Arrêts maladie, PDSA, fraude… Le plan de l'Assurance maladie pour faire 1,5 milliard d'euros d'économies
Dans son traditionnel rapport Charges et produits, dont Egora a pu consulter une version provisoire, l'Assurance maladie émet 30 propositions afin de dégager 1,56 milliard d'euros d'économies en 2025 en vue de résorber son déficit qui stagne autour des 11 milliards d'euros. Principales sources d'économies identifiées par la Caisse, la pertinence des soins et la lutte contre la fraude.
Ce document, dont Egora pu consulter une version provisoire, doit servir de base à l'élaboration du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, habituellement débattu à l'automne. Compte tenu des résultats des élections législatives, la préparation de ce projet de loi risque toutefois d'être perturbée. L'Assurance maladie a néanmoins souhaité maintenir sa contribution au débat public.
S'il s'est résorbé de façon significative en 2023, le déficit de l'Assurance maladie demeure élevé, à hauteur de 11,1 milliards d'euros, indique le rapport, dans sa première partie consacrée au "diagnostic". D'après les prévisions, il devrait s'établir à 11,4 milliards d'euros en 2024. Rien de comparable avec les "années Covid" – où il avait atteint 30,4 milliards d'euros en 2020 -, mais cette stabilisation autour des 11 milliards constitue un signal à ne pas ignorer. En outre, les prévisions montrent que "le solde de la branche maladie ne se résorbera pas spontanément sous l'effet des évolutions naturelles des recettes et des dépenses". Ainsi, l'Assurance maladie entend jouer son rôle en proposant des mesures économiques pour redresser ses comptes.
Dans son rapport Charges et produits, elle liste 30 propositions afin de garantir la soutenabilité du système de santé tout en répondant aux besoins de soins de la population, de plus en plus vieillissante. Elle élabore un plan d'économies de 1,56 milliard d'euros pour 2025. Plus que pour l'année précédente, où ces économies étaient de l'ordre de 1,3 milliard d'euros. 80 millions d'euros doivent être trouvés dans l'amélioration de la prise en charge des pathologies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, santé mentale…), 1 060 millions d'euros en améliorant l'efficience et la pertinence des soins et, enfin, 420 millions d'euros en renforçant les contrôles et la lutte contre les fraudes et les abus.
Parmi les propositions de l'Assurance maladie, nombreuses sont déjà ou vont être mises en œuvre au travers de la convention médicale, qui a été adoptée le 4 juin dernier, au terme de 18 mois d'intenses échanges entre les représentants des médecins et la Cnam. Celle-ci contient 15 programmes d'actions partagés qui reposent sur des engagements réciproques afin d'atteindre des objectifs communs de pertinence des soins, ainsi que quatre dispositifs d'intéressement permettant "un partage financier avec les médecins conventionnés des économies pour l'Assurance maladie".
Ralentir l'évolution des IJ en accompagnant les médecins
Chaque année, la maîtrise de l'évolution des indemnités journalières (IJ) fait partie du rapport Charges et produits. Ainsi, l'an dernier, l'Assurance maladie avait présenté une feuille de route pluriannuelle de gestion du risque en matière d'arrêt maladie à destination des prescripteurs, des assurés et des employeurs. D'après ce nouveau rapport, son déploiement en 2023 a permis "une décélération du rythme d'évolution des indemnités journalières".
Dans ce cadre, les médecins ont pu bénéficier d'un accompagnement "gradué", allant de la formation à de l'encadrement de prescriptions. 16 000 généralistes ont reçu la visite de délégués de l'Assurance maladie pour échanger sur les arrêts maladie, "dont plus de 3 000 dont les pratiques concernant le lien entre arrêt de travail et santé mentale semblaient atypiques". En outre, 416 médecins, dont les pratiques ont été jugées atypiques, ont été mis sous objectifs (MSO), et 201 ont fait l'objet d'une mise sous accord préalable, peut-on relever. Toutes ces actions ont généré un impact de 150 millions d'euros.
En 2023, l'Assurance maladie a aussi davantage contrôlé ses assurés. "Les arrêts de travail faisant suite à un accident du travail ou maladies professionnelles ont fait l'objet d'une attention particulière." Ces contrôles plus ciblés ont permis de "consolider un certain nombre d'arrêts", permettant de réaliser 40 millions d'euros d'économies. Enfin, les actions destinées aux entreprises ont dégagé 35 millions d'euros.
L'Assurance maladie souhaite poursuivre le travail engagé sur l'année 2024 et 2025. Elle rappelle d'abord l'engagement inscrit dans la convention médicale de ralentir l'évolution du nombre de jours d'arrêts maladie prescrits de 2% par an, ce qui devrait permettre de réaliser 205 millions d'euros en 2025. En parallèle, l'Assurance maladie entend "renforcer l'information mise à disposition de chaque médecin conventionné dans son exercice quotidien", mais aussi proposer à chaque médecin nouvellement installé sur un territoire un accompagnement "personnalisé et pédagogique". Elle propose, en outre, un service "SOS IJ", qui permettra aux médecins en difficulté, "bloqué", de saisir l'Assurance maladie sur "des situations complexes" d'arrêt maladie. Elle table sur un déploiement début 2025.
