulation et de la formation des jeunes sont tout à fait essentielles, mais elles ne sont pas du tout abordées par le plan de Mme Buzyn. Je l'avais rencontrée en juillet dernier et je ne suis donc pas surpris, j'avais compris qu'elle ne souhaitait pas heurter les médecins. Face à la rédaction d'Egora, en vidéo, la ministre a au contraire fait un vibrant plaidoyer pour la médecine générale. Agnès Buzyn s'est engagée à ce que de nombreuses dispositions soient mises en œuvre durant le quinquennat pour initier les futurs médecins à cette discipline dès le début de leurs études, et les inciter à la découvrir en stages précoces et la choisir plus tard. Peut- être dans le verbe, mais je ne vois pas grand-chose de concret dans son dispositif. S'agissant de la contrainte à l'installation, la ministre explique qu'un médecin qui a fait dix ans d'études et passé des concours très difficiles, ne s'installera pas dans une région sous la contrainte. Il se tournera vers autre chose, la médecine du travail ou l'industrie pharmaceutique. Que les choses soient claires. Ce que nous proposons au Sénat, ce n'est pas une mesure où on impose au praticien de s'installer à tel endroit. Ce que nous suggérons, c'est un système copié sur le modèle des kinés qui a eu des résultats positifs, à savoir que sauf s'il remplace un professionnel qui s'en va, le médecin voulant aller dans une région sur-dotée perdra le bénéfice du conventionnement. Cela s'est fait pour les kinés, et en trois ans, on a observé une augmentation du nombre de kinés en zones sous dotées et une diminution en zones sur dotées. Pourquoi ne tenterions-nous pas cela pour les médecins, sur une période donnée, à titre expérimental ? Cela marche en Allemagne et, en France, pour un certain nombre de professionnels de santé. Pourquoi ne le tenterait-on pas pour les médecins si ce n'est par peur du lobby des syndicats ? Je connais parfaitement les contraintes des futurs médecins, ma fille passe l'internat, je baigne dedans. Je ne reprends absolument pas les arguments de certains qui mettent en avant le fait qu'on leur paie leurs études de médecine… Certes, c'est l'Etat qui paie les études, mais il s'y retrouve largement au travers du travail fourni par les jeunes dans les hôpitaux, qui peut parfois s'assimiler à du bénévolat. Mais en revanche, je dis et j'assume un principe qui a été rappelé par la cour constitutionnelle d'Allemagne qui a statué sur le sujet, un principe supérieur à tous les autres qui s'appelle l'intérêt général. Aujourd'hui, l'intérêt général, c'est de remédier à la situation. Et Mme Buzyn sait bien que lorsqu'on met 18 mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, ce n'est même plus la peine d'aller voir un spécialiste. Je pense qu'aujourd'hui, il y a des causes de mortalité qui ont pour origine, ces délais pour accéder aux soins. Le jour où on aura un drame sanitaire avéré, on légifèrera dans l'urgence, dans la précipitation et sous la pression médiatique, voilà la situation. Je prends le pari que le plan de Mme Buzyn sera insuffisant et que dans trois ou cinq ans, mis à part pour une amélioration sur quelques points, la situation se sera encore détériorée. Cela restera totalement insuffisant. Quelles sont aujourd'hui, les instances qui épousent votre point de vue et revendiquent une contrainte à l'installation ? J'ai pu observer que la Fédération hospitalière de France est sur une position très proche, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. Les associations d'élus, comme les représentants des petites villes de France, sont aussi sur cette ligne. Il y a de plus en plus de personnes qui prennent conscience de cette situation. Je me souviens que nous avons organisé il y a un peu plus d'un an, une table ronde au Sénat et que même les représentants des médecins reconnaissaient que les mesures incitatives étaient insuffisantes, ils en faisaient le constat après 25 ans de politique incitative qui ont donné les résultats que l'on connait. On observe une aggravation. Et malheureusement, ce que propose Mme Buzyn, c'est la même démarche. On va faire des maisons de santé : c'est formidable, mais il ne suffit pas d'en faire pour avoir des médecins dedans ! Tout le monde le sait ! J'ai vraiment l'impression que dans le plan de Mme Buzyn, il n'y a rien de nouveau. Je ne vois pas en quoi il marcherait mieux que les autres et c'est bien dommage.
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