Fraude aux arrêts maladie, contrôle des prescriptions… Les recos de la Cour des comptes face au déficit de la Sécu
Comme chaque année, la Cour des comptes publie son rapport sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale. En 2023, le déficit de la Sécurité sociale atteint 10,8 milliards d'euros, près de 4 milliards de plus que la prévision initiale. Et c'est la branche maladie qui porte, à elle seule, la responsabilité de la totalité de ce déficit. La Cour appelle donc à "des réformes urgentes". Elle pointe notamment la nécessité d'encadrer l'explosion des arrêts de travail ou encore d'avoir une meilleure gestion de l'Ondam.
"Les perspectives pour l'avenir sont inquiétantes" ; "Un net ralentissement des dépenses de l'Assurance maladie est nécessaire" ; "Il est urgent de mettre en œuvre des réformes"... Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, n'a pas mâché ses mots devant le déficit de Sécurité sociale. Il s'exprimait mercredi 29 mai lors d'une conférence de presse de présentation de son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale.
En effet, en 2023, le déficit de la Sécurité sociale a atteint 10,8 milliards d'euros, soit près de 4 milliards de plus que la prévision. Si le déficit de la Sécurité sociale devrait rester stable à 10,5 milliards d'euros en 2024, il suppose une décélération importante des dépenses d’assurance maladie. Objectif : réaliser au moins 3,5 milliards d'euros d’économies, un montant nettement plus élevé que les années précédentes.
Lutte contre la fraude aux arrêts de travail
Parmi les pistes de réformes proposées, la Cour des comptes pointe une meilleure maîtrise des arrêts de travail. "Le coût de l’indemnisation des arrêts de travail pour maladie a augmenté de plus de 50% entre 2017 et 2022 pour atteindre 12 milliards d'euros dans le régime général. Pour réduire la vive progression de cette dépense, il est nécessaire d’aller plus loin dans la lutte contre la fraude aux arrêts de travail et dans le contrôle des prescriptions de médecins", recommandent les Sages de la rue Cambon.
Des sanctions plutôt que l'incitation
Si la Cour relève le travail de l'Assurance maladie sur ces points précis, elle déplore qu'encore trop de praticiens aient recours à des arrêts de travail papier (un tiers des actes en 2023). "La généralisation des télétransmissions donnerait un coup d’arrêt aux fraudes mais la Cnam préfère privilégier l’incitation. La Cour recommande d’y ajouter un régime de sanctions si la télétransmission ne progresse pas au rythme attendu", précise le rapport.
Concernant les conditions de prescription, la Cour des comptes estime que les pratiques des médecins peuvent être comparées aux référentiels de prescription de la Haute Autorité de santé "afin de détecter précocement les cas de sur-prescription et d’engager un dialogue sur leurs causes. L’objectif serait, pour le service médical de l’Assurance maladie, de graduer les actions avant de déclencher les procédures lourdes de mise sous objectif ou de mise sous accord préalable".
Ces deux leviers ne sont toutefois pas suffisants pour les Sages de la rue Cambon. L’indemnisation des arrêts de travail pour maladie repose sur des règles anciennes et complexes, relève la Cour qui préconise de simplifier la réglementation pour permettre de prendre en compte la diversification des situations d’emploi, notamment pour le calcul des indemnités dues aux personnes en situation d’intermittence, qui cumulent plusieurs activités, ou sont au chômage. Cela rapporterait 400 millions d'euros par an, calcule-t-elle.
Si l'indemnisation est aujourd'hui partagée à parts égales entre la Sécurité sociale (12 milliards d'euros en 2022) et les entreprises (11,6 milliards d'euros), le rapport propose de "modifier les paramètres de l’indemnisation des arrêts de travail, notamment en vue de mieux en répartir la charge entre la Sécurité sociale, les entreprises et les assurés, à l’issue d’une concertation avec les partenaires sociaux".
La piste d'arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours est évoquée. Elle reviendrait, dans la plupart des cas, à une prise en charge des arrêts de travail, avec maintien du salaire, par les entreprises jusqu’à sept jours, au lieu de trois actuellement. Les affections de longue durée (ALD) ne seraient pas concernées.
"Engagement total de l’Assurance maladie"
Une réduction de la durée maximale d’indemnisation de trois à deux ans associée à une meilleure prise en charge des pathologies chroniques serait également source d'économies, selon le rapport. "L’économie attendue pour l'Assurance maladie irait de 500 millions d'euros à 1 milliard d'euros par an selon la ou les mesures retenues", précise le texte.
Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), a répondu à la Cour des comptes dans un courrier adressé le 10 avril dernier. "Je souhaite insister, en réaffirmant l’engagement total de l’Assurance maladie en matière de juste prescription des arrêts de travail. Ainsi que le note la Cour, l’Assurance maladie s’est engagée dans un renforcement des actions de lutte contre la fraude et de gestion du risque destinées à maitriser la dépense d’IJ", s'est-il justifié. "L’Assurance maladie a notamment déployé depuis 2022 une stratégie pluriannuelle de régulation des arrêts de travail, articulée sur une dynamique d'actions graduées vers les prescripteurs, assurés et employeurs", a-t-il poursuivi. Ainsi "416 médecins ont fait l’objet d’une MSO et 204 médecins ont in fine été mis sous accord préalable, le chiffre le plus élevé jamais atteint dans les deux cas".
"Je rejoins la Cour pour considérer que le développement de la télétransmission des arrêts de travail est une priorité. Toute mise en œuvre de l’obligation de télétransmission telle que recommandée par la Cour devra répondre à un calendrier tenant compte de ces contraintes et de l’acculturation des professionnels de santé : c’est bien en ce sens que l’Uncam cherche à inciter au maximum le recours à la télétransmission dans le cadre des négociations conventionnelles en cours", a écrit le patron de la Cnam.
Baisse de l'Ondam à 3% par an
Si la maîtrise des dépenses liées aux arrêts de travail a fait beaucoup de bruit, d'autres pistes d'économies ont été recensées par la Cour des comptes. Notamment une meilleure maîtrise de l'Ondam. Car la branche maladie porte, à elle seule, la totalité du déficit, rappelle la Cour. Les dépenses relevant de l'Ondam ont augmenté de 5,4% par an entre 2019 et 2023. La progression était de 2,4% par an sur la période 2015-2019.
Contribution des soins de ville à l’effort
Le déficit devrait être ramené de 11,1 milliards d'euros en 2023 à 9 milliards d'euros par an de 2025 à 2027. Une telle évolution supposerait le maintien d’un rythme de dépenses d’Ondam qui ne dépasserait donc pas 3% par an. Pour y parvenir, la Cour propose de définir un programme pluriannuel de régulation des dépenses, partagé avec les parties prenantes, comprenant un renforcement des outils et instances de pilotage, un changement d’échelle dans la lutte contre les fraudes et des mesures structurelles d’adaptation de l’offre de soins aux besoins de la population. Elle plaide aussi pour renforcer la contribution des soins de ville à l’effort de régulation des dépenses d’assurance maladie.
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