Un nouveau Cerfa papier pour les arrêts
Autre grand volet du rapport Charges et produits, le renforcement de la lutte contre la fraude, qui doit permettre de dégager 420 millions d'euros d'économies - dont 75 millions grâce au contrôle des professionnels de santé libéraux. En 2023, l'Assurance maladie avait détecté et stoppé plus de 330 millions d'euros de fraudes (hors plaintes pénales). Elle a notamment intensifié ses contrôles sur les enjeux "prioritaires" identifiés : les centres de santé (une trentaine ont été déconventionnés sur les 18 derniers mois), les dépenses d'audioprothèses, les faux arrêts maladie ou les fausses prescriptions de médicament.
Pour 2025, l'Assurance maladie veut aller plus loin en renforçant, par exemple, les télétransmissions sécurisées, en actionnant de nouveaux moyens face aux fraudes sur internet et les réseaux sociaux, en poursuivant ses actions de contrôle des centres de santé, et en lançant de nouvelles actions ciblant la radiologie et l'orthodontie. Elle formule plusieurs propositions concrètes. D'abord, elle souhaite augmenter le recours à la carte vitale "pour faire progresser la sécurité du paiement des prestations". Des discussions à ce sujet doivent être engagées avec les infirmières libérales, audioprothésistes et pharmaciens. Elle va également mettre en place un nouveau formulaire Cerfa d'arrêt maladie, "infalsifiable", dès cet été. Leur usage sera obligatoire dès juin 2025. Pour rappel, 60 cyber-enquêteurs ont été recrutés pour "s'attaquer aux nouvelles formes de fraude sociale" sur les réseaux sociaux, voire le Dark Web.
Investir "sans réserve" sur la régulation
Parmi les autres propositions de la Cnam, celle-ci vise non pas à faire des économies directes, mais à "garantir un accès aux soins 24h/24, 7j/7". L'Assurance maladie veut en effet "stabiliser le système de gardes le soir et le weekend" mais aussi "améliorer la régulation des urgences en journée". L'Assurance maladie compte aussi "rendre publics, en temps réel, les lieux de soins ouverts et les informations sur la fréquentation à travers un site internet ou une application", sur le modèle du site sur les pharmacies de garde, qui sera lancé en septembre. Objectifs : que les gens sachent où se diriger et connaissent aussi les différentes structures.
Des Assises de la téléconsultation
Un volet entier du rapport Charges et produits est aussi consacré à la téléconsultation, une pratique qui a explosé avec la crise sanitaire et qui s'est stabilisée depuis. Chaque mois, 1 million de téléconsultations sont ainsi réalisées. Dans un tiers des cas, elles le sont via des plateformes de téléconsultation. Alors que le cadre législatif a beaucoup évolué, l'Assurance maladie suggère de lancer des Assises de la téléconsultation qui permettraient de réfléchir à une redéfinition de la place de ces plateformes en complémentarité de l'offre de soins existante (prise en charge de soins non programmés après régulation et de patients en zone sous-dense). Elle appelle aussi de ses vœux à renforcer la qualité et la pertinence des prescriptions réalisées en téléconsultation, relevant un "écart faible dans les prescriptions d'antibiotiques entre les consultations et les téléconsultations". Cela "interroge du fait des situations a priori peu fréquentes où la téléconsultation peut donner lieu à la mise en place d'une antibiothérapie", peut-on lire dans le rapport.
Réduire les actes d'imagerie "redondants" ou "inutiles"
L'Assurance maladie suggère également de mettre en œuvre plusieurs mesures visant à garantir la pertinence et la juste facturation des actes. Objectif d'économies affiché : 150 millions d'euros en 2025. Dans son rapport, elle relève, par exemple, que "pour le premier trimestre 2024, la croissance des dépenses en imagerie médicale contribue pour 53% à la croissance de l'ensemble des dépenses d'actes CCAM hors activités dentaires. Afin de "contenir les montants remboursés en lien avec les actes d'imagerie", elle appelle de ses vœux à l'ouverture de négociations avec les radiologues libéraux en vue d'établir un nouveau protocole pour les années 2025-2026, avec "comme objectif de réaliser des économies de l'ordre de 100 millions d'euros par an".
Elle rappelle, par ailleurs, que les médecins libéraux se sont engagés, en signant la nouvelle convention, à "diminuer les actes d'imagerie redondants voire inutiles et à améliorer la pertinence des demandes".
