Audioprothésistes

"S'il y a trop de fraude, notre métier va disparaître" : pourquoi les audioprothésistes veulent réguler leur profession

Vieillissement de la population, déficit auditif, mise en place du 100% santé sur les audioprothèses, autorisation de la publicité… Le marché de l'audioprothèse est devenu une manne financière. Face à ce marché lucratif, les fraudes, sous diverses formes, se multiplient. Pour encadrer ce métier, prévenir l'exercice illégal et lutter contre les dérives, la quasi-unanimité de la profession plaide pour la création d'un Ordre des audioprothésistes.  

24/10/2024 Par Sandy Bonin
Audioprothésistes

21,3 millions d'euros, c'est le montant de la fraude constatée et donc évitée par l'Assurance maladie en 2023 sur le marché de l'audioprothèse. Une dizaine de sociétés ont été radiées et plus de 300 plaintes pénales ont été déposées par la Cnam à l'encontre d'audioprothésistes. Brice Jantzem, président du syndicat des audioprothésistes (SDA) revient pour Egora sur l'histoire du métier d'audioprothésistes et ses évolutions qui ont conduit aux dérives. "La profession a été pensée en 1967, comme un profession libérale", retrace-t-il. C'est à cette date que le diplôme d'audioprothésiste est créé. Pour autant, selon une première convention signée en 1992 avec l'Assurance maladie, les audioprothésistes ne sont pas reconnus comme professionnels de santé mais comme fournisseurs d'appareil médicaux.

"Le prix de nos honoraires est lié aux dispositifs, nous n'avons pas d'actes", explique-t-il. "Nous sommes un peu comme les kinés, nous avons la responsabilité du choix de la correction et du suivi", ajoute-t-il, tout en insistant sur l'importance du suivi des patients qui dure en moyenne 6 ans. Les professionnels n'ont donc pas le droit de délivrer un appareil sans prescription.

Depuis plus de 10 ans, la publicité est autorisée pour les audioprothèses, au même titre que pour l'optique ou les préservatifs. "La vision du métier change complétement et on rentre dans la marchandisation, avec des enseignes qui sont déjà référencées par l'Assurance maladie en optique et de ce fait ont le droit de facturer des aides auditives. La convention les y autorise sans qu'il y ait de contrôle de la présence d'un audioprothésiste", dénonce Brice Jantzem qui note donc que "progressivement des gens sont arrivés dans le métier sans diplôme, ce qui fait de l'exercice illégal". 

"Nous nous plaignons de ces éléments depuis des années, mais il y avait une volonté des pouvoirs publics de faire de la publicité pour promouvoir l'appareillage avec l'idée qu'un développement de la concurrence ferait baisser les prix", rembobine le président de la SDA. D'autant que ce concept n'a jamais fonctionné, la publicité coûtant cher à produire, les prix n'ont jamais baissé. 

"Les dérives ont commencé entre 2010 et 2020, principalement sur de l'exercice illégal", les audioprothésistes embauchaient un puis plusieurs assistants pour faire les tests audiométriques à leur place. Mais en 2019, la réforme du 100% Santé propulse les fraudes à un niveau supérieur. 

"C'est de la fraude massive et facile"

"Le 100% santé est un succès majeur, notamment sur les prothèses auditives. L'accès aux audioprothèses a énormément progressé entre 2019 et 2022, on est passé de 400 000 à près de 800 000 personnes appareillées. Les prix ont baissé de plus de 12%. Cette réussite coûte de l'argent et génère des flux financiers. On est passé de 180 millions d'euros de dépenses pour l'Assurance maladie en 2019 à en 420 millions en 2022. Mécaniquement, on voit apparaitre des phénomènes de fraudes. Nous l'estimons à plusieurs dizaines de millions d'euros", a confirmé le directeur de l'Assurance maladie Thomas Fatôme lors d'un point presse en juin dernier. 

Les patients ont alors été démarchés par téléphone pour se faire poser des appareils "gratuitement", simplement avec leur numéro de Sécurité sociale. "C'était de l'exercice illégal, les gens acceptaient puisque c'était gratuit puis les faux audioprothésistes disparaissaient dans la nature, sans suivi ou parfois même sans appareil", dénonce Brice Jantzem.  