La Caisse compte également engager des réflexions avec les représentants des dentistes pour améliorer la pertinence et la juste facturation des actes dentaires, constatant qu'un certain nombre d'actes affichent "un taux de recours et un dynamisme non justifié", l'évacuation d'abcès parodontal (+19% depuis 2019) par exemple. Sont également dans le collimateur de la Cnam, les prescriptions de soins infirmiers qui "nécessitent de la part des prescripteurs une grande précision quant aux actes demandés". Des travaux seront engagés avec les IDEL pour aider les prescripteurs à "réduire le nombre d'ordonnances ne respectant pas les conventions d'écriture" et qui sont sources de demandes de récupération d'indus auprès des IDEL.
Plus de biosimilaires, moins d'antibiotiques
425 millions d'euros d'économies doivent par ailleurs être trouvées sur le médicament (300 millions sur l'efficience et 125 millions sur le bon usage). D'abord, l'Assurance maladie renouvelle son objectif d'atteindre le taux de pénétration de 80% de biosimilaires en 2025. Cela devrait permettre de dégager une économie de 90 millions d'euros l'an prochain. Pour y parvenir, la Caisse mise sur la possibilité donnée aux pharmaciens de substituer certains médicaments – elle souhaite élargir la liste - par un biosimilaire, mais aussi sur le renforcement du dispositif incitatif des médecins libéraux, prévu par la nouvelle convention médicale.
Le rapport Charges et produits souligne que l'objectif est toutefois encore loin : "Au 1er mai 2024, on dénombre 67 noms de marques de médicaments biosimilaires commercialisés pour 13 classes thérapeutiques différentes. Les remboursements par l'Assurance maladie de ces classes thérapeutiques représentent pour les délivrances en ville 1,9 milliard d'euros, dont 780 millions pour les médicaments."
En outre, 25 millions d'euros d'économies pourraient être générées sur l'année 2025 en favorisant un bon usage des antibiotiques. Là encore, la convention médicale qui vient d'être signée a emboîté le pas. Elle fixe en effet un objectif de réduction du volume d'antibiotiques prescrits de 25% en 2027 et de 10% dès 2025. Sera également encouragé le recours par le pharmacien aux Trod (angine, cystite). La Caisse prévoit aussi de mettre à disposition un outil d'aider d'aide à la décision thérapeutique sur le champ des antibiotiques.
L'Assurance maladie veut aussi aller chercher 10 millions d'euros du côté des antidiabétiques en favorisant là aussi le bon usage et la bonne prescription d'AGLP-1. Elle veut poursuivre ses actions visant à limiter la consommation de benzodiazépines (30 millions d'euros d'économies) et diminuer les prescriptions d'IPP (35 millions d'économies en 2025 si le taux de déprescription atteint 40%) via notamment l'intéressement des médecins.
Limiter les dépenses de biologie
Conformément aux engagements de l'Assurance maladie et des quatre syndicats représentatifs des directeurs de laboratoire dans le cadre du protocole signé le 27 juillet dernier pour les années 2024-2026, le rapport inclut des mesures visant à limiter les dépenses de biologie médicale. Objectif d'économies annoncé : 100 millions d'euros. Sont particulièrement ciblés : le dosage de la vitamine D – qui "n'est préconisé que dans 6 situations cliniques précises par la HAS" en dehors desquelles "il n'y a pas d'utilité prouvée" - ; l'obsolescence de la vitesse de sédimentation ; et les triples dosages et les doubles dosages des hormones thyroïdiennes.
Freiner les dépenses de transports
L'Assurance maladie veut par ailleurs élaborer une feuille de route pluriannuelle de maîtrise des dépenses de transports des patients, en vue d'"infléchir" la dynamique observée (+9%) "tout en maintenant une prise en charge de qualité et un maillage suffisant pour les assurés qui ont besoin d'un transport sanitaire". Elle constate en effet que la France dépense plus que la moyenne de ses voisins européens. Les remboursements liés aux transports en 2023 s'élevaient à plus de 6 milliards d'euros. La Caisse milite ainsi pour la promotion du transport partagé – démocratisé en Europe – afin d'en faire "la pratique de référence". Les prescriptions doivent aussi être homogénéisées. Bilan des comptes : 50 millions d'euros économisés.
Réduire les hospitalisations évitables
Poste de dépenses majeur pour l'Assurance maladie, les hospitalisations hors pathologies repérées ont augmenté de 3,6% entre 2015 et 2022. Elles comptent pour plus de 41 milliards d'euros dans les dépenses de l'Assurance maladie. Or, "1,6% des séjours hospitaliers soit plus de 263 000 séjours pourraient être évités, dont plus de la moitié concernant l'insuffisance cardiaque et plus de 80% des patients âgés", indique le rapport. L'Assurance maladie propose ainsi une stratégie pour réduire ces hospitalisations évitables, basée sur trois leviers. Le premier est d'intervenir auprès des libéraux (auprès des CPTS et MSP pour les aides à détecter les patients à risque par exemple, ou encore en promouvant la télésurveillance). Le deuxième est d'intervenir auprès des établissements sanitaires et médico-sociaux, et le troisième et de solliciter les CPAM pour détecter les patients à risque.
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