"Les situations de fraudes sont assez diversifiées, comme l'exercice illégal de la profession d'audioprothésiste, l'absence de suivi, la facturation fictive, la délivrance de produit différent de celui facturé, ou encore de fausses ordonnances", étaye Thomas Fatôme. "De fil en aiguille, on a facturé à la Sécu sans même voir un patient", rapporte le président du SDA. Certaines sociétés proposaient même aux patients de venir avec leur carte de Sécurité sociale pour repartir avec un chèque. "Ils étaient facturé 1 900 euros [le tarif d'une paire d'aide auditive remboursée, NDLR] sur leur carte Vitale et repartaient avec 500 euros par exemple", se remémore Brice Jantzem. "C'est de la fraude massive et facile", ajoute-t-il soulignant "la grande imagination" des escrocs. 

"Nous dénonçons ces fraudes depuis longtemps et nous transmettons énormément de signalements à l'Assurance maladie. La fraude financière est surtout le problème de la Sécu. Nous notre vrai problème, c'est les gens qui se font avoir et l'image que cela donne de la profession. Quand un opticien délivre des appareils auditifs sans diplôme, c'est de la concurrence déloyale pour les audioprothésistes qui font bien leur boulot", pointe Brice Jantzem qui craint une image négative de la profession "si les gens ne sont pas satisfaits". 

Des amendements refusés

Le SDA plaide donc pour la création d'un Ordre des audioprothésistes pour veiller à ce que les patients soient suivis par des professionnels diplômés. "Nous voulons pouvoir identifier les professionnels, faire le suivi de la formation continue et mettre en place un code de déontologie", liste le président du SDA.

Une demande qui semble faire l'unanimité dans la profession, d'après le résultat d'un sondage réalisé 2022. "L'Ordre était arrivé en tête de leurs revendications", constate Brice Jantzem. "Nous ne voulons pas un Ordre pour avoir un Ordre, nous voulons du contrôle" appuie-t-il. "Si les ARS venaient contrôler régulièrement et que des inspecteurs des Agences venaient faire le tour des centres auditifs avant et au cours de l'installation, ça serait parfait et nous n'aurions pas besoin d'Ordre", nuance l'audioprothésiste qui rappelle que l'Assurance maladie ne contrôle que la conformité des feuilles de soin. "Ça n'est pas son rôle de vérifier l'exercice", ajoute-t-il.  

Sur ce sujet, la député Stéphanie Rist a déposé un amendement au plan de financement de la Sécurité sociale pour 2025 dans lequel l'Etat autoriserait pour "une durée de trois ans et à titre expérimental la régulation de l'installation par les Agences régionales de santé des activités ou sociétés d'audioprothèse". Il a été rejeté. 

La création d'un Ordre avait déjà fait l'objet d'un amendement au PLFSS pour 2024, mais il n'avait pas été retenu. "Il s'agissait d'un cavalier législatif car ça ne concernait pas le financement de la Sécurité sociale. Nous demandions aussi l'interdiction de la publicité parce que cela participe à la marchandisation des audioprothèses. Nous voulons bien faire connaître notre exercice avec la publicité de notoriété comme les professions de santé mais nous sommes contre la publicité sur les dispositifs médicaux. Cela fait croire que ce sont ces dispositifs qui font tout le boulot alors que c'est notre prestation qui est importante, au moins autant que l'appareil et probablement plus", explique Brice Jantzem. 

"Tout le monde y est favorable"

Dans le cadre du PLFSS pour 2025, une quinzaine d'amendements, la plupart pour encadrer la profession, réguler ou interdire la publicité ou limiter la fraude ont encore été déposés. Tous ont été rejetés. "Ces rejets s'expliquent par le fait que ces propositions ne sont pas liées directement au financement de la Sécurité sociale", explique Brice Jantzem, déçu mais peu surpris. "Ils ne comprennent pas que l'argent dépensé pour la publicité a pour but de générer des recettes et donc des dépenses pour la Sécurité sociale", regrette-t-il. 

Désormais, la seule option pour créer un Ordre est le dépôt d'une proposition de loi portée par le Gouvernement ou un groupe parlementaire. "Le problème est là. Tout le monde y est favorable, les autres Ordre de santé, nos adhérents, les ORL, les étudiants, mais nous avons besoin d'une volonté politique", note l'audioprothésiste. 

Sur la question de la création d'un Ordre, Jacques Guérin président du Comité de liaison des institutions ordinales (Clio), confirme qu'une majorité des Ordres, et notamment ceux de santé, se sont prononcés en faveur de la création d'un Ordre des audioprothésistes. Toutefois, cette position n'a pas fait l'unanimité, précise-t-il. "Certains sont plus réservés sur le fait de créer un Ordre supplémentaire", constate-t-il. "Ça n'est pas le fond qui a posé problème, c'est plus une question de principe, à savoir est-il nécessaire de créer un Ordre à chaque fois qu'une profession rencontre une difficulté, d'autant qu'il s'agit d'un petit effectif", pointe le président du Clio, qui s'est toutefois montré favorable à cette création "à titre personnel".  

 

Plus de 8 millions d'euros de fraude aux audioprothèses en Seine-Saint-Denis :

Lors d'une conférence de presse, tenue en juin dernier, Aurélie Combas-Richard, ex-directrice générale de l'Assurance Maladie de Seine-Saint-Denis, est revenue sur le combat de sa caisse contre la fraude aux audioprothèses : "Tout démarre fin 2022 avec des clignotants qui passent au rouge sur les audioprothèses. Nous avons d'abord reçu des signalements de la part de nos assurés. Puis nous avons eu un deuxième signal dans les contrôles de fraude classique où le sujet audioprothèse arrivait fortement. Nous avons monté un contrôle plus approfondi sur le sujet des audioprothèses, d'autant plus que tout de suite, nous avons vu deux sociétés d'audioprothèses arriver avec des atypies de facturation énormes. Ces deux entreprises étaient gérées par le même gérant. Elles cumulaient toute la planète de ce qui ne va pas. Elles avaient des grosses facturations très importantes, la moyenne d'âge des patients était de 24 ans. Toutes les prescriptions arrivaient du même centre de santé, ce qui est très rare voire impossible. Et les patients arrivaient de partout en France. 

Nous avons déposé plainte immédiatement contre ces deux entreprises qui ont aujourd'hui arrêté leurs activités. Elles sont en redressement judiciaire. Rien que sur ces deux sociétés, le préjudice est de 2,3 millions d'euros. Nous nous sommes dit que nous allions passer au stop toutes les factures d'audioprothèses qui nous arrivaient, c’est-à-dire faire des contrôles approfondis. Dans ces cas-là, on n'hésite pas à appeler les assurés pour savoir s'ils sont appareillés et avoir des détails. 

Depuis début janvier, nous avons arrêté 3,7 millions de demandes de remboursement de la part de société d'audioprothèses en Seine-Saint-Denis. Cela représente environ 361 sociétés qui ont été contrôlées de manière très approfondie. Lors de ces contrôles certaines entreprises reviennent souvent. Nous avons déposé 12 autres plaintes. 6 plaintes ne concernent pas que la Seine-Saint-Denis, mais ont des réseaux et des boutiques dans plusieurs départements. 

Avec ces résultats, nous nous sommes dit que nous avions tout intérêt à revenir en arrière et regarder la facturation de l'année 2022. Nous avons notifié à hauteur de 2,3 millions d'euros pour des facturations non conformes. Nous sommes donc arrivés sur un total de 8,3 millions d'euros pour les audioprothèses en Seine-Saint-Denis". 

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

7 commentaires
9 débatteurs en ligne9 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 28 jours
Que l'argent gratuit des autres suscite des convoitises et la tentation de la fraude, cela ne m'étonne guère. L'argent du pot commun est bien moins gardé et moins bien dépensé que lorsqu'il se trouve
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5,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 28 jours
Ayant atteint l'âge vénérable de 74 ans, je suis souvent la cible de démarcheurs en audioprothèses de la part de ces escrocs que je prend un malin plaisir à éconduire en répondant "Parlez plus fort, j
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14,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 28 jours
A mon avis la solution c'est surtout de reléguer la Sécurité Sociale à la seule prise en charge des maladies graves et des principaux actes de prévention, et de laisser tout le reste sous la responsab
 
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